L’affaire des visas iraniens dépasse totalement les querelles politiques internes
([Opinions, Politique] 2023-06-01 (De Wereld Morgen))
- Reference: 2023-06_Belgaimage-69435392-255x170
- News link: https://daardaar.be/rubriques/opinions/laffaire-des-visas-iraniens-depasse-totalement-les-querelles-politiques-internes/
- Source link: https://www.dewereldmorgen.be/artikel/2023/06/23/politieke-klasse-miskent-internationaal-belang-iraanse-visa-kwestie/
Dans un certain sens, on peut comprendre que la N-VA et consorts, oubliant les inepties de leurs propres ministres dans le passé, exigent comme des chiens en chaleur assoiffés de sang la démission de la ministre fédérale des Affaires étrangères Hadja Lahbib (MR). Par contre, que des partis de la coalition la désavouent également, c’est incompréhensible. En effet, les enjeux internationaux soulevés par l’affaire des visas dépassent totalement les querelles politiques internes.
Bien entendu, il y a bien des raisons de critiquer la nomination de Hadja Lahbib au poste de ministre fédérale des Affaires étrangères. Qu’en 2023, il soit encore possible d’attribuer une fonction internationale d’une telle importance à une personne qui ne maîtrise pas suffisamment l’autre langue nationale, c’est déjà une chose.
Bien sûr, les ministres ne sont pas élus. Rien ne s’oppose d’ailleurs à nommer ministre quelqu’un qui n’ait jamais exercé le moindre mandat électif ou qui ne dispose pas de la moindre expérience dans le domaine de sa compétence. Avec tout le respect que nous devons aux journalistes, interviewer des présidents ne démontre aucune expérience, bien au contraire. Mais bon, partons du principe qu’une ministre a les qualités de ses collaborateurs et des services à sa disposition.
Si la diplomatie belge ne s’illustre pas vraiment par son idéalisme ni par son engagement, elle fournit bel et bien un travail de qualité. Les diplomates belges prodiguent des conseils étayés sur la base d’une solide connaissance des dossiers. Lahbib n’a sans doute pas repris le cabinet de Sophie Wilmès, qui a dû démissionner pour des raisons relevant de sa vie privée.
Le corps diplomatique belge ne commet que peu, voire jamais d’erreurs. Nos diplomates expérimentés sont régulièrement chargés d’intervenir auprès de personnes ou d’organisations avec lesquelles l’État belge ne veut ou ne peut pas discuter, comme des groupes figurant sur la liste européenne des organisations terroristes.
Pour une néophyte comme Lahbib, il est essentiel d’être toujours bien préparée. Une bonne ministre fait confiance à ses services et suit généralement ses recommandations. Cela ne signifie pas pour autant que les ministres sont des marionnettes. Ce sont effectivement les ministres qui élaborent – toujours en concertation avec l’exécutif dans son ensemble – les lignes politiques qui guideront les services au moment de fournir des conseils concrets et pratiques. Et une ministre des Affaires étrangères doit en outre – et bien plus que les autres ministres – souvent danser sur la corde raide.
Ces derniers mois, les diplomates belges ont travaillé dur, ils ont mobilisé tout leur savoir et toute leur expérience pour libérer Olivier Vandecasteele des geôles iraniennes. Refuser de délivrer un visa au maire de Téhéran au cours des dernières journées de négociations aurait plus que probablement contrecarré tout le processus de libération, au point peut-être de le faire échouer.
Nous connaissons les caractéristiques du régime iranien. Celles-ci expliquent-elles l’isolement du pays sur la scène internationale ? Ou les sanctions économiques drastiques que nous lui imposons ? Il est évidemment permis d’en douter, car en fin de compte, notre pays, comme tous les autres États membres de l’UE, entretient d’excellentes relations avec des régimes encore pires, non seulement au Moyen-Orient, mais aussi en dehors. Si l’Iran est isolé, c’est avant tout parce qu’il ne suit pas une ligne pro-occidentale. Il y aurait encore beaucoup à dire sur le sujet.
Le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord sur le nucléaire a permis à l’Iran de commencer à développer ses capacités de production d’armes nucléaires. L’UE, de son côté, aimerait reconfirmer cet accord afin d’empêcher l’Iran à produire ce type d’armement, car la dernière chose dont le monde a besoin, surtout dans une région aussi explosive, c’est d’une puissance nucléaire en plus.
Pour y parvenir, il faut absolument une diplomatie discrète, qui maintienne les lignes de communication ouvertes et qui ne soient pas confirmées officiellement. Cette pratique est aussi vieille que l’apparition des États-nations au 19 e siècle.
Il ne fait aucun doute que d’autres sujets ont été traités lors des négociations concernant Olivier Vandecasteele, et que des accords oraux ont été conclus. La libération de Vandecasteele repose sur des promesses faites oralement, et aucune trace n’a été conservée sur papier.
Mon hypothèse est la suivante : la ministre Lahbib et le Premier ministre De Croo, en raison d’accords conclus au cours des négociations sur Vandecasteele, ne peuvent rien dire pour justifier le visa délivré au maire iranien. Rejeter la responsabilité sur le ministre régional bruxellois Pascal Smet n’est cependant pas fair-play, et témoigne surtout d’une certaine panique.
Qu’aurait donc bien pu faire la ministre ? Elle aurait pu informer les députés de la majorité siégeant à la commission Affaires étrangères, sous le sceau de la confidentialité, des accords conclus avec l’Iran. Aussi, ses services auraient dû la prévenir du visa en question, afin qu’elle puisse bien préparer ses réponses aux parlementaires et aux journalistes.
Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, toute la bonne volonté que la Belgique a su insuffler à l’Iran pour qu’il renoue des liens diplomatiques avec l’UE a probablement été perdue.
Au-delà de l’affaire Vandecasteele, il existe une autre raison, plus essentielle, de ne pas participer à l’affolement général. Les relations diplomatiques et multilatérales sont en effet cruciales pour éviter ou du moins pour déminer les tensions.
À cet égard, il est plus que normal de se concerter avec des pays et leurs représentants dans le cadre d’institutions internationales telles que l’ONU ou à l’occasion de conférences internationales. Et ceci vaut aussi pour les pays avec lesquels nous entretenons des divergences d’opinions fondamentales.
Ces dernières années, surtout depuis l’invasion russe en Ukraine, nous constatons que la scène internationale se polarise de plus en plus : les bons (nous) face aux méchants, les démocraties contre les autocraties, l’Occident contre le reste du monde. Tout ce bruit autour du maire de Téhéran n’est qu’un symptôme parmi d’autres de cette nouvelle Guerre froide.
En jetant l’anathème sur des pays que nous n’apprécions pas, et en les excluant systématiquement, nous n’obtiendrons que plus de polarisation et plus de tensions à l’échelle mondiale, ce qui augmentera les risques de conflits.
Poursuivre sur la même voie nous mènera à une situation comparable à celle des années précédant la Première Guerre mondiale : personne ne voulait la guerre à l’époque, mais nous avons tout fait pour la rendre inévitable.
Et encore, nous n’avons pas encore évoqué le fait que cette diabolisation et cette exclusion de pays comme l’Iran relèvent du deux poids, deux mesures. Nous continuons à faire des affaires juteuses avec l’Arabie Saoudite, et les responsables communaux du port d’Anvers n’éprouvent aucune gêne à s’asseoir à la même table que les représentants de ce pays. D’ailleurs, aucun ministre ni aucun bourgmestre n’ont été interpellés à ce sujet.
Rien, dans ce qui précède, ne justifie la manière dont la N-VA s’accroche à ce dossier. Notre site ( [1]www.dewereldmorgen.be ) a déjà suffisamment dénoncé la débâcle du gouvernement flamand, mais là n’est pas la question.
Il n’y a, en soi, rien d’étonnant à ce qu’un parti politique, qui a lui-même déjà été pris à maintes reprises les doigts dans le pot de confiture pas fraîche, ose jouer les vierges éplorées. C’est devenu monnaie courante en politique au 21 e siècle. Le problème, c’est que les médias ne prennent quasiment pas la peine de dénoncer cette hypocrisie.
La ministre Lahbib doit-elle démissionner ? Cette affaire vaut-elle une crise gouvernementale au fédéral un an avant les élections ? Je ne pense pas. Et je le dis sans sympathie pour la coalition actuelle.
Les verts sont à la veille d’une catastrophe électorale digne de celle de 2003, la success story de Vooruit risque de ne plus tenir longtemps, et les sondages ne sont favorables ni aux libéraux ni aux chrétiens-démocrates.
Pour la N-VA, cette affaire n’a rien à voir avec de nobles principes, et encore moins avec la crédibilité internationale de la Belgique. Pour ce parti séparatiste, une seule chose importe : démontrer que la Belgique ne fonctionne pas. Qu’importe si on peut démontrer la même chose, avec bien plus d’arguments encore, pour la Flandre.
Le but ultime demeure en effet la scission du pays par la crise politique. C’est aussi leur seule chance d’y parvenir, car les sondages sont éloquents : il n’y a que 18 à 20 pour cent des Flamands qui seraient favorables à une séparation du pays.
Pourquoi, alors, 40 pour cent des Flamands votent-ils malgré tout pour deux partis séparatistes ? C’est très simple : ils votent pour ces partis pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le communautaire ni avec la langue. Ces autres raisons sont d’ordre socio-économique. Les deux partis ne font pourtant rien à ce sujet, au contraire même. Au Parlement européen, les représentants de ces deux partis se sont opposés à toutes les propositions sociales qui leur ont été présentées ces dernières années.
Et ils s’en fichent royalement que leur soif de séparatisme mette en péril les intérêts internationaux de paix et de désarmement.
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Bien entendu, il y a bien des raisons de critiquer la nomination de Hadja Lahbib au poste de ministre fédérale des Affaires étrangères. Qu’en 2023, il soit encore possible d’attribuer une fonction internationale d’une telle importance à une personne qui ne maîtrise pas suffisamment l’autre langue nationale, c’est déjà une chose.
Bien sûr, les ministres ne sont pas élus. Rien ne s’oppose d’ailleurs à nommer ministre quelqu’un qui n’ait jamais exercé le moindre mandat électif ou qui ne dispose pas de la moindre expérience dans le domaine de sa compétence. Avec tout le respect que nous devons aux journalistes, interviewer des présidents ne démontre aucune expérience, bien au contraire. Mais bon, partons du principe qu’une ministre a les qualités de ses collaborateurs et des services à sa disposition.
Un corps diplomatique de haut niveau
Si la diplomatie belge ne s’illustre pas vraiment par son idéalisme ni par son engagement, elle fournit bel et bien un travail de qualité. Les diplomates belges prodiguent des conseils étayés sur la base d’une solide connaissance des dossiers. Lahbib n’a sans doute pas repris le cabinet de Sophie Wilmès, qui a dû démissionner pour des raisons relevant de sa vie privée.
Le corps diplomatique belge ne commet que peu, voire jamais d’erreurs. Nos diplomates expérimentés sont régulièrement chargés d’intervenir auprès de personnes ou d’organisations avec lesquelles l’État belge ne veut ou ne peut pas discuter, comme des groupes figurant sur la liste européenne des organisations terroristes.
Pour une néophyte comme Lahbib, il est essentiel d’être toujours bien préparée. Une bonne ministre fait confiance à ses services et suit généralement ses recommandations. Cela ne signifie pas pour autant que les ministres sont des marionnettes. Ce sont effectivement les ministres qui élaborent – toujours en concertation avec l’exécutif dans son ensemble – les lignes politiques qui guideront les services au moment de fournir des conseils concrets et pratiques. Et une ministre des Affaires étrangères doit en outre – et bien plus que les autres ministres – souvent danser sur la corde raide.
Ces derniers mois, les diplomates belges ont travaillé dur, ils ont mobilisé tout leur savoir et toute leur expérience pour libérer Olivier Vandecasteele des geôles iraniennes. Refuser de délivrer un visa au maire de Téhéran au cours des dernières journées de négociations aurait plus que probablement contrecarré tout le processus de libération, au point peut-être de le faire échouer.
Nous connaissons les caractéristiques du régime iranien. Celles-ci expliquent-elles l’isolement du pays sur la scène internationale ? Ou les sanctions économiques drastiques que nous lui imposons ? Il est évidemment permis d’en douter, car en fin de compte, notre pays, comme tous les autres États membres de l’UE, entretient d’excellentes relations avec des régimes encore pires, non seulement au Moyen-Orient, mais aussi en dehors. Si l’Iran est isolé, c’est avant tout parce qu’il ne suit pas une ligne pro-occidentale. Il y aurait encore beaucoup à dire sur le sujet.
Le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord sur le nucléaire a permis à l’Iran de commencer à développer ses capacités de production d’armes nucléaires. L’UE, de son côté, aimerait reconfirmer cet accord afin d’empêcher l’Iran à produire ce type d’armement, car la dernière chose dont le monde a besoin, surtout dans une région aussi explosive, c’est d’une puissance nucléaire en plus.
Pour y parvenir, il faut absolument une diplomatie discrète, qui maintienne les lignes de communication ouvertes et qui ne soient pas confirmées officiellement. Cette pratique est aussi vieille que l’apparition des États-nations au 19 e siècle.
Il ne fait aucun doute que d’autres sujets ont été traités lors des négociations concernant Olivier Vandecasteele, et que des accords oraux ont été conclus. La libération de Vandecasteele repose sur des promesses faites oralement, et aucune trace n’a été conservée sur papier.
Des accords secrets
Mon hypothèse est la suivante : la ministre Lahbib et le Premier ministre De Croo, en raison d’accords conclus au cours des négociations sur Vandecasteele, ne peuvent rien dire pour justifier le visa délivré au maire iranien. Rejeter la responsabilité sur le ministre régional bruxellois Pascal Smet n’est cependant pas fair-play, et témoigne surtout d’une certaine panique.
Qu’aurait donc bien pu faire la ministre ? Elle aurait pu informer les députés de la majorité siégeant à la commission Affaires étrangères, sous le sceau de la confidentialité, des accords conclus avec l’Iran. Aussi, ses services auraient dû la prévenir du visa en question, afin qu’elle puisse bien préparer ses réponses aux parlementaires et aux journalistes.
Il n’en demeure pas moins qu’aujourd’hui, toute la bonne volonté que la Belgique a su insuffler à l’Iran pour qu’il renoue des liens diplomatiques avec l’UE a probablement été perdue.
Collaboration internationale pour la paix
Au-delà de l’affaire Vandecasteele, il existe une autre raison, plus essentielle, de ne pas participer à l’affolement général. Les relations diplomatiques et multilatérales sont en effet cruciales pour éviter ou du moins pour déminer les tensions.
À cet égard, il est plus que normal de se concerter avec des pays et leurs représentants dans le cadre d’institutions internationales telles que l’ONU ou à l’occasion de conférences internationales. Et ceci vaut aussi pour les pays avec lesquels nous entretenons des divergences d’opinions fondamentales.
Ces dernières années, surtout depuis l’invasion russe en Ukraine, nous constatons que la scène internationale se polarise de plus en plus : les bons (nous) face aux méchants, les démocraties contre les autocraties, l’Occident contre le reste du monde. Tout ce bruit autour du maire de Téhéran n’est qu’un symptôme parmi d’autres de cette nouvelle Guerre froide.
En jetant l’anathème sur des pays que nous n’apprécions pas, et en les excluant systématiquement, nous n’obtiendrons que plus de polarisation et plus de tensions à l’échelle mondiale, ce qui augmentera les risques de conflits.
Poursuivre sur la même voie nous mènera à une situation comparable à celle des années précédant la Première Guerre mondiale : personne ne voulait la guerre à l’époque, mais nous avons tout fait pour la rendre inévitable.
Et encore, nous n’avons pas encore évoqué le fait que cette diabolisation et cette exclusion de pays comme l’Iran relèvent du deux poids, deux mesures. Nous continuons à faire des affaires juteuses avec l’Arabie Saoudite, et les responsables communaux du port d’Anvers n’éprouvent aucune gêne à s’asseoir à la même table que les représentants de ce pays. D’ailleurs, aucun ministre ni aucun bourgmestre n’ont été interpellés à ce sujet.
Démonter tout ce qui relève du fédéral
Rien, dans ce qui précède, ne justifie la manière dont la N-VA s’accroche à ce dossier. Notre site ( [1]www.dewereldmorgen.be ) a déjà suffisamment dénoncé la débâcle du gouvernement flamand, mais là n’est pas la question.
Il n’y a, en soi, rien d’étonnant à ce qu’un parti politique, qui a lui-même déjà été pris à maintes reprises les doigts dans le pot de confiture pas fraîche, ose jouer les vierges éplorées. C’est devenu monnaie courante en politique au 21 e siècle. Le problème, c’est que les médias ne prennent quasiment pas la peine de dénoncer cette hypocrisie.
La ministre Lahbib doit-elle démissionner ? Cette affaire vaut-elle une crise gouvernementale au fédéral un an avant les élections ? Je ne pense pas. Et je le dis sans sympathie pour la coalition actuelle.
Les verts sont à la veille d’une catastrophe électorale digne de celle de 2003, la success story de Vooruit risque de ne plus tenir longtemps, et les sondages ne sont favorables ni aux libéraux ni aux chrétiens-démocrates.
Pour la N-VA, cette affaire n’a rien à voir avec de nobles principes, et encore moins avec la crédibilité internationale de la Belgique. Pour ce parti séparatiste, une seule chose importe : démontrer que la Belgique ne fonctionne pas. Qu’importe si on peut démontrer la même chose, avec bien plus d’arguments encore, pour la Flandre.
Le but ultime demeure en effet la scission du pays par la crise politique. C’est aussi leur seule chance d’y parvenir, car les sondages sont éloquents : il n’y a que 18 à 20 pour cent des Flamands qui seraient favorables à une séparation du pays.
Pourquoi, alors, 40 pour cent des Flamands votent-ils malgré tout pour deux partis séparatistes ? C’est très simple : ils votent pour ces partis pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le communautaire ni avec la langue. Ces autres raisons sont d’ordre socio-économique. Les deux partis ne font pourtant rien à ce sujet, au contraire même. Au Parlement européen, les représentants de ces deux partis se sont opposés à toutes les propositions sociales qui leur ont été présentées ces dernières années.
Et ils s’en fichent royalement que leur soif de séparatisme mette en péril les intérêts internationaux de paix et de désarmement.