Que retrouve-t-on vraiment au menu des restaurants aujourd’hui?
([Culture et Médias, kuisine] 2022-12-01 (De Standaard))
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- News link: https://daardaar.be/kuisine/que-retrouve-t-on-vraiment-au-menu-des-restaurants-aujourdhui/
- Source link: https://www.standaard.be/cnt/dmf20221025_94195255
Le film « Boiling Point » (The Chef) jette un regard franc, voire impertinent, sur les coulisses d’un restaurant gastronomique. Que se passe-t-il vraiment en cuisine ? Joachim Boudens du Hertog Jan : « Jurer ne sert à rien. »
Dans « Boiling Point », le stress est palpable de bout en bout dans la cuisine d’un grand restaurant. Car servir des repas, c’est cuisiner, mais aussi ne pas négliger une foule de détails : commander les matières premières, découper les ingrédients, assurer le travail administratif, contrôler les températures, motiver le personnel, satisfaire les convives, gérer les réservations et les annulations… Et veiller à ce que les clients passent un bon moment loin de toute cette frénésie. Joachim Boudens, copropriétaire du groupe Hertog Jan, compare la cuisine à un sport de haut niveau. « Chaque service s’apparente à une compétition qui exige d’être performant ici et maintenant. Un tour de force qui crée un flot de pression et de concentration, à distinguer du stress source d’erreurs. »
Selon le chef deux étoiles Michael Vrijmoed, « le stress dans une cuisine révèle généralement la nécessité d’apporter des modifications à la structure ».
Au début du film, le personnage principal insulte son personnel, dont il exige qu’il s’adresse toujours à lui en l’appelant « chef ». Avant de s’excuser, réalisant combien sa brigade est précieuse pour assurer le bon déroulement du service. Certains des membres du personnel ne manquent d’ailleurs pas de répartie. Une nouvelle évolution dans le secteur de la restauration, où prévalait autrefois un modèle hiérarchisé d’inspiration militaire, au sein duquel le chef avait tout à dire et son personnel rien. « Aujourd’hui, la plupart des restaurateurs et des chefs se rendent compte de l’importance de motiver et de fidéliser leur équipe. On n’obtient pas de meilleurs résultats en jurant, bien au contraire », explique Joachim Boudens.
Le film met en lumière la relation entre le chef, qui apparaît dans les médias, et le sous-chef qui endosse en réalité l’ensemble du travail. Danny Vanderschueren, du restaurant Silo’s à Boortmeerbeek, y voit le reflet de la réalité. « Je ne veux plus de chef, je veux une brigade de cuisine soudée. Parce qu’un chef arrive toujours le dernier et repart le premier. Entre les deux, il ne fait pas grand-chose . »
Kobe Desramaults a récemment évoqué dans De Tijd les « restaurants où le chef passe saluer les convives en fin de service, avant de retourner à ses occupations : regarder la télévision, confortablement installé dans un fauteuil ».
Autre source de tension dans le film : le rapport négatif d’un inspecteur de l’Afsca locale. Une scène qui pointe la valeur cruciale d’une hygiène irréprochable en cuisine. Entre un commis qui se lave les mains dans l’évier des légumes, un réfrigérateur réglé à une température trop élevée et un chef qui lèche une cuillère avant de la remettre dans le plat. « On n’est jamais trop attentifs à l’hygiène, il en va de la santé des clients », estime Michael Vrijmoed.
Joachim Boudens souligne la tendance des cuisines ouvertes « où les chefs sont constamment épiés et se doivent donc d’être irréprochables ».
Le chef prévient sa brigade de la présence d’une célèbre critique culinaire à la table 4 ! Le stress atteint son paroxysme lorsqu’une horde d’influenceurs exigent un plat qui ne figure pas au menu et commandent du vin à foison, tout en précisant leur intention de ne pas régler la note parce qu’ils « ont 30 000 followers ».
[1]Horeca : une pluie d’étoiles Michelin… et un torrent de faillites
« Les réseaux sociaux représentent un monstre qui veut être nourri en permanence », déplore Joachim Boudens. « Aujourd’hui, les restaurateurs accueillent plus de blogueurs que de journalistes. Et souvent, on leur réclame des repas gratuits, ouvertement ou de manière détournée. Il leur arrive de céder, conscients de l’impact que peuvent avoir les réseaux sociaux. Malgré le risque de ne récolter que des miettes du fameux gâteau de l’attention . »
Et Michael Vrijmoed d’ajouter : « Des collègues me racontent qu’ils reçoivent de plus en plus la visite d’influenceurs aux demandes spéciales. Mais je refuse de sauter dans ce train en marche . »
Le film lève également le voile sur les clients exigeants, voire odieux. « Les chefs sont sous les projecteurs, et les serveurs souvent oubliés », poursuit Joachim Boudens. « Pourtant, ils jouent un rôle incroyablement important à coups de grandes compétences sociales et de perspicacité psychologique pour gérer certaines situations . »
« Les chefs sont sous les projecteurs, et les serveurs souvent oubliés »
Les souhaits de plus en plus personnalisés des clients constituent également un phénomène récent. « Les allergies et les intolérances alimentaires ont énormément augmenté, ce qui représente un vrai casse-tête pour certains chefs. Sans compter les convives qui prétendent ne pas aimer certains ingrédients . »
Le film montre jusqu’où peut mener une véritable intolérance lorsqu’une cliente doit se rendre séance tenante à l’hôpital parce que la cuisine lui a servi par erreur un ingrédient auquel elle avait signalé être allergique. « Raison de plus de jouer franc jeu et de ne pas prendre à la légère les problèmes de santé des convives », affirme Joachim Boudens.
[2]L’hypocrisie des carnivores que nous sommes
Tout au long du film, le chef sirote le contenu d’une gourde, qui – spoiler alert, on le comprend en bout de course –contient de l’alcool. Ce n’est d’ailleurs pas sa seule addiction puisqu’il ne rechigne pas à une ligne de cocaïne de temps en temps.
Joachim Boudens reconnaît les dangers du métier. « Les restaurateurs et les chefs vivent dans un univers où l’alcool est à portée de main. La tentation est grande pour décompresser lorsque le stress monte. Mais la dépendance s’ajoute souvent à des problèmes personnels . »
À l’instar des autres drogues, l’alcool est néanmoins un grand tabou dans le monde de la restauration. Même les chefs qui ne boivent pas une goutte pendant la semaine de travail ont refusé d’être cités, par crainte que les lecteurs ne les associent à ce problème. « Cela dit, l’horeca n’est certainement pas le seul secteur où l’alcool et les drogues circulent », conclut Joachim Boudens.
[1] https://daardaar.be/rubriques/economie/horeca-une-pluie-detoiles-michelin-et-un-torrent-de-faillites/
[2] https://daardaar.be/rubriques/hypocrisie-carnivores/
Dans « Boiling Point », le stress est palpable de bout en bout dans la cuisine d’un grand restaurant. Car servir des repas, c’est cuisiner, mais aussi ne pas négliger une foule de détails : commander les matières premières, découper les ingrédients, assurer le travail administratif, contrôler les températures, motiver le personnel, satisfaire les convives, gérer les réservations et les annulations… Et veiller à ce que les clients passent un bon moment loin de toute cette frénésie. Joachim Boudens, copropriétaire du groupe Hertog Jan, compare la cuisine à un sport de haut niveau. « Chaque service s’apparente à une compétition qui exige d’être performant ici et maintenant. Un tour de force qui crée un flot de pression et de concentration, à distinguer du stress source d’erreurs. »
Selon le chef deux étoiles Michael Vrijmoed, « le stress dans une cuisine révèle généralement la nécessité d’apporter des modifications à la structure ».
Chef vs. sous-chef
Au début du film, le personnage principal insulte son personnel, dont il exige qu’il s’adresse toujours à lui en l’appelant « chef ». Avant de s’excuser, réalisant combien sa brigade est précieuse pour assurer le bon déroulement du service. Certains des membres du personnel ne manquent d’ailleurs pas de répartie. Une nouvelle évolution dans le secteur de la restauration, où prévalait autrefois un modèle hiérarchisé d’inspiration militaire, au sein duquel le chef avait tout à dire et son personnel rien. « Aujourd’hui, la plupart des restaurateurs et des chefs se rendent compte de l’importance de motiver et de fidéliser leur équipe. On n’obtient pas de meilleurs résultats en jurant, bien au contraire », explique Joachim Boudens.
Le film met en lumière la relation entre le chef, qui apparaît dans les médias, et le sous-chef qui endosse en réalité l’ensemble du travail. Danny Vanderschueren, du restaurant Silo’s à Boortmeerbeek, y voit le reflet de la réalité. « Je ne veux plus de chef, je veux une brigade de cuisine soudée. Parce qu’un chef arrive toujours le dernier et repart le premier. Entre les deux, il ne fait pas grand-chose . »
Kobe Desramaults a récemment évoqué dans De Tijd les « restaurants où le chef passe saluer les convives en fin de service, avant de retourner à ses occupations : regarder la télévision, confortablement installé dans un fauteuil ».
Hygiène
Autre source de tension dans le film : le rapport négatif d’un inspecteur de l’Afsca locale. Une scène qui pointe la valeur cruciale d’une hygiène irréprochable en cuisine. Entre un commis qui se lave les mains dans l’évier des légumes, un réfrigérateur réglé à une température trop élevée et un chef qui lèche une cuillère avant de la remettre dans le plat. « On n’est jamais trop attentifs à l’hygiène, il en va de la santé des clients », estime Michael Vrijmoed.
Joachim Boudens souligne la tendance des cuisines ouvertes « où les chefs sont constamment épiés et se doivent donc d’être irréprochables ».
Médias et réseaux sociaux
Le chef prévient sa brigade de la présence d’une célèbre critique culinaire à la table 4 ! Le stress atteint son paroxysme lorsqu’une horde d’influenceurs exigent un plat qui ne figure pas au menu et commandent du vin à foison, tout en précisant leur intention de ne pas régler la note parce qu’ils « ont 30 000 followers ».
[1]Horeca : une pluie d’étoiles Michelin… et un torrent de faillites
« Les réseaux sociaux représentent un monstre qui veut être nourri en permanence », déplore Joachim Boudens. « Aujourd’hui, les restaurateurs accueillent plus de blogueurs que de journalistes. Et souvent, on leur réclame des repas gratuits, ouvertement ou de manière détournée. Il leur arrive de céder, conscients de l’impact que peuvent avoir les réseaux sociaux. Malgré le risque de ne récolter que des miettes du fameux gâteau de l’attention . »
Et Michael Vrijmoed d’ajouter : « Des collègues me racontent qu’ils reçoivent de plus en plus la visite d’influenceurs aux demandes spéciales. Mais je refuse de sauter dans ce train en marche . »
Désidératas
Le film lève également le voile sur les clients exigeants, voire odieux. « Les chefs sont sous les projecteurs, et les serveurs souvent oubliés », poursuit Joachim Boudens. « Pourtant, ils jouent un rôle incroyablement important à coups de grandes compétences sociales et de perspicacité psychologique pour gérer certaines situations . »
« Les chefs sont sous les projecteurs, et les serveurs souvent oubliés »
Les souhaits de plus en plus personnalisés des clients constituent également un phénomène récent. « Les allergies et les intolérances alimentaires ont énormément augmenté, ce qui représente un vrai casse-tête pour certains chefs. Sans compter les convives qui prétendent ne pas aimer certains ingrédients . »
Le film montre jusqu’où peut mener une véritable intolérance lorsqu’une cliente doit se rendre séance tenante à l’hôpital parce que la cuisine lui a servi par erreur un ingrédient auquel elle avait signalé être allergique. « Raison de plus de jouer franc jeu et de ne pas prendre à la légère les problèmes de santé des convives », affirme Joachim Boudens.
[2]L’hypocrisie des carnivores que nous sommes
Alcool et autres substances
Tout au long du film, le chef sirote le contenu d’une gourde, qui – spoiler alert, on le comprend en bout de course –contient de l’alcool. Ce n’est d’ailleurs pas sa seule addiction puisqu’il ne rechigne pas à une ligne de cocaïne de temps en temps.
Joachim Boudens reconnaît les dangers du métier. « Les restaurateurs et les chefs vivent dans un univers où l’alcool est à portée de main. La tentation est grande pour décompresser lorsque le stress monte. Mais la dépendance s’ajoute souvent à des problèmes personnels . »
À l’instar des autres drogues, l’alcool est néanmoins un grand tabou dans le monde de la restauration. Même les chefs qui ne boivent pas une goutte pendant la semaine de travail ont refusé d’être cités, par crainte que les lecteurs ne les associent à ce problème. « Cela dit, l’horeca n’est certainement pas le seul secteur où l’alcool et les drogues circulent », conclut Joachim Boudens.
[1] https://daardaar.be/rubriques/economie/horeca-une-pluie-detoiles-michelin-et-un-torrent-de-faillites/
[2] https://daardaar.be/rubriques/hypocrisie-carnivores/