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Des employés malades incités à travailler: enquête sur les pratiques de Coolblue

([Economie, Opinions] 2025-04-01 (Apache))


Le 2 décembre 2024, R.S. M. Syed , 32 ans, informe le responsable A de Coolblue qu’il est malade. Il est alors conseiller à la clientèle de cette société d’électronique grand public depuis près d’un an. Avec les fêtes qui approchent, c’est un mois chargé et ce congé maladie tombe mal pour Coolblue. Le responsable A demande alors à M. Syed s’il ne peut pas continuer à travailler malgré tout.

Syed veut faire bonne impression et craint de décevoir son supérieur. Mais à la fin de l’après-midi, il n’en peut vraiment plus. « Que dois-je faire ? Je n’ai presque plus de voix », explique-t-il au responsable B. « J’ai un certificat médical. J’ai voulu continuer à travailler parce que G. ( le responsable A, NDLR ) me l’avait demandé », écrit-il à ce supérieur.

Le responsable B lui répond par message : « Je peux éventuellement te laisser finir plus tôt. Tu verras demain comment combler ces heures. »

« Mon arrêt maladie se heurtait à une fin de non-recevoir », confie M. Syed lors d’un entretien à Apache. « La seule possibilité, c’était soit terminer la journée plus tôt, soit réduire le temps de travail. Les heures perdues, je devais les rattraper plus tard ou les convertir en congés. »

Un système d’abus



Selon M. Syed, ce genre de situation n’était pas rare. « J’ai signalé plusieurs fois que j’étais trop malade et trop épuisé pour continuer à travailler. Les responsables n’en tiennent pas compte, tout simplement. Ils ne se laissent même pas impressionner par un certificat médical. »

Syed est aujourd’hui chez lui, victime d’un burn-out. « Pendant des mois, j’ai dépassé mes limites et je me suis laissé pousser à continuer à travailler alors que j’étais malade. J’avais un contrat de travail temporaire et j’espérais décrocher un poste permanent. Mais quand je me suis retrouvé à bout de forces et que j’ai arrêté de me laisser faire, mon contrat n’a pas été renouvelé et mes problèmes de santé ont servi de prétexte pour me mettre dehors. »

L’histoire de M. Syed n’est pas une exception. Renseignements pris auprès de ses membres, Guy Vertommen , secrétaire syndical du SETCa Anvers, explique que d’autres employés de Coolblue vivent la même situation. « J’ai recueilli une dizaine de témoignages de collaborateurs qui subissent des manipulations similaires pour les pousser à continuer de travailler alors qu’ils sont malades ».

« Ces personnes travaillent encore toutes chez Coolblue et ne souhaitent pas révéler leur identité par crainte de représailles. On est face à un système d’abus ancré dans une culture d’entreprise malsaine. »

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Poussés vers la sortie



Selon Guy Vertommen, les conseillers à la clientèle sont les principales victimes de ces abus. Ils travaillent à domicile et se rendent rarement au bureau : l’employeur leur fournit un ordinateur portable, un bureau et une chaise, et ils traitent les appels des clients de chez eux.

« Ce sont souvent des travailleurs peu qualifiés en contrat à durée déterminée. Ceux qui se font porter malades peuvent faire une croix sur leur carrière et sont poussés vers la sortie. Ces employés font tout leur possible pour conserver leur emploi, mais le plus souvent, ils connaissent mal leurs droits », explique le syndicaliste.

La loi interdit de contraindre un travailleur malade à continuer de travailler, rappelle Frank Hendrickx , professeur et directeur de l’ Institut du droit du travail à la KU Leuven . « D’un point de vue juridique, l’employeur n’a pas le droit de demander à un employé malade de venir travailler. »

Les responsables de Coolblue semblent en être bien conscients. Lorsqu’un employé déclare être malade, il est rare qu’on lui demande explicitement de continuer à travailler, comme le montrent les captures d’écran de messages internes fournies par M. Syed. L’approche adoptée est bien plus subtile.

Pas besoin de pouvoir parler



Le 9 décembre, lorsque M. Syed fait savoir qu’il est aphone et que les clients se plaignent parce qu’ils le comprennent à peine, voici ce que lui répond le responsable A : « Tu peux toujours réduire ton temps 😊. Ou déplacer des shifts. Ou encore poser des RTT, il t’en restait quelques-uns, je crois. »

« Quand on est malade, on nous conseille, par messagerie, de terminer la journée plus tôt. Et on doit rattraper ces heures plus tard », explique M. Syed. « Le responsable nous propose parfois d’échanger un shift ou de prendre des jours de RTT (réduction du temps de travail). Si on résiste, il décroche toujours son téléphone pour insister. »

Le 10 décembre, les symptômes de M. Syed se sont aggravés. Il en informe à nouveau le responsable A, qui lui dit alors de s’occuper des réseaux sociaux plutôt que de prendre les clients au téléphone. « Pour répondre à des demandes écrites sur WhatsApp ou Facebook, pas besoin de pouvoir parler », résume M. Syed.

Les congés maladie représentent un coût que Coolblue cherche manifestement à éviter par tous les moyens, analyse le secrétaire syndical Guy Vertommen. « Quand on est jeune sur le marché du travail, il faut avoir les nerfs très solides pour oser s’opposer à une telle culture d’entreprise. »

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Un logiciel de surveillance



« On espère être valorisé et respecté, mais c’est peine perdue », affirme M. Syed. « Quand on fait savoir qu’on est malade, on ajoute souvent qu’on essaie quand même de faire un effort, dans l’espoir que ce sera remarqué et récompensé. Parfois, un chef d’équipe dit de vous que vous êtes coriace, et ça fait du bien sur le moment. Mais en fin de compte, votre santé passe au second plan. Tout ce qui compte, c’est que l’entreprise fasse un maximum de bénéfices. »

Le slogan de l’entreprise, « tout pour un sourire », cache une culture de travail coercitive et oppressante. Les ordinateurs portables des conseillers à la clientèle de Coolblue sont équipés d’un logiciel qui permet aux responsables de savoir à tout moment si le travailleur est connecté ou déconnecté, s’il fait une pause ou s’il participe à une réunion.

« Le temps de travail est surveillé minute par minute », déclare M. Syed. « Quand je vais aux toilettes, je dois basculer sur un statut particulier. Quand je ne discute pas avec un client mais que je travaille sur autre chose, c’est encore un autre code. Tout est enregistré et chronométré. »

« Il y a un nombre minimum d’appels à traiter par heure. Et si on s’occupe des réseaux sociaux, le seuil est encore plus élevé. Si on n’est pas dans les chiffres, par exemple parce qu’on est resté plus longtemps aux toilettes, on nous le fait savoir. Il règne une profonde méfiance. On est constamment sous pression. »

Réduits au silence



a travaillé chez Coolblue pendant environ six mois. Il nous a transmis une déclaration écrite par l’intermédiaire de M. Syed. « Lorsque je me faisais porter malade, mon chef d’équipe m’appelait systématiquement. Les responsables prétendent qu’ils décrochent leur téléphone pour venir aux nouvelles, mais en réalité, c’est un moyen de pression. On m’a demandé à plusieurs reprises si je souhaitais convertir mes congés maladie en congés annuels ou en jours de réduction du temps de travail. »

« Mais le pire, c’est que je devais sans cesse justifier mes absences pour maladie. À mon retour, on me demandait si ce travail me plaisait toujours ou on me disait qu’il fallait veiller à ne pas en faire une habitude. J’en ai ressenti une immense culpabilité, alors que je n’avais aucun contrôle sur la situation. »

explique que les collègues évoquent ces expériences entre eux. Mais de nombreux salariés n’osent pas en parler ouvertement. Selon Guy Vertommen, le secrétaire syndical, il s’agit d’une emprise par abus de pouvoir.

« Certains responsables, chez Coolblue, prennent plaisir à faire pression sur leurs subordonnés. Parfois, on constate même que les personnalités les plus dures deviennent chefs d’équipe, car l’entreprise sait que les ventes sont ainsi plus susceptibles d’augmenter. »

Récemment, quelques travailleurs ont tenté d’évoquer ces abus lors d’une réunion avec la direction, précise Guy Vertommen. « En guise de réponse, on leur a dit sur un ton menaçant qu’avec la montée en puissance de l’intelligence artificielle, la moitié des conseillers à la clientèle pourraient devoir renoncer à leurs fonctions. Une annonce glaciale qui les a réduits au silence. Depuis, la crainte de perdre leur emploi n’a fait que s’intensifier. »

Selon Guy Vertommen, le dialogue social s’est toujours bien déroulé chez Coolblue. « Nous ne soupçonnions absolument pas ces abus. Le SETCa va prendre des mesures rapidement. La première étape consistera à convoquer une réunion de la délégation syndicale afin que nous puissions interroger la direction à ce sujet. Ces pratiques doivent cesser au plus vite. »

De son côté, la direction n’a souhaité réagir qu’au cas particulier de M. Syed. « Nous connaissons bien ce dossier. Il y a deux mois, il a contacté son responsable pour se plaindre après avoir été informé que son contrat ne serait pas renouvelé. Sa plainte a fait l’objet d’une enquête interne et nous avons conclu qu’elle n’était pas fondée. Il a donc été décidé de ne pas donner suite à la demande d’indemnisation qu’il avait formulée. Nous souhaitons poursuivre notre collaboration avec les syndicats de manière constructive. »

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