Le snobisme : un mal plus pernicieux que le coronavirus
([Opinions, Rubriques, Société] 2022-04-01 (De Standaard))
- Reference: 2022-04_fun-g46ee8c6b2_1920
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Durant mes études secondaires, j’ai dû lire « Le dîner » de Herman Koch. L’histoire singulière d’un repas au cours duquel le lecteur découvre progressivement que deux garçons ont commis un acte irréparable. Ces jeunes se sont sentis invulnérables, au sommet de la hiérarchie sociale. Ils ont perdu leurs repères dans la société et leur conscience morale s’est délitée. Mais la réaction de leurs parents, les traits de caractère héréditaires et l’éducation ont aussi joué un rôle important.
Je me souviens d’avoir refermé ce livre avec un sentiment très désagréable. Qui ferait une chose pareille ? Et comment gère-t-on cette situation en tant que parent ? Comment comprendre l’incompréhensible ? Lorsque j’ai exprimé ce dégoût à ma professeure de néerlandais, elle m’a réconfortée en me disant : « Ce n’est qu’une histoire, ce n’est pas la réalité ». Cela m’a rassurée. J’ai rangé ce livre et je n’y ai plus jamais repensé. Un an plus tard, Sanda Dia est mort.
De nombreux éléments de l’histoire de Sanda me rappellent l’intrigue du « Dîner » : l’idée d’être invulnérable, la morale outragée, la fin fatale. La fiction est devenue réalité. Et je me pose les mêmes questions qu’autrefois. La seule différence ? Dans « le dîner », nous ne savons pas ce qu’il adviendra de ces garçons. En revanche, nous serons bientôt fixés sur le sort des étudiants du cercle Reuzegom.
La honte
J’étudie le droit à la KUL depuis trois ans. Mon compagnon, qui souhaite devenir ingénieur civil, est actuellement en troisième année de bachelier, le moment où tout a basculé pour Sanda. Chaque jour, je passe devant In Den Boule , le café habituel de l’ancien club estudiantin. Et je ne peux m’empêcher de repenser à ce terrible événement et aux paroles de ma professeure de néerlandais : « Ce n’est pas la réalité ». Elle avait tort.
Je n’ai jamais connu Sanda. J’ai eu une enfance privilégiée et pratiquement tous mes proches ont un diplôme. À cet égard, mon profil ressemble davantage à celui des garçons assis dans le box des accusés qu’à celui du garçon décédé.
Et étrangement, j’ai l’impression d’être en partie responsable de cette horreur. J’ai honte à leur place et honte de mon ego. Le snobisme est un mal plus pernicieux que le coronavirus.
Toutefois, ne nous méprenons pas : ces jeunes étudiants sont un exemple extrême. Ce n’est pas tous les jours que l’on urine sur quelqu’un à Louvain (enfin, je crois ?). Les membres de ce cercle estudiantin ne souhaitaient pas du tout cette mort, eux non plus. C’est difficile à accepter, mais ce procès aurait aussi pu s’appeler « Justice pour Strontvlieg ». Ces jeunes ont été aveuglés par leurs propres traumatismes, par l’idée de tradition, par l’illusion qu’il faut se soumettre à certains rituels pour être accepté. Ils vont payer pour quelque chose qu’ils ont subi, eux aussi.
Quelle peine recevront-ils pour la mort de Sanda ? Il est important de noter qu’un juge fonde sa décision sur le droit, et non sur un sentiment de justice. Il est donc peu probable que l’un d’entre eux passe ne fût-ce qu’un seul jour en prison. Personne ne sortira grandi de cette affaire. La juge va devoir trouver une peine qui ouvre des perspectives à toutes les parties, même si cela paraît, à première vue, inconcevable. Si elle y parvient, les membres du cercle estudiantin porteront leur croix avec dignité, la famille de Sanda surmontera son chagrin avec le temps et la morale retrouvera sa place dans la société. Autrement dit, le dîner aura été consommé.
En tant que société, nous devons donner une place à l’histoire. Mais celle-ci doit surtout rester dans les mémoires. Il n’y aura une #justicepoursandadia que lorsque l’éthique l’emportera sur la tradition, que l’appartenance ne se facturera pas 1 200 euros et ne vous coûtera pas votre propre vie… Il n’y aura une #justicepoursandadia que lorsque tout le monde se sentira vulnérable.
Je me souviens d’avoir refermé ce livre avec un sentiment très désagréable. Qui ferait une chose pareille ? Et comment gère-t-on cette situation en tant que parent ? Comment comprendre l’incompréhensible ? Lorsque j’ai exprimé ce dégoût à ma professeure de néerlandais, elle m’a réconfortée en me disant : « Ce n’est qu’une histoire, ce n’est pas la réalité ». Cela m’a rassurée. J’ai rangé ce livre et je n’y ai plus jamais repensé. Un an plus tard, Sanda Dia est mort.
De nombreux éléments de l’histoire de Sanda me rappellent l’intrigue du « Dîner » : l’idée d’être invulnérable, la morale outragée, la fin fatale. La fiction est devenue réalité. Et je me pose les mêmes questions qu’autrefois. La seule différence ? Dans « le dîner », nous ne savons pas ce qu’il adviendra de ces garçons. En revanche, nous serons bientôt fixés sur le sort des étudiants du cercle Reuzegom.
La honte
J’étudie le droit à la KUL depuis trois ans. Mon compagnon, qui souhaite devenir ingénieur civil, est actuellement en troisième année de bachelier, le moment où tout a basculé pour Sanda. Chaque jour, je passe devant In Den Boule , le café habituel de l’ancien club estudiantin. Et je ne peux m’empêcher de repenser à ce terrible événement et aux paroles de ma professeure de néerlandais : « Ce n’est pas la réalité ». Elle avait tort.
Je n’ai jamais connu Sanda. J’ai eu une enfance privilégiée et pratiquement tous mes proches ont un diplôme. À cet égard, mon profil ressemble davantage à celui des garçons assis dans le box des accusés qu’à celui du garçon décédé.
Et étrangement, j’ai l’impression d’être en partie responsable de cette horreur. J’ai honte à leur place et honte de mon ego. Le snobisme est un mal plus pernicieux que le coronavirus.
Toutefois, ne nous méprenons pas : ces jeunes étudiants sont un exemple extrême. Ce n’est pas tous les jours que l’on urine sur quelqu’un à Louvain (enfin, je crois ?). Les membres de ce cercle estudiantin ne souhaitaient pas du tout cette mort, eux non plus. C’est difficile à accepter, mais ce procès aurait aussi pu s’appeler « Justice pour Strontvlieg ». Ces jeunes ont été aveuglés par leurs propres traumatismes, par l’idée de tradition, par l’illusion qu’il faut se soumettre à certains rituels pour être accepté. Ils vont payer pour quelque chose qu’ils ont subi, eux aussi.
Quelle peine recevront-ils pour la mort de Sanda ? Il est important de noter qu’un juge fonde sa décision sur le droit, et non sur un sentiment de justice. Il est donc peu probable que l’un d’entre eux passe ne fût-ce qu’un seul jour en prison. Personne ne sortira grandi de cette affaire. La juge va devoir trouver une peine qui ouvre des perspectives à toutes les parties, même si cela paraît, à première vue, inconcevable. Si elle y parvient, les membres du cercle estudiantin porteront leur croix avec dignité, la famille de Sanda surmontera son chagrin avec le temps et la morale retrouvera sa place dans la société. Autrement dit, le dîner aura été consommé.
En tant que société, nous devons donner une place à l’histoire. Mais celle-ci doit surtout rester dans les mémoires. Il n’y aura une #justicepoursandadia que lorsque l’éthique l’emportera sur la tradition, que l’appartenance ne se facturera pas 1 200 euros et ne vous coûtera pas votre propre vie… Il n’y aura une #justicepoursandadia que lorsque tout le monde se sentira vulnérable.