Vendredi 6 mai à midi, sur une terrasse ensoleillée et bien connue du coeur d’Anvers: deux visages tout aussi connus du paysage politique belge. Les voir déjeuner ensemble étonne un peu plus, mais Conner Rousseau (Vooruit, anciennement s.pa) et Bart De Wever (N-VA) partageaient bien un repas dans un restaurant asiatique très à la mode dans la ville. Tous les deux ont en commun de suivre un régime draconien, mais cherchaient-ils à se trouver plus d’atomes crochus en vue d’un avenir commun? Visiblement, il y a matière à discuter: le rendez-vous, qui était prévu de longue date, aura duré deux heures et demie. Le sondage qui était dans toutes les bouches était sans aucun doute au cœur de la conversation entre les deux hommes forts des nationalistes et socialistes flamands.

Le restaurant DIM Dining à Anvers sera-t-il bientôt le nouveau Bruneau? Les politiciens s’y retrouvent de plus en plus volontiers pour discuter, et avec ses hôtes de vendredi dernier - Conner Rousseau et Bart De Wever sont les présidents de partis les plus observés du moment - le restaurant asiatique très trendy du Vrijdagmarkt a certainement hébergé des rapprochements décisifs. Mais il ne faut pas compter sur Jonas Kellens - élu “Hôte de l’année par le Gault Millau - pour qu'une seule information ne filtre à leur sujet.

Le “hasard” du calendrier voulait que le toujours très attendu sondage réalisé par la chaîne flamande VRT et le quotidien De Standaard atterrisse jeudi soir dans la boîte aux lettres de tous les partis flamands. Comment imaginer que les figures de proue des partis socialiste et nationaliste n’évoquent pas les résultats lus la veille au soir? Car ceux-ci, qui donnent le ton en vue du prochain objectif électoral, ont clairement perturbé le sommeil de plus d'un président de parti...

Jonas Kellens, “Hôte de l’année” du Gault Millau pour son restaurant raffiné DIM Dining © Bert Luyckx

Sur le départ

Deux salles, deux ambiances. Alors que [1]Joachim Coens annonçait s’apprêter à quitter la présidence du CD&V , devenu selon les projections du sondage le plus parti de Flandre, le flamboyant Rousseau et l’indéboulonnable Bart De Wever profitaient d'un lunch gastronomique... Autre signe des contrastes en politique: alors qu’Egbert Lachaert, président de l’Open VLD et pourtant partenaire de coalition, n’est pas près de prendre un simple café avec son homologue de la N-VA, Rousseau et De Wever sont capables de s’éterniser autour des mets raffinés de DIM Dining.

L'un des plats servis chez DIM Dining. La promesse: se sentir au Japon, mais à Anvers. Les saveurs asiatiques dans des plats très sains © Dim Dining

Un roman d’amitié

Ce n’est pas un secret: depuis les négociations fédérales de 2020, Conner Rousseau et Bart De Wever ont développé une sympathie réciproque. Il se dit que lorsqu’ils sont ensemble, la différence d’âge - 22 ans - et donc d’expérience fond comme neige au soleil. C’est ensemble qu’en 2020, PS et N-VA avaient couché sur le papier les contours d’une nouvelle structure pour la Belgique. Et Conner Rousseau adhérait pleinement au projet voulu par la N-VA, tandis que les libéraux y faisaient totalement barrage. L’amitié et le respect mutuel entre les deux hommes n’ont rien d’anodin: Vooruit constitue pour les nationalistes flamands une clé pour approcher - et un jour gouverner avec - le PS wallon au fédéral.

Et Bart De Wever n’est pas le premier “date” nationaliste de Conner Rousseau. Ce dernier a également déjeuné, il y a peu, avec Zuhal Demir. Entre ces deux-là aussi, l’ambiance est au beau fixe et ils avaient évoqué la possibilité d'une future nouvelle coalition flamande. C’est d’ailleurs cette même Zuhal Demir qui avait foncé à la rescousse de Conner Rousseau lors de son plaidoyer pour des gardes d’enfants obligatoires. La nationaliste, dans Het Laatste Nieuws le week-end dernier, ne voulait cependant pas encore se prononcer clairement sur un avenir commun avec Vooruit: “On n’est pas encore en 2024, donc je préfère me taire sur le sujet”, avait-elle balayé.

Alliance

Une chose est sûre: “Vooruit”, par la voix de Conner Rousseau, se repositionne clairement sur le plan socio-culturel. Les [2]propos du président de parti sur Molenbeek n’ont pas suscité de réactions politiques que sur le fond: chacun sait qu’il s’agissait là d'un appel du pied vers la N-VA. Et cela ouvre des portes quant aux options au sein du gouvernement flamand aux prochaines élections, surtout quand on sait que l’approche plus “soft” de Bart Somers (Open VLD) n’est pas au goût de tous. Egbert Lachaert sent d’aileurs bien le vent tourner. Dimanche midi sur VTM Nieuws, il parlait ouvertement d'une “alliance en cours entre socialistes et nationalistes flamands” pour laquelle “les deux partis débloquent volontiers des fonds”.

Mais en réalité, ce lien qui unit Vooruit et N-VA remonte à avant les négociations fédérales de 2020. Depuis 2019, les deux partis gouvernent ensemble à Anvers, avec Jinnih Beels (Vooruit) qui y promeut une politique très stricte en matière de sécurité. Et à la Chambre, John Crombez (Vooruit) et la vice-présidente Valerie Van Peel (N-VA) ont, on s’en souvient, proposé ensemble un plan pour une meilleure protection de l’enfance. Et, si on remonte beaucoup plus loin, on se souvient également que le tandem Caroline Gennez (sp.a) et Bart De Wever avait fait bloc sur l’extension de la sécurité sociale flamande lors des négociations au niveau régional.

C’est d’ailleurs ce dernier point qui pourrait être la clé de voûte de la future coalition flamande. Une Flandre plus autonome disposant de plus de moyens financiers propres pour mener une politique sociale régionale plus “généreuse”. Les deux stars de la politique flamande dessinent-elles ensemble un nouveau projet? Elles n’ont en tout cas pas passé l’après-midi chez DIM Dining pour faire de l’origami.



[1] https://www.7sur7.be/belgique/sammy-mahdi-veut-un-cdetv-plus-social-mais-aussi-plus-conservateur-sur-le-plan-culturel-et-societal~a83cefd8d/

[2] https://www.7sur7.be/belgique/quand-je-passe-par-molenbeek-je-ne-me-sens-pas-en-belgique-la-sortie-de-conner-rousseau-fait-polemique~ae23cb30/