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  ARM Give a man a fire and he's warm for a day, but set fire to him and he's warm for the rest of his life (Terry Pratchett, Jingo)

Condamné pour viol mais pas sanctionné: une justice de classe ou un procès équitable?

([Opinions, Société] 2025-04-01 (Het Laatste Nieuws))


Moi aussi, je suis tombée de ma chaise en lisant la phrase qui a mis toute la Flandre en émoi. Un jeune homme de 24 ans, en spécialisation de gynécologie, a été jugé coupable de viol, mais bénéficie d’une suspension de peine. C’est visiblement sa qualité de spécialiste en formation qui lui permet d’échapper à une sanction pénale. Le juge retient ainsi, dans ses motivations, qu’il s’agit d’un jeune professionnel talentueux. Il estime donc que la suspension du prononcé est une mesure appropriée qui évite de perturber l’insertion sociale du prévenu. Coup de tonnerre.

Cette affaire, parce qu’elle donne le sentiment d’une justice de classe, rappelle le procès très médiatisé de Sanda Dia. La petite phrase figurant dans les motivations du jugement est, à tout le moins, mal formulée, car elle semble excuser l’acte commis par le prévenu. Ceux qui réussissent professionnellement s’en tirent plus facilement. Et si ce n’avait pas été un aspirant gynécologue, mais un redoublant en sciences sociales ou — Dieu nous en garde — un demandeur d’emploi qui avait violé cette étudiante à Louvain ? On imagine mal l’argument du talent dans un jugement prononcé à l’encontre d’un énergumène au chômage. Ne serait-ce que parce que son avocat ne soulèverait pas ce moyen de défense. L’idée selon laquelle ce serait pour cette raison que le futur médecin a échappé à sa peine est trop simpliste. Mais pour s’en rendre compte, il faut soit avoir suivi tout le procès, soit lire le jugement. Pour éviter de perdre totalement foi dans notre système judiciaire, j’ai opté pour cette dernière solution. Ce qui m’a apporté des éclaircissements sur cette sombre histoire.

Le jeune homme raconte qu’il a passé une bonne soirée et qu’il a d’abord aidé l’étudiante, qui s’était perdue, en la ramenant dans le bar où se trouvaient ses amies, mais ces dernières étaient déjà parties. Il l’a ensuite accompagnée jusqu’au kot de ses amies, mais elles n’ont pas ouvert la porte et n’ont pas répondu au téléphone. L’étudiante a alors décidé de suivre le jeune homme jusqu’à son kot. La promenade a duré une demi-heure. Ils se sont embrassés plusieurs fois pendant la soirée. À son kot, ils ont fini par avoir des relations sexuelles. Le matin, la conscience parfaitement tranquille, il l’embrasse à nouveau, mais elle le rejette. En résumé, un coup d’un soir et un sacré lendemain de veille. Ce lendemain, il est en tout cas difficile pour elle, car elle se sent mal après ce rapport sexuel dont elle se souvient si peu, voire pas du tout : elle était passablement ivre.

A relire

[1]Viol à la KU Leuven : les professeurs intouchables ?

C’est précisément pour cette raison que le juge a considéré que le jeune homme était coupable de viol. Pas parce qu’il a usé de violence, comme on a généralement tendance à l’imaginer, mais parce que, par principe, on ne peut pas consentir en étant ivre. L’auteur de l’infraction approuve ce raisonnement. Et il savait évidemment dans quel état se trouvait l’étudiante. Cette question peut susciter un autre débat : peut-on encore avoir des rapports sexuels en état d’ébriété sans que cela porte à conséquence ? Le juge estime toutefois qu’il s’agit là d’une ligne rouge et que la limite est claire. Ce qui permet par ailleurs à la jeune femme d’être reconnue comme une victime. On en arrive ainsi à l’élément qui fait couler tant d’encre : la sanction — ou plutôt l’absence de sanction.

Les personnes coupables de viol doivent écoper de peines sévères, pour l’exemple. C’est le sentiment que l’on éprouve instinctivement. Souvent à raison, d’ailleurs, mais en même temps, je serais étonnée que cette histoire ne résonne pas chez énormément d’étudiants. Et si l’on adopte une approche nuancée pour apprécier les abus sexuels, ce qui a été le cas en l’espèce, il faut également le faire pour la détermination de la peine. Par le passé, ce jeune homme n’aurait peut-être pas été reconnu coupable. Son avenir de gynécologue brillant ne peut pas lui procurer d’avantage vis-à-vis d’un simple réassortisseur de rayons, mais les juges n’analysent pas ce genre d’affaires (de mœurs) de façon manichéenne. Le droit est une science humaine. Les juges ne sont pas des robots qui appliquent une formule toute faite pour passer d’un fait A à une sanction B : ils voient les obstacles qui se dressent sur leur chemin. L’état de droit, dans toutes ses nuances, a fait défaut dans cette histoire — qui ne se résume pas à un jeune talent qui doit être sauvé de l’échafaud.

Il incombe aux médias de mieux expliquer les choses, ce qu’ils ne parviennent pas toujours à faire. Cet article tient donc également lieu d’autocritique. Et il incombe aux responsables politiques — et autres personnes d’influence — prompts à s’indigner de s’intéresser de plus près à cette question. À l’instar des médias classiques, certains d’entre eux vont parfois un peu vite en besogne, que ce soit pour approuver ou critiquer. Mais il incombe surtout à la justice de faire œuvre de transparence ; de mieux expliquer pourquoi certains avocats (et avocates) estiment que ce jugement est nuancé. Il faut rendre les jugements anonymes et publics. À défaut, c’est le tribunal des réseaux sociaux qui prendra le relais.

A relire

[2]La justice belge ne mesure pas toute la gravité d’un viol



[1] https://daardaar.be/rubriques/societe/viol-a-la-ku-leuven-les-professeurs-intouchables/

[2] https://daardaar.be/rubriques/societe/la-justice-belge-ne-mesure-pas-toute-la-gravite-dun-viol/



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