Eduquer ses enfants en plusieurs langues, une bonne idée?
([Opinions, Société] 2024-11-01 (Het Nieuwsblad))
- Reference: 2024-11_ben-wicks-iDCtsz-INHI-unsplash-255x170
- News link: https://daardaar.be/rubriques/societe/eduquer_enfants_plusieurs_langues/
- Source link: https://www.nieuwsblad.be/cnt/dmf20241105_96543798
Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Humo , Fatma Taspinar (présentatrice à la VRT, ndlr) fait part de son désir d’élever son enfant en turc, la langue de ses parents. Son compagnon, Geert Meyfroidt (médecin, professeur à la KU Leuven et vainqueur du célèbre jeu télévisé De slimste mens en 2021, ndlr) , parlera en revanche néerlandais à leur fille. « Il n’y a pas de grand projet derrière tout ça », nous explique Fatma Taspinar. « Ma fille évoluera davantage dans des environnements néerlandophones, mais les enfants ont la capacité d’apprendre plusieurs langues. Moi-même, j’ai d’abord appris le turc, puis le néerlandais. Et ça ne m’a posé aucun problème. »
Présentatrice du journal télévisé de la VRT, Fatma Taspinar maîtrise le néerlandais à la perfection. « J’accorde de l’importance aux liens affectifs qu’on a avec la langue. Le langage des émotions, c’est la langue maternelle. Il me semble donc tout à fait naturel de parler turc à ma fille. De la même façon que mes parents me parlaient en turc. C’est à travers cette langue que j’ai connu l’amour maternel. C’est une décision fondée sur l’instinct. »
Au-delà de l’intuition, l’éducation multilingue a aussi fait l’objet d’études scientifiques. « Un enfant capable de communiquer avec les membres étrangers de sa famille trouve ainsi une place au sein de celle-ci », explique le pédagogue Philippe Noens. « Il accède au patrimoine culturel d’une communauté : chanter les mêmes chansons, parler des mêmes émissions ou connaître les mêmes fêtes populaires. Et on sait qu’il est impossible de gommer les différences culturelles, car lorsque l’enfant grandit, il se rend toujours compte que les traditions observées chez lui sont différentes de celles de ses camarades de classe. C’est parfois déroutant, mais la maîtrise d’une langue peut aider à forger cette identité plurielle. C’est ainsi que l’on ouvre son regard sur le monde. »
« Lorsque les émotions prennent le dessus, on revient rapidement à la langue apprise pendant l’enfance », explique Evy Woumans, professeure de psycholinguistique spécialisée dans le multilinguisme. « On se met par exemple à jurer en dialecte. Et les mots tabous pèsent davantage quand ils sont prononcés dans la langue maternelle. Pourquoi ? Parce que les émotions sont liées à la langue maternelle et que c’est à travers elle qu’on les communique. »
À relire
[1]Identité et langue: comment le multilinguisme a enrichi ma vie
Un avantage, donc, mais certains parents s’inquiètent néanmoins des inconvénients d’une éducation multilingue, par exemple du risque que les enfants mélangent plusieurs langues. « C’est tout à fait normal : dans le cerveau, les différentes langues sont reliées. Et les enfants en sont conscients. Je mène mes recherches en anglais et il m’arrive parfois de ne pas trouver le synonyme que je cherche en néerlandais. Mais ça ne pose pas de problèmes. En revanche, les parents doivent être attentifs à bien maîtriser la langue qu’ils souhaitent transmettre. Car dans le cadre de l’éducation multilingue, l’apport qualitatif est essentiel, l’idée étant d’éviter de transmettre des erreurs de prononciation ou de grammaire. »
Des études récentes montrent que les enfants qui apprennent plusieurs langues obtiennent de meilleurs résultats aux tests d’intelligence. « Ils savent qu’un verbe peut se conjuguer de plusieurs façons en fonction de la langue. Et qu’il existe plusieurs mots pour désigner la même chose. Ils acquièrent ainsi une meilleure compréhension de la façon dont fonctionne le langage. On constate d’ailleurs que les personnes qui ont appris une deuxième langue pendant l’enfance auront des facilités à en assimiler une troisième ou une quatrième par la suite. »
Dans 17 % des familles biparentales, les parents s’adressent aux enfants chacun dans sa langue, d’après les chiffres de Kind en Gezin, l’organisme flamand pour l’enfance et les affaires familiales, qui considère qu’une éducation multilingue constitue une valeur ajoutée. À 38 ans, Gosia Kurowska, Flamande et Polonaise, est maman de deux filles : Cleo, 5 ans, et Rae, 3 ans. À la maison, on parle le polonais, le néerlandais et le portugais — la famille vit au Portugal depuis deux ans. « Je suis arrivée en Belgique à l’âge de deux ans. Mes parents ont continué de me parler en polonais, mais j’ai appris le néerlandais à l’école.
Gosia considère aussi bien le polonais que le néerlandais comme sa langue maternelle. « J’écris un peu mieux en néerlandais. Il n’empêche : je savais que je parlerais polonais à mes enfants avant même de rencontrer mon mari. C’est et ce sera toujours ma langue familiale. La langue dans laquelle mes parents me lisaient des histoires. La langue dans laquelle ils m’ont donné des petits surnoms. Pour mes filles, ces mêmes surnoms me viennent naturellement. Je les appelle żabko (petite grenouille) ou słoneczko (petit soleil). Au réveillon de Noël, on fait une fête traditionnelle polonaise avec mes parents. On chante tous des chansons de Noël polonaises. Et ça me plaît que mes parents, qui maîtrisent parfaitement le néerlandais depuis le temps, continuent de transmettre leur culture. »
Gosia applique la technique « un parent, une langue ». « Je m’adresse en polonais à mes filles 95 % du temps et mon mari ne leur parle qu’en néerlandais. Comme ça, tout est toujours clair pour elles. À table, les choses sont parfois un peu confuses chez nous. » Tout se mélange, car la famille parle aussi le portugais. « Pour moi, il était important de ne pas mettre mes filles dans une école internationale, en anglais, car elles font désormais partie intégrante de la communauté. Elles parlent de films portugais avec leurs camarades de classe, par exemple. Et elles voient la diversité d’un bon œil : elles considèrent que les différentes cultures sa valent et qu’elles peuvent coexister. »
Créatrice de contenus en ligne, Gosia reçoit parfois des messages de parents inquiets qui se demandent si les enfants ne finiront pas par oublier une langue. « Ça n’a jamais été une source d’inquiétude pour moi : pendant mon enfance, j’ai pu voir que tout se passait très bien. Le fait de parler plusieurs langues n’a jamais été source de confusion. Je pense donc qu’il en ira de même pour mes filles, qui parlent désormais ces trois langues couramment et aussi bien l’une que l’autre. »
[1] https://daardaar.be/rubriques/societe/identite-et-langue-comment-le-multilinguisme-a-enrichi-ma-vie/
Présentatrice du journal télévisé de la VRT, Fatma Taspinar maîtrise le néerlandais à la perfection. « J’accorde de l’importance aux liens affectifs qu’on a avec la langue. Le langage des émotions, c’est la langue maternelle. Il me semble donc tout à fait naturel de parler turc à ma fille. De la même façon que mes parents me parlaient en turc. C’est à travers cette langue que j’ai connu l’amour maternel. C’est une décision fondée sur l’instinct. »
Se forger une identité
Au-delà de l’intuition, l’éducation multilingue a aussi fait l’objet d’études scientifiques. « Un enfant capable de communiquer avec les membres étrangers de sa famille trouve ainsi une place au sein de celle-ci », explique le pédagogue Philippe Noens. « Il accède au patrimoine culturel d’une communauté : chanter les mêmes chansons, parler des mêmes émissions ou connaître les mêmes fêtes populaires. Et on sait qu’il est impossible de gommer les différences culturelles, car lorsque l’enfant grandit, il se rend toujours compte que les traditions observées chez lui sont différentes de celles de ses camarades de classe. C’est parfois déroutant, mais la maîtrise d’une langue peut aider à forger cette identité plurielle. C’est ainsi que l’on ouvre son regard sur le monde. »
« Lorsque les émotions prennent le dessus, on revient rapidement à la langue apprise pendant l’enfance », explique Evy Woumans, professeure de psycholinguistique spécialisée dans le multilinguisme. « On se met par exemple à jurer en dialecte. Et les mots tabous pèsent davantage quand ils sont prononcés dans la langue maternelle. Pourquoi ? Parce que les émotions sont liées à la langue maternelle et que c’est à travers elle qu’on les communique. »
À relire
[1]Identité et langue: comment le multilinguisme a enrichi ma vie
Un avantage, donc, mais certains parents s’inquiètent néanmoins des inconvénients d’une éducation multilingue, par exemple du risque que les enfants mélangent plusieurs langues. « C’est tout à fait normal : dans le cerveau, les différentes langues sont reliées. Et les enfants en sont conscients. Je mène mes recherches en anglais et il m’arrive parfois de ne pas trouver le synonyme que je cherche en néerlandais. Mais ça ne pose pas de problèmes. En revanche, les parents doivent être attentifs à bien maîtriser la langue qu’ils souhaitent transmettre. Car dans le cadre de l’éducation multilingue, l’apport qualitatif est essentiel, l’idée étant d’éviter de transmettre des erreurs de prononciation ou de grammaire. »
Des études récentes montrent que les enfants qui apprennent plusieurs langues obtiennent de meilleurs résultats aux tests d’intelligence. « Ils savent qu’un verbe peut se conjuguer de plusieurs façons en fonction de la langue. Et qu’il existe plusieurs mots pour désigner la même chose. Ils acquièrent ainsi une meilleure compréhension de la façon dont fonctionne le langage. On constate d’ailleurs que les personnes qui ont appris une deuxième langue pendant l’enfance auront des facilités à en assimiler une troisième ou une quatrième par la suite. »
Dans 17 % des familles biparentales, les parents s’adressent aux enfants chacun dans sa langue, d’après les chiffres de Kind en Gezin, l’organisme flamand pour l’enfance et les affaires familiales, qui considère qu’une éducation multilingue constitue une valeur ajoutée. À 38 ans, Gosia Kurowska, Flamande et Polonaise, est maman de deux filles : Cleo, 5 ans, et Rae, 3 ans. À la maison, on parle le polonais, le néerlandais et le portugais — la famille vit au Portugal depuis deux ans. « Je suis arrivée en Belgique à l’âge de deux ans. Mes parents ont continué de me parler en polonais, mais j’ai appris le néerlandais à l’école.
La « langue familiale »
Gosia considère aussi bien le polonais que le néerlandais comme sa langue maternelle. « J’écris un peu mieux en néerlandais. Il n’empêche : je savais que je parlerais polonais à mes enfants avant même de rencontrer mon mari. C’est et ce sera toujours ma langue familiale. La langue dans laquelle mes parents me lisaient des histoires. La langue dans laquelle ils m’ont donné des petits surnoms. Pour mes filles, ces mêmes surnoms me viennent naturellement. Je les appelle żabko (petite grenouille) ou słoneczko (petit soleil). Au réveillon de Noël, on fait une fête traditionnelle polonaise avec mes parents. On chante tous des chansons de Noël polonaises. Et ça me plaît que mes parents, qui maîtrisent parfaitement le néerlandais depuis le temps, continuent de transmettre leur culture. »
Gosia applique la technique « un parent, une langue ». « Je m’adresse en polonais à mes filles 95 % du temps et mon mari ne leur parle qu’en néerlandais. Comme ça, tout est toujours clair pour elles. À table, les choses sont parfois un peu confuses chez nous. » Tout se mélange, car la famille parle aussi le portugais. « Pour moi, il était important de ne pas mettre mes filles dans une école internationale, en anglais, car elles font désormais partie intégrante de la communauté. Elles parlent de films portugais avec leurs camarades de classe, par exemple. Et elles voient la diversité d’un bon œil : elles considèrent que les différentes cultures sa valent et qu’elles peuvent coexister. »
Créatrice de contenus en ligne, Gosia reçoit parfois des messages de parents inquiets qui se demandent si les enfants ne finiront pas par oublier une langue. « Ça n’a jamais été une source d’inquiétude pour moi : pendant mon enfance, j’ai pu voir que tout se passait très bien. Le fait de parler plusieurs langues n’a jamais été source de confusion. Je pense donc qu’il en ira de même pour mes filles, qui parlent désormais ces trois langues couramment et aussi bien l’une que l’autre. »
[1] https://daardaar.be/rubriques/societe/identite-et-langue-comment-le-multilinguisme-a-enrichi-ma-vie/