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Comment les adolescentes tombent dans l’exploitation sexuelle sur Instagram: “Envoie-moi des photos coquines et tu gagneras beaucoup d’abonnés”

(2022-04-13_10-26-00 (Het Laatste Nieuws))


Enquête “Envoie-moi des photos en sous-vêtements, seins nus ou complètement nue. Je vais les poster et te taguer. Si tu prends des photos seins nus, veille à ce qu’ils soient bien visibles.” Il existe un monde souterrain sur Instagram dans lequel les adolescentes sont exploitées. À la recherche d’un maximum d’abonnés, elles sont la proie d’adultes qui leur envoient même un manuel sur la façon de poser. Nos confrères du journal Het Laatste Nieuws ont enquêté pendant plusieurs mois et ont découvert comment la quête de popularité en ligne peut aboutir à l’exploitation sexuelle.

“Envoyez-moi des liens CP” (pour “Child porn”, ou pédopornographie en français, NDLR), affiche une page Instagram dans une story qui restera visible durant 24 heures. Nos confrères sont tombés par hasard sur cette page il y a environ un an. Ils ont découvert un monde souterrain sur le réseau social: celui des pages de shoutouts, destinées à promouvoir son propre compte et à gagner ainsi des abonnés.

Le système est simple: il suffit d’envoyer quelques photos de vous à la page de shoutouts, et l'administrateur les publie ensuite avec un lien vers votre profil. L’objectif est clair: obtenir facilement de nouveaux abonnés.

Ces pages sont thématiques: cela va des femmes soldats aux pages par pays ou région. Mais ce qui apparaît le plus souvent, ce sont les pages consacrées aux adolescentes, avec des photos de jeunes filles posant en bikini, en string ou simplement vêtues d'un short. Un endroit où la naïveté et la vulnérabilité sont exploitées.

Créer un compte



Nos collègues ont observé ces pages pendant plusieurs mois avant de créer un faux compte sur Instagram en janvier dernier. Amelia Z., 14 ans, de Boekhoute en Flandre-Orientale. Amelia est un visage généré par ordinateur, créé via l’intelligence artificielle et n’est donc pas une personne réelle. En plus de sa photo de profil, une photo d'un chat et une image issue du jeu vidéo Fortnite sont visibles sur sa page.

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© DR

Le compteur d’abonnés d’Amelia est à zéro. Les enquêteurs d’HLN se sont donc tournés vers des profils belges populaires sur Instagram. Notamment celui de L.M., une adolescente originaire du Brabant flamand qui compte plus de 6.500 abonnés. Son profil affiche une vingtaine de photos, dont la plupart montrent la jeune fille en train de poser de façon suggestive devant son miroir.

Nos confrères décident de lui envoyer un message: “Hello... C’est peut-être une question stupide, mais comment fais-tu pour avoir autant d’abonnés?” Quinze minutes plus tard, une courte réponse est envoyée: “Par le biais de shoutouts.” Quand Amelia veut en savoir plus, l'adolescente reste silencieuse.

En français, un “shoutout” signifie une salutation ou une dédicace. Tout cela n’a guère de sens, jusqu’à ce que nos collègues entrent ce mot dans le moteur de recherche d’Instagram. Pas moins de 993.000 résultats apparaissent. Amelia s’abonne donc à trois pages aléatoires afin de savoir comment cela fonctionne.

“Si tu montres ton vagin, écarte bien les jambes”



Deux heures plus tard, Amelia reçoit un message de “Shoutout King510.” Il dit être un homme adulte, et être l’administrateur d’une des trois pages suivies. Sa page est pleine de femmes - un mélange d’adultes et de mineures - dans des positions suggestives. Certaines partagent des photos en top et en short, d’autres vont encore plus loin. Certaines filles ont un message à côté du lien de leur profil: “Elle vend!”, est-il inscrit.

Ce prétendu “roi” est rusé. Il demande des photos, peut toujours les censurer et vous restez anonyme si vous le souhaitez. En d’autres termes, il essaie de vous faire sentir “en sécurité”, obtient les images et en fait ce qu’il veut. Un jeu très dangereux. Et même s’il sait maintenant qu’Amelia a à peine 14 ans, il continue d’insister. L’homme donne même des conseils: “Envoie-moi des photos en sous-vêtements, seins nus ou complètement nue. Je vais les poster et te taguer. Si tu prends des photos seins nus, veille à ce qu’ils soient bien visibles. Et si tu montres ton vagin, écarte bien les jambes”, conseille-t-il.

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© DR

Il termine son message par un clin d’œil. Dans les jours qui suivent, il continue à envoyer des messages. Il en veut plus. Nos confrères décident de ne plus réagir et signalent son profil sur Instagram. Une semaine et demie plus tard, il est retiré de la plateforme.

“Tu vends?”



Quinze heures après la mise en ligne du profil d’Amelia, nos confrères constatent qu’elle a gagné plusieurs abonnés. Un nouveau message lui a été envoyé. Un certain “Zatira”, un Suédois qui prétend avoir 18 ans, lui demande si “elle vend.” Les journalistes lui demandent alors de s’expliquer. L’homme poursuit en prenant l'exemple d'une jeune fille à qui il a acheté une photo pour 25 euros. Lorsqu’on lui demande pourquoi il fait cela, sa réponse est simple: “On peut gagner beaucoup d’argent comme ça.”

Les filles choisissent leur propre système de paiement: via des virements en ligne, Paypal (une plateforme de paiement en ligne) ou même des cartes cadeaux. Mais tout cela n'est-il pas de la pornographie enfantine? “Ne risquez-vous pas de vous attirer des ennuis, à vous et aux filles?”, demande Amelia à son interlocuteur. Il esquive la question de la pornographie infantile. “Si quelqu’un doit avoir des problèmes, ce sera moi”, assure-t-il.

Soyons clairs: même si Amelia envoyait de sa propre initiative des photos à l’homme ou à des pages d’annonces, la publication de photos sexuellement explicites de mineurs sur le web est illégale. Et la personne qui télécharge la photo est également punissable. La possession de telles photos est passible d’une peine de prison maximale d’un an, la production ou la distribution d’un maximum de cinq ans. Le profil de Zatira a également été supprimé d’Instagram après que nos collègues l’ont signalé.

L’homme de Bruxelles



Mardi 11 janvier. Amelia reçoit un message d'un certain D.G., de Bruxelles. Il dit qu’il a 20 ans. “Je t’ai vu dans mes suggestions et je voulais savoir si je pouvais être ton ami”, envoie-t-il. Il demande d’où elle vient, ce qu’elle fait pour s’amuser. Il cuisine, aime se promener et écoute souvent de la musique. Quand Amelia lui demande pourquoi il cherche à entrer en contact avec elle, sa réponse s’avère innocente: “J’ai besoin d’amis et tu as l’air sympa.”

Amelia : “Mais pourquoi tu veux être ami avec une fille de 14 ans? Les filles plus âgées ne te plaisent pas?”

D.G.: “J’ai essayé d’en trouver, mais soit elles sont prises, soit elles ne sont pas intéressées, soit elles n’aiment pas les garçons. Je cherche seulement des amis, pas une relation.”

Une conversation faussement innocente. Quelques jours plus tard, le Bruxellois se montre insistant et évoque une relation éventuelle avec l'adolescente. Il s’y prend de manière subtile en tentant de gagner la confiance de sa jeune interlocutrice. Un jeu dangereux pour une adolescente si elle venait effectivement à lui envoyer des photos à caractère sexuel ou à le rencontrer physiquement.

L’homme risquerait une sanction pour possession de matériel pédopornographique et une peine de prison de 5 à 10 ans s’il avait des relations sexuelles avec la jeune fille de 14 ans. Et comme les deux autres, D.G. se montre insistant et harcèle l'adolescente fictive. Il continue d’envoyer des messages pendant plusieurs jours : “Hé”, “Alors ?”, “Désolé”, “Tu vas bien ?”, “Pardonne-moi”. Son compte est finalement signalé et est ensuite bloqué. Son profil est toutefois toujours en ligne.

“Je vends. Des prix très bas!”



Les journalistes d’HLN se sont ensuite intéressés aux jeunes filles mineures qui ont franchi le pas et vendu des photos. Certaines d’entre elles ont à peine 13 ans. “Je vends enfin du contenu. Si vous voulez acheter, contactez-moi. Des prix très bas!”, écrit B.C., 13 ans, qui se décrit comme “exclusive et difficile à cerner” et compte 2.500 abonnés. Une autre, J.C., dit avoir 15 ans et vend son image contre des cartes-cadeaux. Ce ne sont là que quelques exemples des centaines, voire des milliers d’adolescentes qui se vendent sur Instagram. Nos collègues en contactent huit, chaque fois avec le même message: “Hé, je peux te demander quelque chose? Je suis curieuse à propos de cette “vente”.”

Personne ne répond aux messages. Les enquêteurs découvrent pourquoi dix jours plus tard, lorsqu’une des filles publie le message suivant sur sa story Instagram : “Ne m’envoie pas de ‘Hey’. Je ne réponds qu’aux messages qui commencent par ‘J’achète’”, écrit-elle.

Les choses s’accélèrent lorsqu’on se propose comme acheteur. “Hé, désolé de ne pas avoir répondu plus tôt. Voulez-vous acheter quelque chose et voir mon contenu?”, répond L.S. Elle ne donnera pas son âge: “Je garde mon âge privé pour les clients, peut-être que je vous le dirai si vous achetez quelque chose.” Elle partage son offre. 2 photos de ses fesses: $30. 6 photos de sa poitrine : $45. Et ainsi de suite. Elle propose même la vidéo de son dépucelage pour 160 dollars. Elle demande 300 dollars pour tout son contenu. Le paiement se fait par Paypal.

Voilà le monde glauque dans lequel les mineures peuvent facilement se retrouver. Un lieu où elles sont attirées, préparées et encouragées à partager des photos dénudées, contre paiement ou non. Ce monde continue à se développer sans peine grâce à deux phénomènes, selon Child Focus. “Il suffit d’un bref passage sur les réseaux sociaux pour se rendre compte de l’augmentation considérable de la sexualisation des jeunes en ligne”, explique Niels van Paemel de Child Focus. “Le message pour les jeunes est simple: le sexe fait vendre. Et c’est ainsi que des pages sont créées - avec beaucoup d’abonnés- qui renforcent ce modèle commercial. Ils collaborent avec des “nudefluencers”, des influenceurs qui utilisent le sexe comme appât.

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Niels Van Paemel van Child Focus. © RV/VTM

Child Focus est au courant de l’enquête d’Het Laatste Nieuws et la présentera d’ailleurs ce mercredi [1]lors d’une conférence internationale, “Inhope”. “Cela fait longtemps que nous tirons la sonnette d’alarme à ce sujet”, affirme Niels van Paemel. “Mais personne n’a enquêté, jusqu’à maintenant.”



[1] https://inhope.org/EN/articles/webinar-rise-of-transactional-sexting-self-generated-content



I sent a message to another time,
But as the days unwind -- this I just can't believe,
I sent a message to another plane,
Maybe it's all a game -- but this I just can't conceive.
...
I met someone who looks at lot like you,
She does the things you do, but she is an IBM.
She's only programmed to be very nice,
But she's as cold as ice, whenever I get too near,
She tells me that she likes me very much,
But when I try to touch, she makes it all too clear.
...
I realize that it must seem so strange,
That time has rearranged, but time has the final word,
She knows I think of you, she reads my mind,
She tries to be unkind, she knows nothing of our world.
-- ELO, "Yours Truly, 2095"