Un village wallon bientôt dirigé par un Flamand ?
([Société] 2024-08-01 (De Standaard))
- Reference: 2024-08_a-255x170
- News link: https://daardaar.be/rubriques/societe/un-village-wallon-bientot-dirige-par-un-flamand/
- Source link: https://m.standaard.be/cnt/dmf20240822_94886880
Plus on avance vers le sud, plus le paysage se fait vallonné. Il est dépourvu des constructions linéaires typiques de la Flandre. Les quelques arrêts de bus De Lijn font place à ceux, encore plus rares, des TEC. Les maisons ne sont pas « te koop », mais « à vendre ».
Bref, le doute n’est pas permis : Mont-de-l’Enclus est bien une commune wallonne. Pourtant, certains agents immobiliers, une fois la transaction conclue, y apposent depuis quelque temps des autocollants indiquant que le bien est verkocht (vendu). Et prochainement, la localité pourrait même être dirigée par un bourgmestre flamand. Il faut en effet savoir que les Wallons y sont désormais minoritaires : « 56 % des habitants sont flamands », souligne Marnix Vanhonacker, 61 ans, qui figure en deuxième position de « Anders et Les Engagés », mais en duo avec la tête de liste Virginie Guemjom. Le tandem entend ravir l’écharpe maïorale au MR, au pouvoir depuis dix-huit ans, et ainsi associer les nombreux Flamands qui y vivent à la vie administrative et associative du village.
À Mont-de-l’Enclus, ces Flamands ne sont pas invisibles pour autant. Dans un bistrot local, l’ardoise des suggestions propose ainsi non pas des « moules », mais des mosselen in witte wijn . Et lorsqu’on y pénètre, c’est d’abord par un « goeiedag » qu’on est accueilli ; le « bonjour » vient ensuite.
Dans la commune, le sujet est devenu délicat. Le tenancier préfère d’ailleurs éviter de voir son nom publié dans le journal, pour ne pas contrarier l’actuel bourgmestre MR, mais son établissement « fait » flamand. « La plupart de mes clients sont flamands », explique-t-il. À l’instar des habitants du village. « Raison pour laquelle on salue dans cet ordre. »
Il comprend néanmoins que la question soit sensible : les Flamands s’y sont déjà installés en nombre, et l’afflux se poursuit. L’année dernière, lorsque les chiffres de la Fédération des notaires ont révélé que 80 % des transactions immobilières avaient été réalisées par des Flamands, l’affaire a fait grand bruit. Mont-de-l’Enclus serait ainsi encore moins francophone que Durbuy, que l’on peut pourtant déjà qualifier d’enclave flamande dans les Ardennes.
Les paysages sont magnifiques, soit. Mais qu’est-ce qui attire tous ces Flamands dans la commune ? « C’est l’immobilier », résume Rinaldo De Neve, 45 ans, qui vient d’y acheter une maison avec sa compagne. « Nous vivons actuellement dans le centre de Renaix. Mais pour nos deux jeunes enfants, nous voulions un jardin. Un rêve qui est bien plus accessible ici qu’en Flandre. Sans compter que contrairement à la Flandre, la Wallonie est encore épargnée par les obligations de rénovation, la fixette sur la performance énergétique, etc. Tout à coup, on est tombés sur une maison et on en est tombés amoureux. Pour moi, le fait que ce soit une commune wallonne, c’est une source d’enrichissement : j’espère que mes enfants parleront un peu le français. »
Rinaldo a franchi le pas en 2024, mais Marnix l’avait précédé 25 ans plus tôt. À l’époque, ce Flamand détonnait parmi les autres habitants du village. « Mais je me suis toujours senti le bienvenu. » Proche de la retraite, qu’il prendra l’année prochaine, il souhaite désormais devenir bourgmestre de sa commune.
« Avec ma femme et ma fille, nous vivons ici depuis 25 ans — comme de nombreux autres Flamands, d’ailleurs. Mais sur le plan politique, nous ne sommes pas représentés. Les Flamands ne sont pas associés à l’administration de la ville, sans même parler du tissu associatif. Je n’ai découvert que récemment qu’il existe un club de joueurs de carte, alors que j’adore ça ! Comment est-ce possible que je ne l’ai jamais su ? Cette situation est symptomatique de la cohabitation étanche entre Flamands et Wallons, analyse Marnix. « D’ailleurs, cette ville n’est qu’une cité-dortoir pour les Flamands : le reste de leur vie se déroule ailleurs. »
Le problème n’est pas d’ordre linguistique, insiste Marnix, dont le parti s’appelle ANDERS, acronyme, en français, d’Alliance pour une Nouvelle Démocratie Enclusienne Responsable et Solidaire. Aux côtés des Engagés, ANDERS forme un front contre l’actuel bourgmestre MR de la commune, Jean-Pierre Bourdeaud’Huy. Celui-ci a fait savoir qu’il fera figurer des personnes bilingues sur sa liste. « Mais nous sommes une commune wallonne », rappelle-t-il néanmoins.
« Le bourgmestre est en effet très francophone », lâche Marie-Louise, une habitante du quartier. À 11 h 30, elle s’apprête à passer à table, mais ne rechigne pas à faire un brin de causette autour de l’apéritif. « Moi, je n’ai aucun problème avec les Flamands qui vivent ici Mes voisins sont flamands et on se dit bonjour dans le jardin. Mieux encore : j’apprécie leur présence. Ils ont vraiment bien aménagé leur jardin. »
Si Marie-Louise compte des Flamands parmi ses amis, elle reconnaît toutefois que certains des villageois sont d’un tempérament plutôt « francophone ». « Il y a en effet des gens qui n’aiment pas “les Flamands”. Ils disent qu’ils ne s’intègrent pas. Mais la source de cette friction n’est pas communautaire ». Elle frotte son index contre son pouce et ajoute : « Le plus gros problème, c’est que vous, les Flamands, faites grimper les prix de l’immobilier. Le petit ouvrier, avec son petit salaire, ne peut même plus se permettre de prendre une maison en location. Moi, ça ne me pose pas problème, car je suis propriétaire, mais je comprends que ça pique quand on a des enfants ou des petits-enfants qui doivent aller vivre ailleurs parce qu’ils n’ont plus les moyens de se payer une maison. »
Reste à savoir si un (candidat) bourgmestre peut exercer une quelconque influence sur le marché de l’immobilier. Mais pour ce qui est du caractère wallon de la commune, Marnix est totalement en phase avec le bourgmestre actuel. « Nous n’avons pas l’intention de mener le conseil communal en néerlandais. Ni de faire traduire les documents, d’ailleurs. » Les « facilités » lui donnent des frissons. « Ce n’est absolument pas à l’ordre du jour. La commune est wallonne. Mais la réalité de notre cohabitation et de notre vie en commun devrait tout de même permettre une certaine souplesse. Si un Flamand ne s’en sort pas au guichet à cause de son mauvais français, pourquoi le fonctionnaire, souvent bilingue, devrait-il coûte que coûte continuer à s’adresser à lui dans cette langue ? Ce sont les règles, certes. Selon la lettre de la loi, c’est interdit. Mais une certaine forme de bilinguisme, n’est-ce pas justement ça, la belgitude ? Nous pourrions devenir un exemple. »
Bref, le doute n’est pas permis : Mont-de-l’Enclus est bien une commune wallonne. Pourtant, certains agents immobiliers, une fois la transaction conclue, y apposent depuis quelque temps des autocollants indiquant que le bien est verkocht (vendu). Et prochainement, la localité pourrait même être dirigée par un bourgmestre flamand. Il faut en effet savoir que les Wallons y sont désormais minoritaires : « 56 % des habitants sont flamands », souligne Marnix Vanhonacker, 61 ans, qui figure en deuxième position de « Anders et Les Engagés », mais en duo avec la tête de liste Virginie Guemjom. Le tandem entend ravir l’écharpe maïorale au MR, au pouvoir depuis dix-huit ans, et ainsi associer les nombreux Flamands qui y vivent à la vie administrative et associative du village.
Des mosselen plutôt que des moules
À Mont-de-l’Enclus, ces Flamands ne sont pas invisibles pour autant. Dans un bistrot local, l’ardoise des suggestions propose ainsi non pas des « moules », mais des mosselen in witte wijn . Et lorsqu’on y pénètre, c’est d’abord par un « goeiedag » qu’on est accueilli ; le « bonjour » vient ensuite.
Dans la commune, le sujet est devenu délicat. Le tenancier préfère d’ailleurs éviter de voir son nom publié dans le journal, pour ne pas contrarier l’actuel bourgmestre MR, mais son établissement « fait » flamand. « La plupart de mes clients sont flamands », explique-t-il. À l’instar des habitants du village. « Raison pour laquelle on salue dans cet ordre. »
Il comprend néanmoins que la question soit sensible : les Flamands s’y sont déjà installés en nombre, et l’afflux se poursuit. L’année dernière, lorsque les chiffres de la Fédération des notaires ont révélé que 80 % des transactions immobilières avaient été réalisées par des Flamands, l’affaire a fait grand bruit. Mont-de-l’Enclus serait ainsi encore moins francophone que Durbuy, que l’on peut pourtant déjà qualifier d’enclave flamande dans les Ardennes.
Les paysages sont magnifiques, soit. Mais qu’est-ce qui attire tous ces Flamands dans la commune ? « C’est l’immobilier », résume Rinaldo De Neve, 45 ans, qui vient d’y acheter une maison avec sa compagne. « Nous vivons actuellement dans le centre de Renaix. Mais pour nos deux jeunes enfants, nous voulions un jardin. Un rêve qui est bien plus accessible ici qu’en Flandre. Sans compter que contrairement à la Flandre, la Wallonie est encore épargnée par les obligations de rénovation, la fixette sur la performance énergétique, etc. Tout à coup, on est tombés sur une maison et on en est tombés amoureux. Pour moi, le fait que ce soit une commune wallonne, c’est une source d’enrichissement : j’espère que mes enfants parleront un peu le français. »
Une cité-dortoir
Rinaldo a franchi le pas en 2024, mais Marnix l’avait précédé 25 ans plus tôt. À l’époque, ce Flamand détonnait parmi les autres habitants du village. « Mais je me suis toujours senti le bienvenu. » Proche de la retraite, qu’il prendra l’année prochaine, il souhaite désormais devenir bourgmestre de sa commune.
« Avec ma femme et ma fille, nous vivons ici depuis 25 ans — comme de nombreux autres Flamands, d’ailleurs. Mais sur le plan politique, nous ne sommes pas représentés. Les Flamands ne sont pas associés à l’administration de la ville, sans même parler du tissu associatif. Je n’ai découvert que récemment qu’il existe un club de joueurs de carte, alors que j’adore ça ! Comment est-ce possible que je ne l’ai jamais su ? Cette situation est symptomatique de la cohabitation étanche entre Flamands et Wallons, analyse Marnix. « D’ailleurs, cette ville n’est qu’une cité-dortoir pour les Flamands : le reste de leur vie se déroule ailleurs. »
Jardins bien aménagés, mais hausse de l’immobilier
Le problème n’est pas d’ordre linguistique, insiste Marnix, dont le parti s’appelle ANDERS, acronyme, en français, d’Alliance pour une Nouvelle Démocratie Enclusienne Responsable et Solidaire. Aux côtés des Engagés, ANDERS forme un front contre l’actuel bourgmestre MR de la commune, Jean-Pierre Bourdeaud’Huy. Celui-ci a fait savoir qu’il fera figurer des personnes bilingues sur sa liste. « Mais nous sommes une commune wallonne », rappelle-t-il néanmoins.
« Le bourgmestre est en effet très francophone », lâche Marie-Louise, une habitante du quartier. À 11 h 30, elle s’apprête à passer à table, mais ne rechigne pas à faire un brin de causette autour de l’apéritif. « Moi, je n’ai aucun problème avec les Flamands qui vivent ici Mes voisins sont flamands et on se dit bonjour dans le jardin. Mieux encore : j’apprécie leur présence. Ils ont vraiment bien aménagé leur jardin. »
Si Marie-Louise compte des Flamands parmi ses amis, elle reconnaît toutefois que certains des villageois sont d’un tempérament plutôt « francophone ». « Il y a en effet des gens qui n’aiment pas “les Flamands”. Ils disent qu’ils ne s’intègrent pas. Mais la source de cette friction n’est pas communautaire ». Elle frotte son index contre son pouce et ajoute : « Le plus gros problème, c’est que vous, les Flamands, faites grimper les prix de l’immobilier. Le petit ouvrier, avec son petit salaire, ne peut même plus se permettre de prendre une maison en location. Moi, ça ne me pose pas problème, car je suis propriétaire, mais je comprends que ça pique quand on a des enfants ou des petits-enfants qui doivent aller vivre ailleurs parce qu’ils n’ont plus les moyens de se payer une maison. »
Des facilités ? Pas question !
Reste à savoir si un (candidat) bourgmestre peut exercer une quelconque influence sur le marché de l’immobilier. Mais pour ce qui est du caractère wallon de la commune, Marnix est totalement en phase avec le bourgmestre actuel. « Nous n’avons pas l’intention de mener le conseil communal en néerlandais. Ni de faire traduire les documents, d’ailleurs. » Les « facilités » lui donnent des frissons. « Ce n’est absolument pas à l’ordre du jour. La commune est wallonne. Mais la réalité de notre cohabitation et de notre vie en commun devrait tout de même permettre une certaine souplesse. Si un Flamand ne s’en sort pas au guichet à cause de son mauvais français, pourquoi le fonctionnaire, souvent bilingue, devrait-il coûte que coûte continuer à s’adresser à lui dans cette langue ? Ce sont les règles, certes. Selon la lettre de la loi, c’est interdit. Mais une certaine forme de bilinguisme, n’est-ce pas justement ça, la belgitude ? Nous pourrions devenir un exemple. »