Primauté du droit européen : et si la Pologne avait raison ?
([Politique] 2021-10-01 (De Tijd))
- Reference: 2021-10_flag-g00cbffb56_1920
- News link: https://daardaar.be/rubriques/politique/primaute-du-droit-europeen-et-si-la-pologne-avait-raison/
- Source link: https://www.tijd.be/opinie/commentaar/misschien-hebben-de-polen-soms-ook-eens-gelijk/10340344.html
Aujourd’hui s’ouvre à Bruxelles un sommet européen au cours duquel le gouvernement polonais livrera une nouvelle bataille dans la guerre qui l’oppose à l’Union européenne depuis des années au sujet du pluralisme et de l’État de droit démocratique. Après une audition au Parlement européen plus tôt dans la semaine, le conflit risque d’atteindre son paroxysme.
Les points de discorde sont multiples. Varsovie viole le principe de séparation des pouvoirs, en mettant les juges au pas. Mais aussi les valeurs portées par le pluralisme, en instaurant des zones « sans idéologie LGBT » dans le pays. Et encore la liberté de la presse, en muselant les médias.
Sur tous ces points, il est légitime – et nécessaire – de se dresser contre le gouvernement polonais. Lorsque la Pologne a adhéré à l’Union européenne, elle en a en effet accepté les règles du jeu. Et donc les dispositions de l’article 2 du Traité sur l’Union européenne, qui évoque les « valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités », mais aussi « une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance ».
Ce sont des valeurs justes. Et la Pologne les a expressément faites siennes lorsque son Parlement a ratifié les traités de l’UE. Il est donc parfaitement normal que le gouvernement doive se justifier lorsque cet accord n’est pas respecté.
En Italie et en France aussi, des juges ont déjà considéré qu’en cas de conflit, le droit italien ou français l’emporte sur celui de l’Union européenne.
Il y a toutefois une bataille qui appelle plus de nuance : la question de la primauté de la Constitution polonaise sur le droit européen ou vice versa. La question n’est pas réglée dans les traités et, au cours des dernières décennies, le débat a été tranché non pas par des responsables politiques, mais par des juges.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la Pologne n’est pas isolée sur ce front. En Italie et en France aussi, des juges ont déjà considéré qu’en cas de conflit, le droit italien ou français l’emporte sur celui de l’Union européenne. Sans compter que chaque assouplissement de sa politique par la Banque centrale européenne donne lieu, à Karlsruhe, à une audience de la Cour constitutionnelle allemande, qui examine la légalité des mesures prises par la BCE.
Même en Belgique, la situation n’est pas univoque. En 1971, la Cour de cassation a conclu, dans le fameux arrêt « Fromagerie Franco-Suisse Le Ski », qui concernait les droits à l’importation sur les produits laitiers, à la primauté du droit européen sur le droit belge. Mais en 2016, la Cour constitutionnelle a précisé, dans un autre arrêt, que la liberté d’action n’est pas totale. Le processus décisionnel européen ne peut pas, y compris dans notre pays, constituer un « blanc-seing généralisé » permettant de porter atteinte aux valeurs fondamentales de protection que la Constitution confère aux Belges.
Les choses seraient évidemment plus simples et uniformes si l’UE pouvait avoir le dernier mot sur tout en Europe, mais il n’en a pas été convenu ainsi. D’ailleurs, les institutions européennes sont le reflet même du débat permanent sur la nature de l’Union : s’agit-il d’une technocratie (la Commission), d’une confédération (le Conseil européen et ses 27 gouvernements) ou d’une fédération (le Parlement européen) ? La reconnaissance de la primauté du droit européen cadre uniquement avec cette dernière logique et vient nier ce débat permanent.
Sur ce point, les Polonais ont peut-être raison, mais ils vont trop loin et brandissent cet argument comme une arme dans une lutte plus large que, pour le coup, ils méritent de perdre.
Les points de discorde sont multiples. Varsovie viole le principe de séparation des pouvoirs, en mettant les juges au pas. Mais aussi les valeurs portées par le pluralisme, en instaurant des zones « sans idéologie LGBT » dans le pays. Et encore la liberté de la presse, en muselant les médias.
La question de la primauté de la Constitution polonaise sur le droit européen
Sur tous ces points, il est légitime – et nécessaire – de se dresser contre le gouvernement polonais. Lorsque la Pologne a adhéré à l’Union européenne, elle en a en effet accepté les règles du jeu. Et donc les dispositions de l’article 2 du Traité sur l’Union européenne, qui évoque les « valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités », mais aussi « une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance ».
Ce sont des valeurs justes. Et la Pologne les a expressément faites siennes lorsque son Parlement a ratifié les traités de l’UE. Il est donc parfaitement normal que le gouvernement doive se justifier lorsque cet accord n’est pas respecté.
En Italie et en France aussi, des juges ont déjà considéré qu’en cas de conflit, le droit italien ou français l’emporte sur celui de l’Union européenne.
Il y a toutefois une bataille qui appelle plus de nuance : la question de la primauté de la Constitution polonaise sur le droit européen ou vice versa. La question n’est pas réglée dans les traités et, au cours des dernières décennies, le débat a été tranché non pas par des responsables politiques, mais par des juges.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la Pologne n’est pas isolée sur ce front. En Italie et en France aussi, des juges ont déjà considéré qu’en cas de conflit, le droit italien ou français l’emporte sur celui de l’Union européenne. Sans compter que chaque assouplissement de sa politique par la Banque centrale européenne donne lieu, à Karlsruhe, à une audience de la Cour constitutionnelle allemande, qui examine la légalité des mesures prises par la BCE.
Même en Belgique, la situation n’est pas univoque. En 1971, la Cour de cassation a conclu, dans le fameux arrêt « Fromagerie Franco-Suisse Le Ski », qui concernait les droits à l’importation sur les produits laitiers, à la primauté du droit européen sur le droit belge. Mais en 2016, la Cour constitutionnelle a précisé, dans un autre arrêt, que la liberté d’action n’est pas totale. Le processus décisionnel européen ne peut pas, y compris dans notre pays, constituer un « blanc-seing généralisé » permettant de porter atteinte aux valeurs fondamentales de protection que la Constitution confère aux Belges.
Les choses seraient évidemment plus simples et uniformes si l’UE pouvait avoir le dernier mot sur tout en Europe, mais il n’en a pas été convenu ainsi. D’ailleurs, les institutions européennes sont le reflet même du débat permanent sur la nature de l’Union : s’agit-il d’une technocratie (la Commission), d’une confédération (le Conseil européen et ses 27 gouvernements) ou d’une fédération (le Parlement européen) ? La reconnaissance de la primauté du droit européen cadre uniquement avec cette dernière logique et vient nier ce débat permanent.
Sur ce point, les Polonais ont peut-être raison, mais ils vont trop loin et brandissent cet argument comme une arme dans une lutte plus large que, pour le coup, ils méritent de perdre.