La victoire de Biniam Girmay à Gand-Wevelgem ouvre des perspectives pour le cyclisme africain
([Société, Sport] 2022-03-01 (De Standaard))
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En s’imposant sur les routes de Gand-Wevelgem, Biniam Girmay est devenu le premier Africain à remporter une grande classique. Un succès historique pour l’internationalisation du cyclisme. Ce triomphe pourrait ériger l’Érythréen au rang de modèle pour les jeunes en Afrique, qui voient souvent dans le sport (cycliste) un moyen d’échapper à la pauvreté.
Jusqu’à tard dans la soirée de vendredi dernier, Gand-Wevelgem ne figurait pourtant pas au programme de Biniam Girmay. Mais Alexander Kristoff, le leader tout désigné de la formation Intermarché-Wanty-Gobert, tombe alors malade et le directeur sportif de l’équipe demande à Girmay s’il serait disposé à ajouter une dernière course à son programme avant d’aller retrouver sa femme et son bébé en Érythrée.
Biniam Girmay, qui vient tout juste de terminer cinquième de sa première grande course en Flandre, à Harelbeke, se montre flexible et accepte la proposition, malgré son empressement à retrouver sa famille et sa patrie après trois longs mois loin d’eux. Bien lui en prend, car pour sa toute première participation à Gand-Wevelgem, un exploit sensationnel l’attend au bout du chemin.
Plus d’un siècle et demi après la naissance du cyclisme, il est clair que cette première victoire d’un coureur africain sur une classique représente un événement majeur dans l’histoire de l’internationalisation de ce sport. Après son épopée victorieuse, Girmay tentait de mettre des mots sur ce qu’il venait d’accomplir. « Gand-Wevelgem est une course tellement importante. Pour mon équipe et moi-même, en premier lieu, mais également pour le cyclisme africain, évidemment . »
De manière surprenante, l’histoire des coureurs africains sur les routes européennes remonte pourtant loin dans le temps. La première participation de cyclistes venus d’Afrique au Tour de France date en effet de 1910 : trois Algériens se présentent alors au départ de la Grande Boucle, mais aucun d’eux n’atteindra Paris. Trois ans plus tard, c’est un Tunisien que l’on retrouve sur les routes du Tour : il ne verra pas l’arrivée de l’épreuve lui non plus et disparaîtra dans les abîmes de l’histoire du vélo.
Il faut attendre la période après la Seconde Guerre mondiale pour que des coureurs africains fassent parler d’eux en raison de leurs performances. En 1950, Marcel Molinès, qui représente l’Algérie, alors colonie française, devient le premier Africain à remporter une étape du Tour. Cette victoire sera toutefois vite éclipsée par l’histoire invraisemblable de son compatriote Abdel-Kader Zaaf : celui-ci avait attaqué lors de la même étape, avait accepté une bouteille de vin qu’on lui avait proposée en chemin et s’était ensuite…assoupi sous un arbre avant de poursuivre sa route, zigzaguant, dans la mauvaise direction !
[1]Le cyclisme, sport de tous les dangers
Cette anecdote haute en couleurs s’inscrit parfaitement dans la vision ethnocentrique qui accompagnera les coureurs africains durant cette période, ainsi que lors des décennies suivantes. Longtemps, les cyclistes originaires d’Afrique subsaharienne seront présentés comme des artistes de cirque, à l’image de Paul Tachteris, un étudiant ruandais qui, à la fin des années septante, sera chargé d’animer les courses de kermesses en Belgique en échange d’un pull et d’un pantalon. Sans le savoir, Tachteris sera le précurseur d’une modeste série d’ « expériences » avec des Africains au sein du peloton (professionnel) européen.
Ce n’est que lorsque le Néerlandais Hein Verbruggen devient président de l’Union cycliste internationale (UCI) que le ton change à l’égard du continent africain et que ce dernier reçoit véritablement sa chance, pour la première fois. Verbruggen veut en effet faire de la mondialisation du cyclisme l’un des grands axes de sa politique. La création du Centre mondial du cyclisme à Aigle (Suisse), où est basé le siège de l’UCI, sera d’ailleurs un événement déterminant dans cette optique. Ouvert en 2002, ce centre organise des camps d’entraînement pour coureurs originaires de « contrées exotiques ». C’est ce parcours-là qu’effectuera Girmay avant d’intégrer le peloton professionnel européen.
[2]Le Tour des Flandres, un rituel sacré
L’homme d’Asmara marche sur les traces de ses compatriotes Daniel Teklehaimanot et Merhawi Kudus, qui sont devenus en 2015 les premiers Érythréens – et même les premiers ressortissants d’Afrique subsaharienne – à prendre le départ du Tour de France. Une première qui n’est pas non plus passée inaperçue sur le plan sportif, Teklehaimanot devenant le premier Africain à s’emparer du maillot à pois (Ndt: le maillot dévolu au meilleur grimpeur de l’épreuve), ce qui lui vaudra une réception digne d’un président dans son pays, où le cyclisme est comme une religion.
L’année suivante, l’euphorie autour du cyclisme africain monte encore d’un cran lorsqu’une équipe africaine, Team Dimension Data, reçoit pour la première fois une licence pour participer à l’UCI WorldTour, la Champions League du cyclisme. Le réservoir de talents africains paraît alors assuré, mais le projet perd de son aura au fil des ans. Les sponsors se retirent, l’équipe – entretemps rebaptisée Qhubeka-NextHash – ne parvient plus à boucler son budget et elle finira par disparaître de la première division à l’aube de la saison 2022.
Quelques mois plus tard, pourtant, l’avenir du cyclisme africain paraît de nouveau plus radieux et cela ne semble plus être qu’une question de temps avant qu’il attire de nouveaux investisseurs. Les bases de ce renouveau ont été jetées lors des derniers CM en Flandre, avec l’annonce des premiers championnats du monde organisés sur le sol africain (ce sera au Rwanda en 2025) et la découverte d’un diamant brut lors de la course des espoirs : un certain Biniam Girmay qui, en se parant d’argent, devient le premier coureur d’Afrique subsaharienne à décrocher une médaille aux championnats du monde.
[3]Mondiaux de cyclisme en Flandre : bon pour l’image et le portefeuille
Les images de l’accueil triomphal qui lui est réservé dans son pays font alors le tour du monde. « Il ne fait guère de doute que je serai de nouveau accueilli chaleureusement lors des prochains jours », supposait-il dimanche soir. Ce qui est certain, également, c’est qu’avec cette victoire à Gand-Wevelgem, l’Érythréen est bien parti pour devenir un modèle pour les jeunes Africains, qui voient souvent dans le sport (cycliste) un moyen d’échapper à la pauvreté. À quelques jours de son 22 e anniversaire, ce diamant brut ne semble être qu’au début d’une belle carrière, durant laquelle beaucoup d’autres grandes victoires pourraient venir enrichir son palmarès.
« L’avenir du cyclisme africain s’annonce radieux », affirme Girmay. « Cette victoire ouvre des perspectives. J’espère que d’autres coureurs africains viendront bientôt me rejoindre au sein du peloton . »
[1] https://daardaar.be/rubriques/le-cyclisme-sport-de-tous-les-dangers/
[2] https://daardaar.be/rubriques/sport/le-tour-des-flandres-un-rituel-sacre/
[3] https://daardaar.be/rubriques/sport/mondiaux-de-cyclisme-en-flandre-bon-pour-limage-et-le-portefeuille/
Jusqu’à tard dans la soirée de vendredi dernier, Gand-Wevelgem ne figurait pourtant pas au programme de Biniam Girmay. Mais Alexander Kristoff, le leader tout désigné de la formation Intermarché-Wanty-Gobert, tombe alors malade et le directeur sportif de l’équipe demande à Girmay s’il serait disposé à ajouter une dernière course à son programme avant d’aller retrouver sa femme et son bébé en Érythrée.
Biniam Girmay, qui vient tout juste de terminer cinquième de sa première grande course en Flandre, à Harelbeke, se montre flexible et accepte la proposition, malgré son empressement à retrouver sa famille et sa patrie après trois longs mois loin d’eux. Bien lui en prend, car pour sa toute première participation à Gand-Wevelgem, un exploit sensationnel l’attend au bout du chemin.
Plus d’un siècle et demi après la naissance du cyclisme, il est clair que cette première victoire d’un coureur africain sur une classique représente un événement majeur dans l’histoire de l’internationalisation de ce sport. Après son épopée victorieuse, Girmay tentait de mettre des mots sur ce qu’il venait d’accomplir. « Gand-Wevelgem est une course tellement importante. Pour mon équipe et moi-même, en premier lieu, mais également pour le cyclisme africain, évidemment . »
Ivre, il s’endort au pied d’un arbre !
De manière surprenante, l’histoire des coureurs africains sur les routes européennes remonte pourtant loin dans le temps. La première participation de cyclistes venus d’Afrique au Tour de France date en effet de 1910 : trois Algériens se présentent alors au départ de la Grande Boucle, mais aucun d’eux n’atteindra Paris. Trois ans plus tard, c’est un Tunisien que l’on retrouve sur les routes du Tour : il ne verra pas l’arrivée de l’épreuve lui non plus et disparaîtra dans les abîmes de l’histoire du vélo.
Il faut attendre la période après la Seconde Guerre mondiale pour que des coureurs africains fassent parler d’eux en raison de leurs performances. En 1950, Marcel Molinès, qui représente l’Algérie, alors colonie française, devient le premier Africain à remporter une étape du Tour. Cette victoire sera toutefois vite éclipsée par l’histoire invraisemblable de son compatriote Abdel-Kader Zaaf : celui-ci avait attaqué lors de la même étape, avait accepté une bouteille de vin qu’on lui avait proposée en chemin et s’était ensuite…assoupi sous un arbre avant de poursuivre sa route, zigzaguant, dans la mauvaise direction !
[1]Le cyclisme, sport de tous les dangers
Cette anecdote haute en couleurs s’inscrit parfaitement dans la vision ethnocentrique qui accompagnera les coureurs africains durant cette période, ainsi que lors des décennies suivantes. Longtemps, les cyclistes originaires d’Afrique subsaharienne seront présentés comme des artistes de cirque, à l’image de Paul Tachteris, un étudiant ruandais qui, à la fin des années septante, sera chargé d’animer les courses de kermesses en Belgique en échange d’un pull et d’un pantalon. Sans le savoir, Tachteris sera le précurseur d’une modeste série d’ « expériences » avec des Africains au sein du peloton (professionnel) européen.
Centre de formation
Ce n’est que lorsque le Néerlandais Hein Verbruggen devient président de l’Union cycliste internationale (UCI) que le ton change à l’égard du continent africain et que ce dernier reçoit véritablement sa chance, pour la première fois. Verbruggen veut en effet faire de la mondialisation du cyclisme l’un des grands axes de sa politique. La création du Centre mondial du cyclisme à Aigle (Suisse), où est basé le siège de l’UCI, sera d’ailleurs un événement déterminant dans cette optique. Ouvert en 2002, ce centre organise des camps d’entraînement pour coureurs originaires de « contrées exotiques ». C’est ce parcours-là qu’effectuera Girmay avant d’intégrer le peloton professionnel européen.
[2]Le Tour des Flandres, un rituel sacré
L’homme d’Asmara marche sur les traces de ses compatriotes Daniel Teklehaimanot et Merhawi Kudus, qui sont devenus en 2015 les premiers Érythréens – et même les premiers ressortissants d’Afrique subsaharienne – à prendre le départ du Tour de France. Une première qui n’est pas non plus passée inaperçue sur le plan sportif, Teklehaimanot devenant le premier Africain à s’emparer du maillot à pois (Ndt: le maillot dévolu au meilleur grimpeur de l’épreuve), ce qui lui vaudra une réception digne d’un président dans son pays, où le cyclisme est comme une religion.
L’année suivante, l’euphorie autour du cyclisme africain monte encore d’un cran lorsqu’une équipe africaine, Team Dimension Data, reçoit pour la première fois une licence pour participer à l’UCI WorldTour, la Champions League du cyclisme. Le réservoir de talents africains paraît alors assuré, mais le projet perd de son aura au fil des ans. Les sponsors se retirent, l’équipe – entretemps rebaptisée Qhubeka-NextHash – ne parvient plus à boucler son budget et elle finira par disparaître de la première division à l’aube de la saison 2022.
Les championnats du monde au Rwanda
Quelques mois plus tard, pourtant, l’avenir du cyclisme africain paraît de nouveau plus radieux et cela ne semble plus être qu’une question de temps avant qu’il attire de nouveaux investisseurs. Les bases de ce renouveau ont été jetées lors des derniers CM en Flandre, avec l’annonce des premiers championnats du monde organisés sur le sol africain (ce sera au Rwanda en 2025) et la découverte d’un diamant brut lors de la course des espoirs : un certain Biniam Girmay qui, en se parant d’argent, devient le premier coureur d’Afrique subsaharienne à décrocher une médaille aux championnats du monde.
[3]Mondiaux de cyclisme en Flandre : bon pour l’image et le portefeuille
Les images de l’accueil triomphal qui lui est réservé dans son pays font alors le tour du monde. « Il ne fait guère de doute que je serai de nouveau accueilli chaleureusement lors des prochains jours », supposait-il dimanche soir. Ce qui est certain, également, c’est qu’avec cette victoire à Gand-Wevelgem, l’Érythréen est bien parti pour devenir un modèle pour les jeunes Africains, qui voient souvent dans le sport (cycliste) un moyen d’échapper à la pauvreté. À quelques jours de son 22 e anniversaire, ce diamant brut ne semble être qu’au début d’une belle carrière, durant laquelle beaucoup d’autres grandes victoires pourraient venir enrichir son palmarès.
« L’avenir du cyclisme africain s’annonce radieux », affirme Girmay. « Cette victoire ouvre des perspectives. J’espère que d’autres coureurs africains viendront bientôt me rejoindre au sein du peloton . »
[1] https://daardaar.be/rubriques/le-cyclisme-sport-de-tous-les-dangers/
[2] https://daardaar.be/rubriques/sport/le-tour-des-flandres-un-rituel-sacre/
[3] https://daardaar.be/rubriques/sport/mondiaux-de-cyclisme-en-flandre-bon-pour-limage-et-le-portefeuille/