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  ARM Give a man a fire and he's warm for a day, but set fire to him and he's warm for the rest of his life (Terry Pratchett, Jingo)

Bruxelles, ville multilingue par excellence

([Société] 2024-07-01 (De Standaard))


Allez à Bruxelles. Prenez le métro. Écoutez les gens parler. Vous aurez beau maîtriser les deux langues nationales, vous ne comprendrez probablement pas la plupart des conversations. Bruxelles n’est plus une ville bilingue, et ce, depuis quelque temps déjà.

Combien de langues parle-t-on à Bruxelles de nos jours ? Nul ne le sait. Le dernier recensement linguistique remonte à 1947. Mais depuis 2000, le baromètre linguistique de la VUB nous permet d’imaginer la diversité linguistique qui règne à Bruxelles. Ce baromètre tient compte d’un échantillon le plus représentatif possible de personnes adultes résidant à Bruxelles.

Le quatrième baromètre linguistique date de 2017, et le cinquième vient d’être publié. Dans le groupe de 1 627 personnes interrogées, on a compté 104 langues différentes. Parmi celles-ci, nous retrouvons le bengali, l’hindi, le marathi, l’ourdou, le pendjabi ou le tamoul, mais il faut savoir qu’en Inde, on parle encore 700 autres langues. Il y a donc fort à parier que plusieurs dizaines d’entre elles sont parlées par au moins quelques-uns des 966 000 adultes recensés à Bruxelles et non repris dans l’échantillon. Par conséquent, quand on se demande combien de langues parlent les habitants de Bruxelles, la réponse « quelques centaines » s’approche plus de la vérité que « 104 ».

Il résulte inéluctablement de cette diversité linguistique croissante une baisse considérable du pourcentage de répondants dont la langue maternelle est l’une ou les deux langues officielles de la capitale, à savoir le français et le néerlandais. Entre 2000 et 2024, le nombre de « francophones purs » (répondants qui n’ont été élevés qu’en français) y a chuté de 51,8 à 41,3 pour cent, et le nombre de « néerlandophones purs » de 9,3 à 7,5 pour cent. Si on additionne les cas où le français ou le néerlandais sont combinés à une autre langue, le pourcentage de francophones baisse de 71 à 63,6 pour cent, et celui des néerlandophones de 19,3 à 11,8 pour cent.

Une évolution surprenante



Si nous y ajoutons les répondants qui ont appris l’une des deux langues en dehors du cadre familial, les pourcentages sont plus élevés bien entendu, mais même dans ce cas-là, nous observons une forte chute entre 2000 et 2024. Le pourcentage de participants qui estiment parler la langue à un niveau allant de bon à excellent est tombé de 95,5 à 81 pour cent pour le français et de 33,3 à 22,3 pour cent pour le néerlandais.

Cependant, dans le cas du néerlandais, nous assistons à une évolution surprenante ces dernières années : une augmentation de 16,3 en 2017 à 22,3 pour cent en 2024. Cette évolution ne s’explique pas par l’augmentation du nombre de personnes parlant le néerlandais chez elles, car leur proportion a chuté sur la même période de 16,3 à 11,8 pour cent. Et elle n’est pas due non plus à une meilleure connaissance du néerlandais chez les jeunes qui ont fréquenté l’enseignement francophone. Au contraire, alors que 20 pour cent des jeunes élèves francophones de Bruxelles disaient avoir un niveau bon à excellent en néerlandais en 2000, ils n’étaient plus que 7,8 pour cent en 2017 et 6,5 pour cent en 2024.

Non, cette tendance surprenante s’explique en partie par la hausse de fréquentation des écoles néerlandophones par des élèves francophones, mais surtout, visiblement, par le nombre d’adultes francophones qui suivent des cours de néerlandais, et par une utilisation accrue du néerlandais dans des contextes professionnels et autres.

L’arabe reste, avec les deux langues officielles, sur la troisième place du podium, mais il est à noter que l’anglais gagne du terrain. En 2000, avec 33,3 pour cent des répondants affirmant parler l’anglais à un niveau bon à excellent, la langue de Shakespeare faisait jeu égal avec le néerlandais. Aujourd’hui, l’anglais, avec 46,9 pour cent, a distancé le néerlandais et réduit de moitié son retard par rapport au français.

Il va de soi que cette diversité linguistique croissante représente un fameux défi. Entre 2000 et 2024, le pourcentage de personnes prétendant ne parler correctement ni le français ni le néerlandais est passé de 4 à 15,4 pour cent. L’anglais endosse le rôle de langue de liaison entre les différentes communautés linguistiques, mais très partiellement cependant. Aussi, 10,5 pour cent des personnes interrogées ne parlent ni français, ni néerlandais, ni anglais, contre 3 pour cent en 2000.

33 langues à l’hôpital



Le baromètre linguistique est également riche en enseignements sur la manière dont les pratiques linguistiques s’adaptent à la situation, que ce soit dans les commerces, les entreprises ou la fonction publique. Ainsi, il dévoile que les services publics savent faire preuve d’une flexibilité parfois étonnante malgré la fermeté des lois linguistiques. Par exemple, l’administration communale n’a le droit de s’adresser aux citoyens qu’en français et en néerlandais. Le baromètre linguistique s’est penché sur la question de la langue utilisée lorsqu’un citoyen francophone est confronté à un fonctionnaire qui lui répond en néerlandais, et vice versa . Il en résulte que 3,5 pour cent des néerlandophones et 13 pour cent des francophones passent à l’anglais.

Autre exemple : la loi stipule que les hôpitaux publics ne peuvent communiquer qu’en français et en néerlandais avec leurs patients. Les sondés affirment pourtant qu’ils ont communiqué en pas moins de 33 autres langues que le français et le néerlandais avec le personnel hospitalier bruxellois. La loi de 1966 sur l’utilisation des langues dans l’administration se fondait sur le droit de tous les Bruxellois à être servis dans leur propre langue. Pour mettre en œuvre ce principe dans un contexte linguistique en mutation totale, il faut sans cesse contrevenir à une loi, qu’il est urgent de revoir.

Malgré les limites inhérentes à l’échantillonnage et à l’auto-évaluation, le baromètre linguistique fournit des informations bien moins trompeuses et bien plus utiles que celles récoltées aveuglément par le choix binaire de la langue pour les cartes d’identité ou pour les déclarations fiscales. Grâce au travail rigoureux et impartial des chercheurs de la VUB, ces informations procurent aux citoyens et à leurs élus une image plus claire des problèmes à résoudre. Mais surtout, le baromètre linguistique contribue de manière cruciale à l’intelligence et à la pacification du débat sur la question la plus émotionnelle de toutes celles qui ont agité la vie politique bruxelloise.



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