Le mépris du néerlandais chez les politiques francophones: une menace pour la Belgique
([Opinions, Politique] 2023-06-01 (De Standaard))
- Reference: 2023-06_Belgaimage-69158805-255x170
- News link: https://daardaar.be/rubriques/opinions/le-mepris-du-neerlandais-chez-les-politiques-francophones-une-menace-pour-la-belgique/
- Source link: https://www.standaard.be/cnt/dmf20230626_96639936
Dirk Achten constate que les politiques, les hauts fonctionnaires et les diplomates francophones maîtrisent de plus en plus mal le néerlandais et l’anglais. En cela, ils affaiblissent l’État fédéral qu’ils prétendent défendre.
Ce fut un grand moment de solitude. S’adressant au roi des Pays-Bas et à son entourage, la présidente de la Chambre, Eliane Tillieux (PS) s’exprimait de manière si gauche qu’au bout de quelques phrases le roi l’a très aimablement autorisée à poursuivre en français. Après tout, il fallait bien que ses paroles restent au moins intelligibles. Grand soulagement chez l’oratrice. Le fait que certains membres de la délégation néerlandaise, et en particulier le roi des Pays-Bas, ne maîtrisent pas le français comme deuxième langue restera dans les mémoires comme un dommage collatéral. Après tout, ce n’est pas vraiment un problème, si ?
Eh bien si, évidemment. C’était — plus exactement, c’est — un problème, et non des moindres. Que la présidente du Parlement fédéral accueille le roi des Pays-Bas en français est un manque de respect gênant. Imaginons un instant le prédécesseur d’Eliane Tillieux, Siegfried Bracke (N-VA), recevant le président français Emmanuel Macron en néerlandais, ou en anglais. On en aurait entendu parler dans les chaumières ! C’est bien le signe qu’après toutes ces années, rien ou presque n’a changé : les hommes et femmes politiques francophones nommés à des fonctions importantes au fédéral ne jugent pas utile d’apprendre et de pratiquer la langue de la majorité néerlandophone du pays. Le mépris est toujours omniprésent [1][1] .
[2]Faut-il obliger le jeune francophone à apprendre le néerlandais à l’école ?
Cela va même plus loin. Leur maîtrise de l’anglais, elle aussi, se révèle dramatiquement insuffisante. Ainsi, la ministre de la Défense, Ludivine Dedonder (PS), aurait les plus grandes difficultés à s’exprimer en anglais. Comment diable la représentante d’un petit pays — qui investit d’ailleurs trop peu, depuis trop longtemps, dans sa défense — pourrait-elle faire la différence lors d’une réunion de l’OTAN ? C’est simple : elle ne le peut pas. Cette même ministre éprouve d’ailleurs les mêmes difficultés à s’exprimer en néerlandais. Mais ça, on pouvait s’y attendre.
Tout cela nous amène inévitablement à la ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib (MR). C’est exactement la même histoire : la ministre parle à peine le néerlandais, ce qui a considérablement nui à ses interventions à la Chambre, [3]après l’affaire des visas iraniens . Comment se montrer convaincante, quand on en est réduite à livrer sa version des choses en ânonnant son texte ? En anglais, aussi, elle éprouve bien des difficultés. Alors bien sûr, on peut rêver chaque nuit de l’importance mondiale de la francophonie, mais pour un(e) ministre des Affaires étrangères, dans le monde d’aujourd’hui, c’est un peu court.
« En Flandre, personne ne conteste que la maîtrise des langues est une condition indispensable à l’exercice correct d’une fonction au fédéral. »
N’allez pas croire pour autant que tous les politiques flamands sont de joyeux polyglottes. Loin de là. En entendant certains d’entre eux prononcer un discours en anglais, il m’est déjà arrivé d’avoir envie de rentrer sous terre. Mais au moins, je n’ai jamais constaté cette condescendance qui voudrait réduire la maîtrise des langues à un luxe superflu. En Flandre, personne ne conteste que la maîtrise des langues est une condition indispensable à l’exercice correct d’une fonction au fédéral.
Ce principe devrait d’ailleurs s’appliquer aussi aux hauts fonctionnaires, et certainement aux présidents des services publics fédéraux (ceux que l’on appelait autrefois les secrétaires généraux). Hélas ! Là aussi, on est loin du compte. Sous la pression des francophones — et c’est récent — tout ce que l’on exige, c’est une « connaissance fonctionnelle » de la deuxième langue nationale. On est donc bien loin du bilinguisme légal auquel on serait en droit de s’attendre. D’ailleurs, que signifie exactement cette notion ? On l’ignore. Mais cela ne va guère au-delà de la faculté de comprendre un texte simple, de niveau d’école primaire.
[4]« Les Wallons ne méprisent pas le néerlandais, ils ont juste peur »
Ce même problème se pose constamment lors du recrutement de diplomates francophones. Année après année, on doit constater que trop peu de candidats francophones satisfont aux exigences minimales de compétence linguistique. Dès lors, on ne peut pas nommer certains candidats néerlandophones pourtant valables. Car, bien entendu, il faut maintenir en permanence l’équilibre entre les deux groupes linguistiques. D’où une pénurie structurelle de personnel et un affaiblissement de l’appareil d’État fédéral.
« On ne peut pas à la fois se vanter tous les jours d’être un bon Belge et ne faire aucun effort pour apprendre la langue ni la culture de la majorité de la population de son pays. »
On peut dès lors se poser la question : quel est le projet des francophones pour notre pays ? On ne peut pas à la fois se vanter tous les jours d’être un bon Belge et ne faire aucun effort pour apprendre la langue ni la culture de la majorité de la population de son pays. On ne peut pas à la fois défendre la Belgique avec tambour et trompette et nommer des candidats unilingues à des postes fédéraux à vocation internationale. Car avec une telle attitude, on ne se contente pas de nuire à l’efficacité de l’État fédéral que l’on prétend chérir, on fait preuve d’un mépris sans bornes à l’égard de la majorité néerlandophone du pays, dont on a pourtant besoin pour le maintenir à flot.
Remédier à cette problématique exige de la part des politiques francophones un minimum de sérieux. Il faudrait cesser de prendre comme critère ultime des considérations électorales à court terme. Dans bon nombre de fonctions, la compétence linguistique n’est pas qu’un atout comme un autre, c’est une véritable nécessité. Balayer systématiquement cette question d’un revers de la main, comme par le passé, c’est affaiblir l’État fédéral qu’on prétend défendre.
[5][1] En français dans le texte.
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Ce fut un grand moment de solitude. S’adressant au roi des Pays-Bas et à son entourage, la présidente de la Chambre, Eliane Tillieux (PS) s’exprimait de manière si gauche qu’au bout de quelques phrases le roi l’a très aimablement autorisée à poursuivre en français. Après tout, il fallait bien que ses paroles restent au moins intelligibles. Grand soulagement chez l’oratrice. Le fait que certains membres de la délégation néerlandaise, et en particulier le roi des Pays-Bas, ne maîtrisent pas le français comme deuxième langue restera dans les mémoires comme un dommage collatéral. Après tout, ce n’est pas vraiment un problème, si ?
Eh bien si, évidemment. C’était — plus exactement, c’est — un problème, et non des moindres. Que la présidente du Parlement fédéral accueille le roi des Pays-Bas en français est un manque de respect gênant. Imaginons un instant le prédécesseur d’Eliane Tillieux, Siegfried Bracke (N-VA), recevant le président français Emmanuel Macron en néerlandais, ou en anglais. On en aurait entendu parler dans les chaumières ! C’est bien le signe qu’après toutes ces années, rien ou presque n’a changé : les hommes et femmes politiques francophones nommés à des fonctions importantes au fédéral ne jugent pas utile d’apprendre et de pratiquer la langue de la majorité néerlandophone du pays. Le mépris est toujours omniprésent [1][1] .
[2]Faut-il obliger le jeune francophone à apprendre le néerlandais à l’école ?
Cela va même plus loin. Leur maîtrise de l’anglais, elle aussi, se révèle dramatiquement insuffisante. Ainsi, la ministre de la Défense, Ludivine Dedonder (PS), aurait les plus grandes difficultés à s’exprimer en anglais. Comment diable la représentante d’un petit pays — qui investit d’ailleurs trop peu, depuis trop longtemps, dans sa défense — pourrait-elle faire la différence lors d’une réunion de l’OTAN ? C’est simple : elle ne le peut pas. Cette même ministre éprouve d’ailleurs les mêmes difficultés à s’exprimer en néerlandais. Mais ça, on pouvait s’y attendre.
Connaissance fonctionnelle
Tout cela nous amène inévitablement à la ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib (MR). C’est exactement la même histoire : la ministre parle à peine le néerlandais, ce qui a considérablement nui à ses interventions à la Chambre, [3]après l’affaire des visas iraniens . Comment se montrer convaincante, quand on en est réduite à livrer sa version des choses en ânonnant son texte ? En anglais, aussi, elle éprouve bien des difficultés. Alors bien sûr, on peut rêver chaque nuit de l’importance mondiale de la francophonie, mais pour un(e) ministre des Affaires étrangères, dans le monde d’aujourd’hui, c’est un peu court.
« En Flandre, personne ne conteste que la maîtrise des langues est une condition indispensable à l’exercice correct d’une fonction au fédéral. »
N’allez pas croire pour autant que tous les politiques flamands sont de joyeux polyglottes. Loin de là. En entendant certains d’entre eux prononcer un discours en anglais, il m’est déjà arrivé d’avoir envie de rentrer sous terre. Mais au moins, je n’ai jamais constaté cette condescendance qui voudrait réduire la maîtrise des langues à un luxe superflu. En Flandre, personne ne conteste que la maîtrise des langues est une condition indispensable à l’exercice correct d’une fonction au fédéral.
Ce principe devrait d’ailleurs s’appliquer aussi aux hauts fonctionnaires, et certainement aux présidents des services publics fédéraux (ceux que l’on appelait autrefois les secrétaires généraux). Hélas ! Là aussi, on est loin du compte. Sous la pression des francophones — et c’est récent — tout ce que l’on exige, c’est une « connaissance fonctionnelle » de la deuxième langue nationale. On est donc bien loin du bilinguisme légal auquel on serait en droit de s’attendre. D’ailleurs, que signifie exactement cette notion ? On l’ignore. Mais cela ne va guère au-delà de la faculté de comprendre un texte simple, de niveau d’école primaire.
[4]« Les Wallons ne méprisent pas le néerlandais, ils ont juste peur »
Avec tambour et trompette
Ce même problème se pose constamment lors du recrutement de diplomates francophones. Année après année, on doit constater que trop peu de candidats francophones satisfont aux exigences minimales de compétence linguistique. Dès lors, on ne peut pas nommer certains candidats néerlandophones pourtant valables. Car, bien entendu, il faut maintenir en permanence l’équilibre entre les deux groupes linguistiques. D’où une pénurie structurelle de personnel et un affaiblissement de l’appareil d’État fédéral.
« On ne peut pas à la fois se vanter tous les jours d’être un bon Belge et ne faire aucun effort pour apprendre la langue ni la culture de la majorité de la population de son pays. »
On peut dès lors se poser la question : quel est le projet des francophones pour notre pays ? On ne peut pas à la fois se vanter tous les jours d’être un bon Belge et ne faire aucun effort pour apprendre la langue ni la culture de la majorité de la population de son pays. On ne peut pas à la fois défendre la Belgique avec tambour et trompette et nommer des candidats unilingues à des postes fédéraux à vocation internationale. Car avec une telle attitude, on ne se contente pas de nuire à l’efficacité de l’État fédéral que l’on prétend chérir, on fait preuve d’un mépris sans bornes à l’égard de la majorité néerlandophone du pays, dont on a pourtant besoin pour le maintenir à flot.
Remédier à cette problématique exige de la part des politiques francophones un minimum de sérieux. Il faudrait cesser de prendre comme critère ultime des considérations électorales à court terme. Dans bon nombre de fonctions, la compétence linguistique n’est pas qu’un atout comme un autre, c’est une véritable nécessité. Balayer systématiquement cette question d’un revers de la main, comme par le passé, c’est affaiblir l’État fédéral qu’on prétend défendre.
[5][1] En français dans le texte.