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  ARM Give a man a fire and he's warm for a day, but set fire to him and he's warm for the rest of his life (Terry Pratchett, Jingo)

La langue est bien vivante, descendez-la donc de son piédestal !

([Culture et Médias, Opinions] 2021-12-01 (De Standaard))


Proposé comme substitut à « il » et « elle », le pronom « iel » a dernièrement fait son entrée au Petit Robert. La nouvelle a suscité l’indignation des puristes. Jamais, au grand jamais, les preux défenseurs de la langue – qui voient l’écriture inclusive comme « un effet de mode », comme une énième prolongation de la culture woke, comme une incapacité à relativiser – ne succomberont et ne se plieront pas à une telle absurdité. Tel est, en gros, la teneur du tollé.

Fautes d’accord, anglicismes, tics de langage, argot des jeunes : autant de sujets dont on débat rarement dans un climat apaisé. Dans le même ordre d’idée, les adaptations linguistiques destinées à inclure les non-binaires (à savoir les personnes qui ne se retrouvent pas dans les catégories de genre traditionnelles homme/femme) suscitent souvent de vives réactions d’opposition. La confusion grammaticale que provoquent les pronoms neutres n’y est sans doute pas étrangère.

Langue Sacrée



Mais il n’est pas seulement question de confusion grammaticale : le débat linguistique dévie rapidement sur l’identité. La langue est en nous, fait partie intégrante de notre identité. Elle nous berce depuis notre naissance et nous ne voulons pas la voir changer. Enfin, quand je dis « nous », permettez-moi de me tenir un instant à l’écart de ce collectif, car je ne me reconnais pas dans ce réflexe conservateur, particulièrement présent au sein de l’ancienne génération – dont je fais malheureusement partie.

L’intransigeance et l’acharnement dont certains font preuve pour défendre la Langue Sacrée me surprennent. Comme si toute modification, tout ajout, aussi minimes soient-ils, les heurtaient au plus profond d’eux-mêmes. Je trouve cette réaction pour le moins paradoxale, puisqu’ils reprochent cette même hypersensibilité aux non-binaires. Ils soutiennent par ailleurs que leur combat n’a rien à voir avec l’hypersensibilité ou un quelconque manque de recul : ils sont des amoureux de la langue, et les amoureux de la langue ne s’avouent jamais vaincus.

Cette posture me rappelle la façon dont Ruud Hendrickx, conseiller linguistique à la VRT, était monté au front il y a quelques années, affirmant que ceux qui se plaignaient de la dégradation de la langue ne l’aimaient en réalité pas vraiment. Je crois comprendre où il veut en venir. Les amateurs autoproclamés de la langue ont tendance à la mettre sur un piédestal. Or, tout ce qui se trouve sur un piédestal est froid et sans vie.

En dépit des efforts de certains de les éviter à tout prix, les néologismes réussissent la plupart du temps à s’imposer. Qu’on le veuille ou non, la langue évolue. La réalité nous rattrape plus vite qu’on ne le voudrait. Pas besoin de chercher bien loin, j’en suis moi-même un exemple. Il y a quelques années, le célèbre « Oh my god » des adolescentes m’insupportait au plus haut

point, contaminées qu’elles étaient par les émissions de télé-réalité et leurs divas aux mains manucurées et au langage maniéré. Vous l’aurez compris, il m’arrive pourtant, à moi aussi, de laisser échapper cette expression à l’occasion. Si une expression que je désapprouve se glisse ainsi dans mon vocabulaire, comment m’interdire d’en faire de même avec un phénomène linguistique que je défends pleinement ?

Une question de respect



Dans mon entourage, quelques personnes ne trouvent pas leur place dans le modèle traditionnel homme-femme. L’une d’elles est en couple avec ma nièce. Je ne perçois chez elle aucune forme d’hypersensibilité. Cette personne a ses préférences en matière de pronom, mais ne s’offusque pas pour autant lorsque quelqu’un se trompe et la mégenre. Partir du principe que ces personnes sont toutes hypersensibles, exigeantes et susceptibles est très réducteur. « Iels » se représentent ainsi comme un groupe d’individus animés par un désir légitime : que leur identité soit vue et reconnue. À ce titre, cet ajout mineur dans la langue française n’est autre qu’une question de respect et d’empathie.

J’ai appris que pas mal de jeunes utilisent déjà le pronom « iel ». Certains appellent cela de la fainéantise, mais je n’en fais pas partie. Je trouve la démarche intelligente et pragmatique, même si je crois que l’adoption de ce changement est en partie inconsciente. Il en est ainsi depuis la nuit des temps. La jeune génération est peut-être la mieux placée pour nous rappeler que la langue a un cœur qui bat, que du sang coule dans ses veines. Qu’elle est vivante et que nous devons en prendre soin. La langue, la vraie, n’a que faire de ce piédestal.



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