Identité et langue: comment le multilinguisme a enrichi ma vie
([Société] 2024-07-01 (De Morgen))
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- News link: https://daardaar.be/rubriques/societe/identite-et-langue-comment-le-multilinguisme-a-enrichi-ma-vie/
- Source link: https://www.demorgen.be/meningen/van-cocon-naar-caleidoscoop-meertaligheid-heeft-mijn-leven-verrijkt~bcbb5572/
« Les gens nés en Belgique (…), écrit Eric De Kuyper, cinéaste et critique culturel, sont confrontés sans ménagement au problème de l’identité culturelle, qui se fait particulièrement sentir au moment du “choix” de la langue. » L’expérience d’Eric De Kyper est sans nul doute reconnaissable pour la plupart des Belges. En effet, d’innombrables débats sont organisés sur la relation compliquée entre identité belge et langues.
Américain habitant à Gand depuis trois ans, j’ai été amené à prendre de plus en plus conscience de la complexité de la situation linguistique en Belgique. Mais ce qui me fascine vraiment, c’est la reconnaissance qui est susceptible d’en découler. « En réalité, j’éprouve de la gratitude envers le contexte belge, explique De Kuyper, car il m’a obligé dès l’enfance à m’interroger sur mon identité culturelle. » Ce qui m’amène à me poser cette question : à quoi ressemble le monde lorsque je porte l’une de mes propres « paires de lunettes linguistiques » – anglaises, chinoises, néerlandaises, françaises ?
Commençons par la ville de New York, la « capitale du monde », où je suis né et où j’ai été constamment immergé dans un bain de langues. Je parlais anglais avec mes parents et ma sœur, mais nous enchaînions avec le cantonais lorsque nous mangions avec mes grands-parents. Parallèlement, dans la rue et à l’école, j’entendais parler espagnol, hébreu et russe, car de nombreuses familles de langue étrangère vivaient dans notre quartier.
Quand j’avais huit ans, nous avons déménagé dans l’État voisin du New Jersey, et tout a changé. La « jungle de béton » de New York n’a pas seulement laissé la place à des quartiers aux maisons incroyablement calmes, mais aussi à des voisins blancs et monolingues qui nous demandaient souvent : « Mais vous venez d’où, en vrai ? » C’est ce qui a poussé mes parents à nous inscrire, ma sœur et moi, à des cours de chinois pendant le week-end. À l’époque, je trouvais cela ennuyeux, voire inutile. Pourquoi ne pas se contenter de l’anglais ?
Mais peu à peu, j’ai compris la raison pour laquelle ils nous incitaient à apprendre le cantonais (et plus tard le mandarin) : cela nous permettrait de préserver notre héritage culturel. Ils savaient qu’une éducation monolingue et monoculturelle nous amènerait à perdre notre identité. Bien sûr, nous pourrions survivre en parlant uniquement anglais, mais nous rechercherions sans fin quelque chose d’intangible que nous aurions perdu sans nous en rendre compte.
Ceci me ramène à De Kuyper, qui compare son identité belge à celle des pays voisins monolingues, comme les Pays-Bas ou la France. Il use d’une jolie métaphore pour montrer les ambiguïtés d’une éducation monolingue : « Si j’étais né aux Pays-Bas ou en France, je me serais senti comme dans un cocon, peut-être sans jamais me demander pourquoi j’étais français ou néerlandais, pourquoi je me disais français ou néerlandais. » Certes, il se serait toujours senti chez lui, mais au sein d’un environnement monotone et limité.
Quand je suis arrivé à Gand il y a trois ans, j’ai redécouvert l’importance de m’extraire de mon cocon. Aussi ai-je décidé d’apprendre à la fois le néerlandais et le français, ce qui a incroyablement enrichi ma vie. Par conséquent, désormais, je ne vois pas la Belgique à travers une seule paire de lunettes, mais à travers le kaléidoscope de ma conscience multilingue. Ce qui est noir et blanc en anglais devient jaune en néerlandais, rouge en français, vert en cantonais et bleu en mandarin.
Je note également que ce qui me paraît « étrange » au premier abord en Belgique devient vite reconnaissable et même appréciable grâce à mon kaléidoscope. Quand je me promène dans les rues de Bruxelles (le « cœur de l’Europe »), je parviens à me convaincre que je suis de retour à New York. Dans cette vaste métropole, on entend parler français et néerlandais, mais aussi de nombreuses variantes d’anglais, d’espagnol, d’arabe et de tant d’autres langues. En revanche, les villages paisibles et uniformes de Flandre et de Wallonie que je vois défiler par la fenêtre du train m’évoquent toujours mon village au New Jersey. Et l’identité dans tout ça ? J’avoue ne pas avoir encore de « réponse » claire à cette question. Autrefois, on me considérait comme un Américain chinois, de sorte que j’ai parfois eu à lutter contre le sentiment d’être un étranger dans mon propre environnement. Le concept d’identité devenait ainsi un problème qui exigeait potentiellement une solution – à savoir, une façon de se vêtir et de s’alimenter, ou, bien sûr, une langue. Cependant, aujourd’hui, je considère plutôt ce mot comme un point de vue mouvant et changeant sur mon propre monde. En ouvrant la réflexion, je me rends compte qu’il n’est pas nécessaire de rattacher l’identité à un seul pays, une seule région, un seul objet ou symbole. Il ne s’agit pas vraiment d’un « choix », mais d’un processus de sélection.
C’est pourquoi, tout comme De Kuyper, je suis très reconnaissant envers la Belgique de m’avoir aidé à élargir mon identité culturelle. Même si je ne parle pas encore couramment le cantonais, le mandarin, le néerlandais ou le français, je savoure le plaisir de me perdre dans ces flots linguistiques multiples et sans fin. Pour le dire autrement, je suis un wanderer en anglais, un wandelaar en néerlandais, un flâneur en français, un liu liang zhe en chinois. Je voyage à travers mon propre monde multicolore, sans destination finale – ce qui rend tout ce que je croise en chemin aussi captivant que précieux.
Américain habitant à Gand depuis trois ans, j’ai été amené à prendre de plus en plus conscience de la complexité de la situation linguistique en Belgique. Mais ce qui me fascine vraiment, c’est la reconnaissance qui est susceptible d’en découler. « En réalité, j’éprouve de la gratitude envers le contexte belge, explique De Kuyper, car il m’a obligé dès l’enfance à m’interroger sur mon identité culturelle. » Ce qui m’amène à me poser cette question : à quoi ressemble le monde lorsque je porte l’une de mes propres « paires de lunettes linguistiques » – anglaises, chinoises, néerlandaises, françaises ?
Commençons par la ville de New York, la « capitale du monde », où je suis né et où j’ai été constamment immergé dans un bain de langues. Je parlais anglais avec mes parents et ma sœur, mais nous enchaînions avec le cantonais lorsque nous mangions avec mes grands-parents. Parallèlement, dans la rue et à l’école, j’entendais parler espagnol, hébreu et russe, car de nombreuses familles de langue étrangère vivaient dans notre quartier.
S’extraire du cocon
Quand j’avais huit ans, nous avons déménagé dans l’État voisin du New Jersey, et tout a changé. La « jungle de béton » de New York n’a pas seulement laissé la place à des quartiers aux maisons incroyablement calmes, mais aussi à des voisins blancs et monolingues qui nous demandaient souvent : « Mais vous venez d’où, en vrai ? » C’est ce qui a poussé mes parents à nous inscrire, ma sœur et moi, à des cours de chinois pendant le week-end. À l’époque, je trouvais cela ennuyeux, voire inutile. Pourquoi ne pas se contenter de l’anglais ?
Mais peu à peu, j’ai compris la raison pour laquelle ils nous incitaient à apprendre le cantonais (et plus tard le mandarin) : cela nous permettrait de préserver notre héritage culturel. Ils savaient qu’une éducation monolingue et monoculturelle nous amènerait à perdre notre identité. Bien sûr, nous pourrions survivre en parlant uniquement anglais, mais nous rechercherions sans fin quelque chose d’intangible que nous aurions perdu sans nous en rendre compte.
Ceci me ramène à De Kuyper, qui compare son identité belge à celle des pays voisins monolingues, comme les Pays-Bas ou la France. Il use d’une jolie métaphore pour montrer les ambiguïtés d’une éducation monolingue : « Si j’étais né aux Pays-Bas ou en France, je me serais senti comme dans un cocon, peut-être sans jamais me demander pourquoi j’étais français ou néerlandais, pourquoi je me disais français ou néerlandais. » Certes, il se serait toujours senti chez lui, mais au sein d’un environnement monotone et limité.
Quand je suis arrivé à Gand il y a trois ans, j’ai redécouvert l’importance de m’extraire de mon cocon. Aussi ai-je décidé d’apprendre à la fois le néerlandais et le français, ce qui a incroyablement enrichi ma vie. Par conséquent, désormais, je ne vois pas la Belgique à travers une seule paire de lunettes, mais à travers le kaléidoscope de ma conscience multilingue. Ce qui est noir et blanc en anglais devient jaune en néerlandais, rouge en français, vert en cantonais et bleu en mandarin.
Je note également que ce qui me paraît « étrange » au premier abord en Belgique devient vite reconnaissable et même appréciable grâce à mon kaléidoscope. Quand je me promène dans les rues de Bruxelles (le « cœur de l’Europe »), je parviens à me convaincre que je suis de retour à New York. Dans cette vaste métropole, on entend parler français et néerlandais, mais aussi de nombreuses variantes d’anglais, d’espagnol, d’arabe et de tant d’autres langues. En revanche, les villages paisibles et uniformes de Flandre et de Wallonie que je vois défiler par la fenêtre du train m’évoquent toujours mon village au New Jersey. Et l’identité dans tout ça ? J’avoue ne pas avoir encore de « réponse » claire à cette question. Autrefois, on me considérait comme un Américain chinois, de sorte que j’ai parfois eu à lutter contre le sentiment d’être un étranger dans mon propre environnement. Le concept d’identité devenait ainsi un problème qui exigeait potentiellement une solution – à savoir, une façon de se vêtir et de s’alimenter, ou, bien sûr, une langue. Cependant, aujourd’hui, je considère plutôt ce mot comme un point de vue mouvant et changeant sur mon propre monde. En ouvrant la réflexion, je me rends compte qu’il n’est pas nécessaire de rattacher l’identité à un seul pays, une seule région, un seul objet ou symbole. Il ne s’agit pas vraiment d’un « choix », mais d’un processus de sélection.
Flâner à travers les langues
C’est pourquoi, tout comme De Kuyper, je suis très reconnaissant envers la Belgique de m’avoir aidé à élargir mon identité culturelle. Même si je ne parle pas encore couramment le cantonais, le mandarin, le néerlandais ou le français, je savoure le plaisir de me perdre dans ces flots linguistiques multiples et sans fin. Pour le dire autrement, je suis un wanderer en anglais, un wandelaar en néerlandais, un flâneur en français, un liu liang zhe en chinois. Je voyage à travers mon propre monde multicolore, sans destination finale – ce qui rend tout ce que je croise en chemin aussi captivant que précieux.