Pourquoi la Flandre ne peut pas « laisser tomber » Bruxelles
([Opinions, Politique] 2025-11-01 (Doorbraak))
- Reference: 2025-11_francois-genon-TUthZjfR3Ps-unsplash-255x170
- News link: https://daardaar.be/rubriques/politique/pourquoi-la-flandre-ne-peut-pas-laisser-tomber-bruxelles/
- Source link: https://doorbraak.be/brussel-smeekt-om-meer-vlaamse-inbreng
Dans [1]un éditorial intéressan t, Roan Asselman livre une analyse de la crise bruxelloise dans laquelle il affirme sans détour que la capitale n’est pas une ville flamande et que les Bruxellois ne le sont pas davantage — par essence. Bruxelles y est ainsi présentée comme un boulet que traîne la Flandre, qui se trouve dès lors face à un dilemme : flamandiser Bruxelles ou y renoncer totalement.
Le journaliste ne semble pas trancher explicitement, mais les mots et le ton employés dans son article laissent présumer une préférence pour la seconde option : l’abandon pur et simple de Bruxelles.
On ne s’étonnera pas que cet appel à la défection trouve de plus en plus d’écho au sein du mouvement flamand, compte tenu de l’impasse budgétaire et de la paralysie politique qui minent la région depuis plus de 500 jours.
[2]L’impasse bruxelloise prouve la nécessité d’une nouvelle réforme de l’État
Mais ces éléments n’offrent qu’un tableau partiel et superficiel de la position de la Flandre à Bruxelles et de l’importance de Bruxelles pour la Flandre. Lorsque Roan Asselman écrit que « la Flandre se cramponne à Bruxelles, alors que Bruxelles nous a lâchés depuis longtemps », il commet, à mes yeux, une erreur de jugement.
Certes, les Flamands ont principalement voté à droite, alors que le vote de gauche était prépondérant chez les Bruxellois. Mais aussi chez les Gantois. Il n’est d’ailleurs pas inhabituel que les formations progressistes fassent de bien meilleurs résultats dans les villes qu’à l’échelle de l’ensemble du pays. En conclure que la Flandre et Bruxelles se sont éloignées me semble quelque peu excessif. Mieux vaut, pour orienter la stratégie de la Flandre à l’égard de Bruxelles, s’intéresser à certaines tendances de fond.
Premièrement, Défi, héritier du FDF, qui était aussi francophile qu’hostile aux Flamands, est à l’agonie depuis les dernières élections. Il a perdu la moitié de ses voix et de ses sièges. Et le départ d’Olivier Maingain, qui en a claqué la porte pour créer le mouvement LIB·RES, aura achevé d’émietter le parti : de six élus, il est passé à quatre, sans compter les pertes dans différents conseils communaux.
Les sondages le placent désormais en deçà du seuil électoral et il n’est nullement exclu qu’il disparaisse purement et simplement en 2029. Autrefois tout-puissant à Bruxelles, le parti raflait jusqu’à 40 % des voix en tenant un discours furieusement antiflamand. Mais la mayonnaise ne prend plus chez les Bruxellois — un revirement notable.
[3]Bruxelles: «Ahmed Laaouej, prenez vos responsabilités et formez un gouvernement d’extrême gauche!»
Deuxièmement, de plus en plus de francophones et d’allophones mettent — à dessein ֫ — leurs enfants dans l’enseignement néerlandophone, qui ne cesse de se développer. Cet afflux d’enfants n’ayant pas le néerlandais pour langue maternelle crée évidemment des difficultés sur le plan de la qualité, mais le problème existe aussi à Anvers et à Gand.
Pour rappel, dans les années 1980, l’enseignement néerlandophone à Bruxelles était moribond et jamais des francophones n’auraient envisagé d’y inscrire leur progéniture. Aujourd’hui, c’est un choix avisé et ambitieux. Par ailleurs, du fait de cette évolution, le nombre d’élèves fréquentant les écoles francophones baisse depuis plus de dix ans, ce qui n’est pas sans incidence sur le financement de la communauté française.
Troisièmement, on ne saurait négliger le nombre de voix qui se portent sur des listes néerlandophones — une hausse de plus de 50 % en dix ans. De nos jours, nombre de francophones et d’allophones trouvent parfaitement normal de voter pour elles. Si cette démarche découle sans doute souvent de considérations stratégiques, le poids politique des responsables néerlandophones à Bruxelles s’en trouve bel et bien renforcé. Mieux encore : cela a valu à la Flandre un siège supplémentaire au Parlement européen, [4]comme je l’avais expliqué dans l’hebdomadaire Knack .
Enfin, force est de constater que le néerlandais a de nouveau le vent en poupe. Ce ne sont pas seulement quelques Bruxellois néerlandophones déphasés qui le disent, mais les chiffres. Le cinquième baromètre linguistique montre ainsi une nette progression de la connaissance de la langue de Vondel, une première depuis la création de cet instrument, en 2001.
Il en va d’ailleurs de même du nombre d’électeurs inscrits en tant que néerlandophones, qui, selon BRUZZ , a augmenté de 8,7 % au cours de la dernière législature. Cette hausse, probablement la première de l’histoire récente de Bruxelles, est à la fois prometteuse et importante dans une ville qui renoue désormais avec la stabilisation après une explosion démographique considérable (30 % en 30 ans).
[5]Bruxelles, ville multilingue par excellence
Au-delà de notre dilemme — flamandiser Bruxelles ou y renoncer totalement —, je préconise plutôt un positionnement très réfléchi et stratégique de la Flandre à Bruxelles. Cela peut passer par un nouveau relèvement ambitieux de la norme bruxelloise, d’un public cible de 30 % à 50 % de l’ensemble des Bruxellois, et par le doublement, sur une période de 25 ans, des investissements réalisés dans l’enseignement bruxellois, de 5 % à 10 % du budget de la communauté flamande. Grâce à la loi spéciale de financement, cet investissement se rembourse presque automatiquement, car les sommes affectées aux communautés sont fonction du nombre d’élèves inscrits.
J’appelle aussi de mes vœux la création d’un fonds « Flandris », auquel serait reversée une petite fraction des impôts payés par les navetteurs flamands et qui serait cogéré par les gouvernements flamand et bruxellois. Ces crédits pourraient ensuite être alloués à des projets touchant aux infrastructures et à la sécurité, dans l’intérêt des navetteurs flamands et de l’économie de la Flandre. Car il est tout à fait illusoire de penser que la Flandre pourrait totalement abandonner Bruxelles.
« Abandonner » la capitale serait une faute historique, la plus grave depuis la collaboration.
La situation de Bruxelles est ce qu’elle est, mais la ville est très importante pour l’économie flamande, comme l’a encore montré une récente étude de la Banque nationale. C’est pourquoi il est essentiel que la Flandre retrouve voix au chapitre. « Abandonner » la capitale serait une faute historique, la plus grave depuis la collaboration.
Les problèmes auxquels Bruxelles est confrontée aujourd’hui seront ceux de la Flandre demain. Elle a donc tout intérêt à renforcer sa présence et son influence dans la capitale. Bruxelles y gagnera, mais la Flandre encore davantage.
[1] https://doorbraak.be/brussel-liet-ons-los
[2] https://daardaar.be/rubriques/politique/limpasse-bruxelloise-prouve-la-necessite-dune-nouvelle-reforme-de-letat/
[3] https://daardaar.be/rubriques/opinions/bruxelles-ahmed-laaouej-prenez-vos-responsabilites-et-formez-un-gouvernement-dextreme-gauche/
[4] https://www.knack.be/nieuws/wereld/europa/naar-welke-gemeenschap-gaat-de-extra-europese-zetel/
[5] https://daardaar.be/rubriques/societe/bruxelles-ville-multilingue-par-excellence/
Le journaliste ne semble pas trancher explicitement, mais les mots et le ton employés dans son article laissent présumer une préférence pour la seconde option : l’abandon pur et simple de Bruxelles.
On ne s’étonnera pas que cet appel à la défection trouve de plus en plus d’écho au sein du mouvement flamand, compte tenu de l’impasse budgétaire et de la paralysie politique qui minent la région depuis plus de 500 jours.
[2]L’impasse bruxelloise prouve la nécessité d’une nouvelle réforme de l’État
Mais ces éléments n’offrent qu’un tableau partiel et superficiel de la position de la Flandre à Bruxelles et de l’importance de Bruxelles pour la Flandre. Lorsque Roan Asselman écrit que « la Flandre se cramponne à Bruxelles, alors que Bruxelles nous a lâchés depuis longtemps », il commet, à mes yeux, une erreur de jugement.
Un éloignement, vraiment ?
Certes, les Flamands ont principalement voté à droite, alors que le vote de gauche était prépondérant chez les Bruxellois. Mais aussi chez les Gantois. Il n’est d’ailleurs pas inhabituel que les formations progressistes fassent de bien meilleurs résultats dans les villes qu’à l’échelle de l’ensemble du pays. En conclure que la Flandre et Bruxelles se sont éloignées me semble quelque peu excessif. Mieux vaut, pour orienter la stratégie de la Flandre à l’égard de Bruxelles, s’intéresser à certaines tendances de fond.
Premièrement, Défi, héritier du FDF, qui était aussi francophile qu’hostile aux Flamands, est à l’agonie depuis les dernières élections. Il a perdu la moitié de ses voix et de ses sièges. Et le départ d’Olivier Maingain, qui en a claqué la porte pour créer le mouvement LIB·RES, aura achevé d’émietter le parti : de six élus, il est passé à quatre, sans compter les pertes dans différents conseils communaux.
Les sondages le placent désormais en deçà du seuil électoral et il n’est nullement exclu qu’il disparaisse purement et simplement en 2029. Autrefois tout-puissant à Bruxelles, le parti raflait jusqu’à 40 % des voix en tenant un discours furieusement antiflamand. Mais la mayonnaise ne prend plus chez les Bruxellois — un revirement notable.
[3]Bruxelles: «Ahmed Laaouej, prenez vos responsabilités et formez un gouvernement d’extrême gauche!»
Le renouveau de l’enseignement néerlandophone
Deuxièmement, de plus en plus de francophones et d’allophones mettent — à dessein ֫ — leurs enfants dans l’enseignement néerlandophone, qui ne cesse de se développer. Cet afflux d’enfants n’ayant pas le néerlandais pour langue maternelle crée évidemment des difficultés sur le plan de la qualité, mais le problème existe aussi à Anvers et à Gand.
Pour rappel, dans les années 1980, l’enseignement néerlandophone à Bruxelles était moribond et jamais des francophones n’auraient envisagé d’y inscrire leur progéniture. Aujourd’hui, c’est un choix avisé et ambitieux. Par ailleurs, du fait de cette évolution, le nombre d’élèves fréquentant les écoles francophones baisse depuis plus de dix ans, ce qui n’est pas sans incidence sur le financement de la communauté française.
Troisièmement, on ne saurait négliger le nombre de voix qui se portent sur des listes néerlandophones — une hausse de plus de 50 % en dix ans. De nos jours, nombre de francophones et d’allophones trouvent parfaitement normal de voter pour elles. Si cette démarche découle sans doute souvent de considérations stratégiques, le poids politique des responsables néerlandophones à Bruxelles s’en trouve bel et bien renforcé. Mieux encore : cela a valu à la Flandre un siège supplémentaire au Parlement européen, [4]comme je l’avais expliqué dans l’hebdomadaire Knack .
Un positionnement stratégique
Enfin, force est de constater que le néerlandais a de nouveau le vent en poupe. Ce ne sont pas seulement quelques Bruxellois néerlandophones déphasés qui le disent, mais les chiffres. Le cinquième baromètre linguistique montre ainsi une nette progression de la connaissance de la langue de Vondel, une première depuis la création de cet instrument, en 2001.
Il en va d’ailleurs de même du nombre d’électeurs inscrits en tant que néerlandophones, qui, selon BRUZZ , a augmenté de 8,7 % au cours de la dernière législature. Cette hausse, probablement la première de l’histoire récente de Bruxelles, est à la fois prometteuse et importante dans une ville qui renoue désormais avec la stabilisation après une explosion démographique considérable (30 % en 30 ans).
[5]Bruxelles, ville multilingue par excellence
Au-delà de notre dilemme — flamandiser Bruxelles ou y renoncer totalement —, je préconise plutôt un positionnement très réfléchi et stratégique de la Flandre à Bruxelles. Cela peut passer par un nouveau relèvement ambitieux de la norme bruxelloise, d’un public cible de 30 % à 50 % de l’ensemble des Bruxellois, et par le doublement, sur une période de 25 ans, des investissements réalisés dans l’enseignement bruxellois, de 5 % à 10 % du budget de la communauté flamande. Grâce à la loi spéciale de financement, cet investissement se rembourse presque automatiquement, car les sommes affectées aux communautés sont fonction du nombre d’élèves inscrits.
Création d’un « fonds Flandris »
J’appelle aussi de mes vœux la création d’un fonds « Flandris », auquel serait reversée une petite fraction des impôts payés par les navetteurs flamands et qui serait cogéré par les gouvernements flamand et bruxellois. Ces crédits pourraient ensuite être alloués à des projets touchant aux infrastructures et à la sécurité, dans l’intérêt des navetteurs flamands et de l’économie de la Flandre. Car il est tout à fait illusoire de penser que la Flandre pourrait totalement abandonner Bruxelles.
« Abandonner » la capitale serait une faute historique, la plus grave depuis la collaboration.
La situation de Bruxelles est ce qu’elle est, mais la ville est très importante pour l’économie flamande, comme l’a encore montré une récente étude de la Banque nationale. C’est pourquoi il est essentiel que la Flandre retrouve voix au chapitre. « Abandonner » la capitale serait une faute historique, la plus grave depuis la collaboration.
Les problèmes auxquels Bruxelles est confrontée aujourd’hui seront ceux de la Flandre demain. Elle a donc tout intérêt à renforcer sa présence et son influence dans la capitale. Bruxelles y gagnera, mais la Flandre encore davantage.
[1] https://doorbraak.be/brussel-liet-ons-los
[2] https://daardaar.be/rubriques/politique/limpasse-bruxelloise-prouve-la-necessite-dune-nouvelle-reforme-de-letat/
[3] https://daardaar.be/rubriques/opinions/bruxelles-ahmed-laaouej-prenez-vos-responsabilites-et-formez-un-gouvernement-dextreme-gauche/
[4] https://www.knack.be/nieuws/wereld/europa/naar-welke-gemeenschap-gaat-de-extra-europese-zetel/
[5] https://daardaar.be/rubriques/societe/bruxelles-ville-multilingue-par-excellence/