Fact-checking : non, un vote flamand ne vaut pas « moins » qu’un vote francophone
([Politique] 2023-12-01 (De Morgen))
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- News link: https://daardaar.be/rubriques/politique/fact-checking-non-un-vote-flamand-ne-vaut-pas-moins-quun-vote-francophone/
- Source link: https://www.demorgen.be/politiek/de-mythe-die-onuitwisbaar-lijkt-neen-een-vlaamse-stem-is-niet-minder-waard-of-goedkoper-dan-een-franstalige~be93d7e5/
« La Belgique n’est pas une démocratie ! Aux Pays-Bas, un vote est un vote ! En Belgique, un vote flamand vaut moins qu’un vote francophone. » C’est ce que déclarait encore la semaine dernière la ministre flamande Zuhal Demir (N-VA) lors de l’émission De Afspraak op Vrijdag à la VRT. Voilà des années que cette affirmation circule, tout particulièrement au sein de la N-VA et du Vlaams Belang. Mais tout cela est-il bien vrai ?
Dans les milieux nationalistes flamands, on aime brandir l’argument selon lequel un vote flamand aurait « moins de valeur » qu’un vote francophone, pour montrer que la démocratie belge « ne fonctionne pas ». Ainsi, à propos des dernières élections fédérales de 2019, une comparaison du nombre de voix obtenues et du nombre de sièges gagnés indique apparemment que le PS et Ecolo ont obtenu aisément leurs sièges, puisque chacun de ces deux partis n’a dû récolter qu’environ 32 000 voix par siège, soit bien moins que certains autres partis.
La comparaison entre Ecolo et Groen est édifiante, elle aussi : alors que les deux partis ont obtenu à peu près le même nombre de votes (environ 415 000), ceux-ci ont valu treize sièges à Ecolo et seulement huit à Groen. Et que dire du CD&V ? Alors qu’il a décroché presque autant de votes que le PS, le CD&V a obtenu huit sièges de moins.
Peut-on pour autant affirmer que les sièges francophones « coûtent moins cher » que les sièges flamands ? Certainement pas. D’ailleurs, la N-VA a dû réunir beaucoup moins de voix par siège que le CdH, par exemple. Et cerise sur le gâteau, c’est pour un parti francophone qu’obtenir un siège a coûté « le plus cher » en voix : c’était DéFi.
Il n’y a tout simplement rien à redire à la répartition des sièges en fonction des résultats électoraux. La répartition entre sièges « flamands » – plus exactement, néerlandophones – et les sièges francophones est fixée proportionnellement aux chiffres de la population.
En Belgique, les élections fédérales s’organisent par circonscription électorale, de la même manière que pour les élections flamandes. Ces circonscriptions sont au nombre de 11 : les 10 provinces, et Bruxelles. Puisqu’il y a 11,6 millions d’habitants pour 150 sièges au parlement, cela revient à une moyenne de 77 500 habitants par siège.
Le nombre de sièges attribué à chaque circonscription est recalculé tous les 10 ans sur la base des derniers recensements de population. Ainsi, dès l’an prochain, sur la base des chiffres de population de mai 2022, Bruxelles et Namur vont gagner un siège par comparaison à l’élection de 2019, tandis que le Hainaut et Liège devront en céder un. C’est Anvers, province la plus peuplée du pays, à qui revient le nombre le plus élevé de sièges (24), tandis que le Luxembourg doit se contenter de tout juste quatre sièges.
Schématiquement, cela donne le tableau suivant, où la première colonne indique le nombre d’habitants par circonscription, la deuxième, le nombre de sièges et la troisième, le nombre d’habitants par siège.
Cette dernière colonne montre que dans l’ensemble, la proportionnalité de la répartition est bien respectée. Quelques légers écarts sont inévitables puisqu’il n’y a « que » 150 sièges à pourvoir, dans 11 circonscriptions totalisant plus de 11 millions d’habitants, mais chaque circonscription obtient sans discussion le nombre de sièges qui lui revient en fonction des chiffres de la population. Il n’y a ni exceptions ni régimes spéciaux, ni pour les francophones ni pour les néerlandophones.
On ne constate donc aucun favoritisme à l’égard des provinces wallonnes. Au contraire, c’est dans trois provinces wallonnes que les sièges se révèlent « les plus chers » : dans le Brabant wallon, par exemple, chaque siège « coûte » plus de 82 000 habitants, contre seulement 74 000 dans le Limbourg.
Si, pour obtenir un siège, certains partis francophones ont effectivement besoin de moins de votes que certains partis flamands, cela s’explique parfaitement.
Ainsi, la répartition des sièges par circonscription se base sur les chiffres de l’ensemble de la population, mineurs d’âge compris. Et c’est logique, puisque, comme le nom l’indique, les députés du peuple représentent toute la population, et pas seulement les électeurs.
Or proportionnellement, il y a plus de jeunes en Wallonie et (surtout) à Bruxelles qu’en Flandre. Le nombre d’électeurs rapporté à la population totale y est donc naturellement plus bas. Ainsi, en 2019, Bruxelles représentait environ 10,5 % de la population belge, mais seulement 7,6 % des électeurs. Si on se basait sur le seul nombre des électeurs pour la répartition des sièges, Bruxelles n’obtiendrait que 11 sièges et non 15. La Flandre-Occidentale, dont la population est plus âgée, en obtiendrait 17.
[1]Réduction du nombre de parlementaires: le comportement contradictoire des partis flamands
D’autres facteurs interviennent, mais cette fois, au sein même des circonscriptions. Tout d’abord, à Bruxelles et dans les circonscriptions wallonnes, le taux de participation est plus faible que dans les circonscriptions flamandes : lors des élections de 2019, près de 90 % des électeurs de Flandre sont effectivement allés voter, pour un peu plus de 86 % en Wallonie. Et un électeur qui ne se déplace pas pour voter n’est évidemment pas en mesure d’influencer la répartition des sièges.
Toujours en Wallonie et à Bruxelles, le nombre d’électeurs qui se présentent dans l’isoloir mais votent blanc ou nul est plus élevé qu’en Flandre : 8,6%, au lieu de 4,7 % en Flandre. Sur plus de 2,6 millions d’électeurs wallons, seuls 2,07 millions ont donc émis un vote valable. Or, plus le nombre de suffrages valables est bas, moins il faut obtenir de votes pour remporter un siège.
Pour illustrer clairement ce point prenons l’exemple simplifié à l’extrême de deux circonscriptions comportant le même nombre d’habitants, le même nombre de sièges et les mêmes préférences électorales : si dans la circonscription A, 100 électeurs émettent un vote valable et que dans la circonscription B, ils ne sont que 50 à le faire, les candidats de la circonscription B seront élus avec deux fois moins de voix que ceux de la circonscription A. Cela ne signifie pas pour autant que les voix de la circonscription B « valent deux fois plus ».
Notons encore un troisième et un quatrième facteur, particulièrement présents dans les circonscriptions wallonnes, et qui expliquent certains de ces « votes perdus » : en Wallonie, on compte davantage de partis qui, lors des élections, n’atteignent pas le seuil électoral de 5 %. En 2019, chaque bulletin de vote énumérait en moyenne 10 partis en Flandre, 12 à Bruxelles et 14 en Wallonie. Cela augmente mécaniquement le nombre de voix « perdues », c’est-à-dire n’aboutissant pas à l’attribution d’un siège. Cet effet est encore exacerbé par le nombre peu élevé de sièges à distribuer dans les circonscriptions wallonnes.
Ainsi, à Namur, en 2019, 14 partis, pas moins, se disputaient l’un des 6 sièges à pourvoir, tandis qu’en Flandre occidentale, on ne comptait que 8 partis pour 15 sièges. Sur les 305 000 voix exprimées à Namur, 43 000, soit 14 %, sont allées à des partis qui n’ont finalement obtenu aucun siège. Il est donc logique qu’il faille aux autres partis moins de voix pour gagner un siège. En Flandre occidentale, sur 806 000 voix, on ne comptait que 39 000 votes perdus, soit 4,8 %.
« Sur les 305 000 voix exprimées à Namur, 43 000, soit 14 %, sont allées à des partis qui n’ont finalement obtenu aucun siège. »
Il est cocasse de constater qu’en 2019, un parti nationaliste flamand a lui-même contribué à ce mécanisme : en effet, le Vlaams Belang a alors participé au scrutin dans toutes les provinces wallonnes, recueillant au total un peu plus de 18 000 voix. Nulle part, le score de ses candidats n’a été suffisant pour obtenir un siège, mais dans une telle situation, on pourrait avoir l’impression qu’un parti qui obtenu un siège a dû récolter moins de voix pour le gagner.
Les 150 sièges parlementaires sont répartis de manière parfaitement proportionnelle aux chiffres de la population. Chaque province flamande, chaque province wallonne et Bruxelles se voit attribuer le nombre de sièges correspondant au chiffre de sa population. Chaque voix a donc la même valeur. Ce qui donne parfois l’impression qu’il en est autrement, ce sont les écarts dans les proportions de voix à l’intérieur des circonscriptions, notamment en raison du nombre plus élevé d’électeurs absents, de votes blancs et de votes nuls.
[1] https://daardaar.be/rubriques/politique/reduction-du-nombre-de-parlementaires-le-comportement-contradictoire-des-partis-flamands/
Dans les milieux nationalistes flamands, on aime brandir l’argument selon lequel un vote flamand aurait « moins de valeur » qu’un vote francophone, pour montrer que la démocratie belge « ne fonctionne pas ». Ainsi, à propos des dernières élections fédérales de 2019, une comparaison du nombre de voix obtenues et du nombre de sièges gagnés indique apparemment que le PS et Ecolo ont obtenu aisément leurs sièges, puisque chacun de ces deux partis n’a dû récolter qu’environ 32 000 voix par siège, soit bien moins que certains autres partis.
La comparaison entre Ecolo et Groen est édifiante, elle aussi : alors que les deux partis ont obtenu à peu près le même nombre de votes (environ 415 000), ceux-ci ont valu treize sièges à Ecolo et seulement huit à Groen. Et que dire du CD&V ? Alors qu’il a décroché presque autant de votes que le PS, le CD&V a obtenu huit sièges de moins.
Peut-on pour autant affirmer que les sièges francophones « coûtent moins cher » que les sièges flamands ? Certainement pas. D’ailleurs, la N-VA a dû réunir beaucoup moins de voix par siège que le CdH, par exemple. Et cerise sur le gâteau, c’est pour un parti francophone qu’obtenir un siège a coûté « le plus cher » en voix : c’était DéFi.
Il n’y a tout simplement rien à redire à la répartition des sièges en fonction des résultats électoraux. La répartition entre sièges « flamands » – plus exactement, néerlandophones – et les sièges francophones est fixée proportionnellement aux chiffres de la population.
Onze circonscriptions électorales
En Belgique, les élections fédérales s’organisent par circonscription électorale, de la même manière que pour les élections flamandes. Ces circonscriptions sont au nombre de 11 : les 10 provinces, et Bruxelles. Puisqu’il y a 11,6 millions d’habitants pour 150 sièges au parlement, cela revient à une moyenne de 77 500 habitants par siège.
Le nombre de sièges attribué à chaque circonscription est recalculé tous les 10 ans sur la base des derniers recensements de population. Ainsi, dès l’an prochain, sur la base des chiffres de population de mai 2022, Bruxelles et Namur vont gagner un siège par comparaison à l’élection de 2019, tandis que le Hainaut et Liège devront en céder un. C’est Anvers, province la plus peuplée du pays, à qui revient le nombre le plus élevé de sièges (24), tandis que le Luxembourg doit se contenter de tout juste quatre sièges.
Schématiquement, cela donne le tableau suivant, où la première colonne indique le nombre d’habitants par circonscription, la deuxième, le nombre de sièges et la troisième, le nombre d’habitants par siège.
Cette dernière colonne montre que dans l’ensemble, la proportionnalité de la répartition est bien respectée. Quelques légers écarts sont inévitables puisqu’il n’y a « que » 150 sièges à pourvoir, dans 11 circonscriptions totalisant plus de 11 millions d’habitants, mais chaque circonscription obtient sans discussion le nombre de sièges qui lui revient en fonction des chiffres de la population. Il n’y a ni exceptions ni régimes spéciaux, ni pour les francophones ni pour les néerlandophones.
On ne constate donc aucun favoritisme à l’égard des provinces wallonnes. Au contraire, c’est dans trois provinces wallonnes que les sièges se révèlent « les plus chers » : dans le Brabant wallon, par exemple, chaque siège « coûte » plus de 82 000 habitants, contre seulement 74 000 dans le Limbourg.
Ne pas confondre « population » et « électeurs »
Si, pour obtenir un siège, certains partis francophones ont effectivement besoin de moins de votes que certains partis flamands, cela s’explique parfaitement.
Ainsi, la répartition des sièges par circonscription se base sur les chiffres de l’ensemble de la population, mineurs d’âge compris. Et c’est logique, puisque, comme le nom l’indique, les députés du peuple représentent toute la population, et pas seulement les électeurs.
Or proportionnellement, il y a plus de jeunes en Wallonie et (surtout) à Bruxelles qu’en Flandre. Le nombre d’électeurs rapporté à la population totale y est donc naturellement plus bas. Ainsi, en 2019, Bruxelles représentait environ 10,5 % de la population belge, mais seulement 7,6 % des électeurs. Si on se basait sur le seul nombre des électeurs pour la répartition des sièges, Bruxelles n’obtiendrait que 11 sièges et non 15. La Flandre-Occidentale, dont la population est plus âgée, en obtiendrait 17.
[1]Réduction du nombre de parlementaires: le comportement contradictoire des partis flamands
En Wallonie, il y a davantage d’absentéisme, de votes blancs et de votes invalides
D’autres facteurs interviennent, mais cette fois, au sein même des circonscriptions. Tout d’abord, à Bruxelles et dans les circonscriptions wallonnes, le taux de participation est plus faible que dans les circonscriptions flamandes : lors des élections de 2019, près de 90 % des électeurs de Flandre sont effectivement allés voter, pour un peu plus de 86 % en Wallonie. Et un électeur qui ne se déplace pas pour voter n’est évidemment pas en mesure d’influencer la répartition des sièges.
Toujours en Wallonie et à Bruxelles, le nombre d’électeurs qui se présentent dans l’isoloir mais votent blanc ou nul est plus élevé qu’en Flandre : 8,6%, au lieu de 4,7 % en Flandre. Sur plus de 2,6 millions d’électeurs wallons, seuls 2,07 millions ont donc émis un vote valable. Or, plus le nombre de suffrages valables est bas, moins il faut obtenir de votes pour remporter un siège.
Pour illustrer clairement ce point prenons l’exemple simplifié à l’extrême de deux circonscriptions comportant le même nombre d’habitants, le même nombre de sièges et les mêmes préférences électorales : si dans la circonscription A, 100 électeurs émettent un vote valable et que dans la circonscription B, ils ne sont que 50 à le faire, les candidats de la circonscription B seront élus avec deux fois moins de voix que ceux de la circonscription A. Cela ne signifie pas pour autant que les voix de la circonscription B « valent deux fois plus ».
Plus de listes en Wallonie – pour moins de sièges
Notons encore un troisième et un quatrième facteur, particulièrement présents dans les circonscriptions wallonnes, et qui expliquent certains de ces « votes perdus » : en Wallonie, on compte davantage de partis qui, lors des élections, n’atteignent pas le seuil électoral de 5 %. En 2019, chaque bulletin de vote énumérait en moyenne 10 partis en Flandre, 12 à Bruxelles et 14 en Wallonie. Cela augmente mécaniquement le nombre de voix « perdues », c’est-à-dire n’aboutissant pas à l’attribution d’un siège. Cet effet est encore exacerbé par le nombre peu élevé de sièges à distribuer dans les circonscriptions wallonnes.
Ainsi, à Namur, en 2019, 14 partis, pas moins, se disputaient l’un des 6 sièges à pourvoir, tandis qu’en Flandre occidentale, on ne comptait que 8 partis pour 15 sièges. Sur les 305 000 voix exprimées à Namur, 43 000, soit 14 %, sont allées à des partis qui n’ont finalement obtenu aucun siège. Il est donc logique qu’il faille aux autres partis moins de voix pour gagner un siège. En Flandre occidentale, sur 806 000 voix, on ne comptait que 39 000 votes perdus, soit 4,8 %.
« Sur les 305 000 voix exprimées à Namur, 43 000, soit 14 %, sont allées à des partis qui n’ont finalement obtenu aucun siège. »
Il est cocasse de constater qu’en 2019, un parti nationaliste flamand a lui-même contribué à ce mécanisme : en effet, le Vlaams Belang a alors participé au scrutin dans toutes les provinces wallonnes, recueillant au total un peu plus de 18 000 voix. Nulle part, le score de ses candidats n’a été suffisant pour obtenir un siège, mais dans une telle situation, on pourrait avoir l’impression qu’un parti qui obtenu un siège a dû récolter moins de voix pour le gagner.
Conclusion
Les 150 sièges parlementaires sont répartis de manière parfaitement proportionnelle aux chiffres de la population. Chaque province flamande, chaque province wallonne et Bruxelles se voit attribuer le nombre de sièges correspondant au chiffre de sa population. Chaque voix a donc la même valeur. Ce qui donne parfois l’impression qu’il en est autrement, ce sont les écarts dans les proportions de voix à l’intérieur des circonscriptions, notamment en raison du nombre plus élevé d’électeurs absents, de votes blancs et de votes nuls.
[1] https://daardaar.be/rubriques/politique/reduction-du-nombre-de-parlementaires-le-comportement-contradictoire-des-partis-flamands/