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Du centre de vaccination de Charleroi à l’Ukraine: “Difficile à imaginer pour une Belge”

(2022-05-30_15-49-00)


Interview exclusive Axelle Ronsse a dirigé le centre de vaccination de Dampremy (Charleroi) lorsque la crise du coronavirus était à son paroxysme. Son travail et celui de ses collègues ont été fortement appréciés. Pourtant, elle s’est engagée dans un nouveau défi peu de temps après: la guerre en Ukraine.

Axelle Ronsse vient de rentrer d’Ukraine. Elle y a séjourné six semaines pour le compte de Médecins Sans Frontières (MSF). Sa mission principale: accompagner vers l’ouest du pays les blessés stabilisés dans les hôpitaux situés à l’est. “Nous faisions le trajet dans des trains médicalisés. Cela prenait une vingtaine d’heures à chaque fois”.

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Durant son séjour, elle a traversé Lviv, Dnipro, Zaporijia et Bakhmut: “La situation est vraiment différente en fonction de l’endroit où l’on se trouve”. Elle établit un état des lieux d’ouest en est: “À Lviv, c’est plutôt calme. Il n’y a pas d’attaques. Par contre, il y a beaucoup de réfugiés. À Dnipro, c’est plus ou moins normal. J’ai assisté une fois à un missile qui visait un pont de chemin de fer et qui a raté sa cible. À Zaporijia, nous récupérions les personnes qui quittaient Marioupol. Enfin, à Bakhmut, nous nous situions à une quinzaine de kilomètres des lignes de front. Nous sentions le soufflé des bombardements. Nous entendions non-stop les explosions”.

A l’aventure



Son arrivée sur place s’est un peu déroulée comme dans un roman d’aventure: “Mon avion a atterri en Pologne. Là-bas, une voiture m’a conduite jusqu’à la frontière ukrainienne. Je suis passée d’un territoire à l’autre à pied. En Ukraine, une autre voiture m’attendait pour me transporter à Lviv. J’avais aussi une auto à disposition pour effectuer certains parcours. Mais la plupart du temps, nous empruntions le train de nuit. C’est le moyen de locomotion qui nous paraissait le plus pratique et le plus sûr”.

Elle ne s’est jamais considérée en danger: “Je ne m’estimais pas en insécurité. Nous sommes bien formés. Nous savons ce que nous pouvons faire ou pas, où nous pouvons aller ou non. Les missiles visaient principalement les centrales électriques. Honnêtement, je me suis sentie plus mal à l’aise dans d’autres pays comme le Liberia ou la Guinée. Là-bas, les belligérants sont imbibés de substances et il n’est pas simple de les raisonner. J’ai eu peur de me prendre une balle par quelqu’un qui n’avait plus toute sa tête. Et puis, il fallait faire attention aux mines antipersonnel. En Ukraine, nous avions décidé de ne pas nous rendre sur le champ de bataille”.

En effet, notre interlocutrice avait déjà beaucoup voyagé avant de servir en Ukraine: “Antérieurement à mon poste de directrice du centre de vaccination de Charleroi, j’avais déjà travaillé pendant 20 ans pour Médecins Sans Frontières. J’ai œuvré dans des états en guerre civile. Je suis allée au Timor Oriental en 2000 lors de sa lutte pour son indépendance, en Guinée, en Sierra Leone, au Liberia, en Iran pour le rapatriement des réfugiés afghans après le 11 septembre 2001. Je me suis également déplacée deux fois à Gaza à la suite d’attaques perpétrées contre la population civile. Mon rôle était de dénombrer les morts et les blessés”.

Scènes marquantes



Néanmoins, c’est la première fois qu’elle exerce au beau milieu d’une véritable guerre: “Comme je l’ai déjà expliqué, c’est à l’est que les conditions sont les plus délicates. Les civils qui restent là-bas sont le plus souvent des personnes âgées. Elles éprouvent des difficultés à se déplacer et ne peuvent pas entreprendre le long périple vers l’ouest. Beaucoup d’entre elles sont touchées par des offensives russes. Ou alors lorsque les sirènes retentissent pour annoncer un assaut imminent, elles sont nombreuses à se blesser en courant pour se réfugier dans les caves”.

Cela fait partie des scènes qu’Axelle Ronsse n’oubliera pas. Il y en a d’autres qui l’ont particulièrement émue: “Un jour, nous avons dû ramener à l’ouest 80 enfants d’un orphelinat. Celui-ci campait dans une zone en train de se faire attaquer par les militaires russes. Nous avons vécu un contexte identique avec des pensionnaires de homes.

L'ex-directrice du centre de vaccination de Dampremy (Charleroi), Axelle Ronsse, et sa collègue (à sa droite) à bord d'un train en Ukraine © A.R.

Les principales victimes dans cette lutte armée sont souvent les populations les plus précarisées. Autre chose qui m’a marquée: lorsque nous nous occupions d’assurer le transfert de blessés, nous croisions dans les gares des jeunes prêts à être mobilisés par l’armée ukrainienne. Ils avaient une vingtaine d’années. Ils se préparaient à suivre une semaine de formation avant de rejoindre les champs de bataille. En tant que Belge et Européenne, c’est difficile à imaginer”.

En Europe



Le conflit russo-ukrainien a lieu sur notre continent. C’est une autre différence par rapport à ses précédentes expériences à l’étranger: “L’Ukraine est tout de même un pays semblable au nôtre. Il se situe aux portes de l’Union Européenne. Là-bas, on se rend vraiment compte que ces gens sont comme vous et moi. Ils conduisent des voitures, font leurs courses... comme en Belgique. Ce n’est pas comparable à ce que j’ai pu éprouver en Afrique ou en Asie”.

C’est d’ailleurs une des particularités qui l’ont poussée à rejoindre le grenier à blé de l’Europe. Pourtant, rien ne l’y prédestinait: “Le fait que la guerre réapparaisse en Europe m’a titillée, oui. Je me suis dite qu’il fallait que j’y sois. Toutefois, rien n’était prévu. Normalement, je ne devais pas reprendre du service pour MSF immédiatement. Après la crise du Covid-19, je devais faire une pause”.

Des paroles aux actes



Elle n’a pas hésité très longtemps avant de s’engager. Elle n’a pas dû non plus s’employer outre-mesure pour convaincre ses proches du bien-fondé de sa décision: “Je n’ai ni mari, ni enfant. Mes parents et amis, eux, sont désormais habitués à me voir partir dans d’autres contrées. Ceci dit, ils étaient un peu plus inquiets qu’à l’accoutumée cette fois-ci. J’ai dû les apaiser. Je leur ai expliqué que les humanitaires n’étaient pas visés en Ukraine. Je leur ai signalé aussi que plusieurs moyens de protection étaient mis à notre disposition. Nous avions des gilets pare-balles, par exemple. Enfin, je leur ai bien précisé que notre rôle consistait à aller chercher les blessés, mais pas de nous déployer sur les champs de bataille”.

Par contre, elle ne s’est pas rendue tout de suite sur le lieu des hostilités: “Au début, on ne savait pas encore si la guerre allait réellement éclater. On se disait que quelque chose pouvait peut-être survenir. Sans plus. Et puis, j’ai préféré attendre deux ou trois semaines. Avec mon vécu emmagasiné lors de mes anciennes missions, je devinais qu’en débarquant trop tôt, je n’aurais pas grand-chose à faire. Les structures de soutien n’auraient pas encore été mises en place. J’aurais couru un peu partout sans savoir comment j’aurais pu aider. Aller là-bas uniquement pour me retrouver sous les bombes, cela ne m’intéressait pas”.

Communication



Une fois sur place, elle n’a eu aucun mal à garder le contact avec ses connaissances en Belgique: “C’est comme si je travaillais dans l’Union Européenne. Nos communications n’étaient pas limitées dans le temps. J’avais accès à Internet, WhatsApp ou au téléphone. C’était nécessaire, car le moindre incident était relayé dans les médias. Initialement, c’était assez calme dans l’ouest de l’Ukraine.

L'ex-directrice du centre de vaccination de Dampremy (Charleroi), Axelle Ronsse, et sa collègue (à sa droite) à bord d'un train en Ukraine © A.R.

Puis, quelques obus sont tombés et cela a vite fait la Une des actualités. Dès que les journaux télévisés annonçaient la chute d’un ou de deux missiles, je donnais de mes nouvelles pour rassurer tout le monde. Ce n’est pas parce qu’une ou deux bombes étaient balancées dans notre région que nous en avions nécessairement conscience. Très souvent, elles échouaient à une bonne distance de notre camp de base”.

Patriotisme



Notre témoin n’a pas froid aux yeux. Malgré cela, il a été impressionné par... le peuple local: “Les Ukrainiens sont extrêmement patriotiques. Les femmes et les enfants fuient les zones dangereuses. Les hommes âgés entre 18 et 60 ans sont obligés de défendre leur nation. Or, ceux qui sont autorisés à la délaisser restent par solidarité. Certaines familles reviennent même de Pologne pour retrouver leur papa. C’est ce qui me fait dire que la guerre risque de perdurer. Au vu des forces en présence, tout le monde pensait qu’elle se terminerait rapidement. Mais nous voyons bien aujourd’hui que ce n’est pas le cas. Les deux camps gagnent et perdent du terrain à tour de rôle”.

Il a également été surpris par l’esprit de cohésion de la société ukrainienne: “La fraternité n’y est pas un vain mot. Elle y est de mise en fonction des moyens disponibles. Je vais vous en donner une illustration. Lorsque nous rapportions les blessés vers l’ouest, des organisations de bénévoles attendaient à l’arrivée. Elles offraient des vêtements, de la nourriture, des boissons... aux déplacés de l’est. Autre aperçu de cette union nationale. À cause des bombardements, certains hôpitaux n’étaient plus fonctionnels. Eh bien, leur personnel se remobilisait pour trouver d’autres endroits où il pouvait poursuivre ses activités”.

Sans regret et sans retour



Axelle Ronsse ne regrette pas d’avoir démissionné de la direction du centre de vaccination de Dampremy: “Au moment où j’ai quitté mes fonctions, le centre de vaccination ne fonctionnait plus à plein régime. Il n’avait plus besoin de moi. J’ai apporté ma pierre à l’édifice. C’est le plus important”.

Ce n’est pas pour autant qu’elle compte repartir en Ukraine: “Je ne suis pas certaine de vouloir y retourner. J’ai besoin d’avoir un challenge à relever, d’avoir des choses à mettre en place...”

Pour les trois prochains mois, elle va s’installer dans les Marolles à Bruxelles. Elle souhaite accomplir son métier de médecin généraliste dans ce quartier jugé compliqué. Et après? Même elle ne le sait pas encore.

Covid-19 ou Ukraine?



Occuper la direction d’un centre de vaccination ou affronter les conséquences de la guerre en Ukraine? Quelle est la fonction la plus difficile à assumer? A priori, on pourrait penser à la seconde. Ce n’est pas l’avis d’Axelle Ronsse: “Dans les centres de vaccination, nous avons été confrontés à des changements perpétuels. Des changements de vaccins, de personnes prioritaires, etc. Il a fallu faire preuve d’un grand sens de l’adaptation”.

Elle ne crache pas pour autant dans la soupe: “C’était aussi une odyssée intéressante. Personne n’avait jamais dû faire face à une pandémie en Belgique”.

Pour le reste, elle considère que les buts fixés dans les centres de vaccination étaient un peu comparables à ceux rencontrés en Ukraine: “Dans les centres de vaccination, il fallait gérer des équipes et informer les autorités compétentes des problèmes du quotidien. C’était un peu la même chose en Ukraine sauf que la finalité était différente. D’un côté, l’objectif principal était de vacciner le plus possible de gens. De l’autre côté, c’était de déplacer des blessés d’un coin à un autre d’un pays”.

“Beffrois de Cristal”



Les centres de vaccination de Charleroi ont eu l’honneur de recevoir un “Beffroi de Cristal” cette année. Les “Beffrois de Cristal” récompensent les femmes et les hommes ayant contribué au rayonnement et au développement de la ville de Charleroi par leurs actions et initiatives.

Comme elle se trouvait en Ukraine lors de la remise des prix le 20 avril dernier, Axelle Ronsse n’a pas pu assister à la cérémonie en compagnie de ses collègues. Pour la première fois, elle réagit à cette distinction remise par les autorités communales: “Je suis contente. C’est une reconnaissance du travail réalisé pour la ville de Charleroi. Mais c’est une consécration pour toutes les équipes qui ont contribué à cette mission”.

Retrouvez, [4]ici , toute l’actualité de Charleroi et de sa région.

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[1] https://www.7sur7.be/belgique/voici-comment-la-belgique-va-sorganiser-pour-accueillir-les-refugies-ukrainiens~a29ec0f3/

[2] https://www.7sur7.be/belgique/vous-voulez-aider-la-population-ukrainienne-voici-comment-faire-dans-la-region-de-charleroi-et-dans-la-botte-du-hainaut~ababd46f/

[3] https://www.7sur7.be/belgique/a-charleroi-le-ptb-et-les-autres-partis-se-dechirent-au-sujet-de-lukraine-un-jeu-nauseabond~a5733854/

[4] https://www.7sur7.be/dossier/charleroi-et-sa-region~d23cc81f8-3447-48ed-9754-94ad6aa3df55/?page=1

[5] https://www.7sur7.be/belgique/voici-les-laureats-des-beffrois-de-cristal-2022-a-charleroi~a1ba2b0b/

[6] https://www.7sur7.be/belgique/fabrice-veut-aider-les-ukrainiens-mais-on-refuse-de-renouveler-son-passeport-il-denonce-le-double-jeu-des-autorites-belges~abdd46fc/

[7] https://www.7sur7.be/monde/svetlana-a-du-fuir-et-laisser-son-fils-en-ukraine-mais-naspire-qu-a-le-retrouver-il-est-mon-sang-je-ne-peux-pas-labandonner~ade3a271/



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