Tordons le cou au mythe des « sangsues à subsides »
([Culture et Médias, Opinions] 2025-10-01 (Doorbraak))
- Reference: 2025-10_Belgaimage-125543225-255x170
- News link: https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/tordons-le-cou-au-mythe-des-sangsues-a-subsides/
- Source link: https://doorbraak.be/stop-de-mythe-van-de-subsidieslurpers
Il faut tordre, une bonne fois pour toutes, le cou au mythe des « sangsues à subsides », et porter sur le secteur créatif et culturel un regard neuf. Vlaio (agence flamande Innovation et Entrepreneuriat) et Kunstenpunt (agence flamande de promotion des arts visuels, des arts du spectacle et de la musique) ont récemment publié quelques chiffres qui balaient certaines critiques trop hâtives. Nos créatifs méritent une politique davantage empreinte de fierté, de respect et de confiance.
Laissez-moi vous dévoiler – d’un coup sec, mais avec le sourire – une réalité étonnante : [en Flandre, ndt], le secteur créatif et culturel occupe plus de 225.000 personnes, soit 7,46 % de la population active. Largement deux fois plus que le secteur de la construction. Largement quatre fois plus que le secteur de l’agriculture. L’équivalent de 35 usines Volvo ou de 42 groupes comme Janssen Pharmaceutica.
Le secteur culturel, on le sait, est porteur d’une dynamique rassembleuse, créatrice, innovante et fédératrice. Mais pas que. Il représente pour notre économie pas moins de 16,6 milliards d’euros de valeur ajoutée, soit 5,18 % de la valeur ajoutée créée en Flandre. En face, le gouvernement flamand n’aligne que 1,7 % des subsides régionaux. Le reste de ces subventions – qu’on appelle généralement « investissements » dans d’autres secteurs – va aux grands groupes industriels, à la police, à la santé, à l’enseignement, aux routes, quand ce n’est pas… à un aéroport déficitaire. Autant dire qu’il est grand temps d’enterrer le mythe de la sangsue.
La croissance du secteur culturel reste forte, et dépasse même celle de l’ensemble du marché de l’emploi. Ce qui frappe, en Flandre, c’est le nombre de travailleurs indépendants. Or plus de 16 % des indépendants à titre principal travaillent dans le monde créatif ou culturel. Autrement dit : en Flandre, un indépendant sur six bosse dans le secteur de l’audiovisuel, des médias, de la publicité ou des jeux vidéo. Ou encore dans celui du patrimoine, de l’architecture, des arts visuels, du design, de la mode ou des arts de la scène. Des secteurs en croissance forte, supérieure à celle du marché régional de l’emploi. Autant dire que ce secteur mérite, de la part de nos dirigeants, davantage de considération.
[1]La Flandre supprime les prix culturels Ultimas : « Un doigt d’honneur aux artistes »
Selon les secteurs, on entend répéter ce leitmotiv : « jobs, jobs, jobs ». Il importe de garder nos emplois en Belgique. Je comprends cela parfaitement. Sauf que ce leitmotiv, on l’entend rarement quand il s’agit de promouvoir le secteur créatif et culturel. Certes, au Parlement flamand, ministres et députés manifestent régulièrement leur soutien aux créateurs, mais cela va rarement au-delà du discours. Pourtant, nos travailleurs et nos indépendants participent aussi aux secteurs de l’enseignement, du bien-être, de l’innovation, de la recherche, du développement urbain, de la diplomatie… Alors d’où vient le problème ? D’une vision exagérément fragmentée de notre secteur. Parfois, à entendre les débats en commission parlementaire de l’Emploi, de l’Économie ou des Affaires étrangères, on pourrait croire que nos professions n’existent pas, tout simplement. Sauf à l’approche de l’été, quand les responsables politiques assurent avec enthousiasme la promotion de « leur » petit festival local… ou de Tomorrowland. Ce qu’on oublie trop souvent, en l’occurrence, c’est la longue chaîne humaine à qui nous devons tous ces bons moments de la saison d’été.
« On oublie trop souvent la longue chaîne humaine à qui l’on doit tous ces bons moments de la saison d’été. »
De manière générale, on connaît plus ou moins le chanteur. Le parolier, le luthier, le facteur d’instruments, beaucoup moins. Et tout ce qu’il y a d’innovant dans un saxophone ou dans un Moog -synth, encore moins. Quand on visite une usine, on rencontre généralement le PDG, et parfois le personnel d’atelier. On rencontre bien plus rarement les créateurs de la capsule vidéo promotionnelle à l’accueil : le graphiste qui a créé le logo, le cadreur, l’ingénieur du son, les rédacteurs publicitaires, le comédien qui a prêté sa voix pour le doublage, etc.
Trop excités par le jeu, trop fascinés par le film, trop pris par le scénario, on oublie la cohorte des talents qui se cachent derrière le résultat final. Qui a créé les costumes que portent les stars sur scène ? Qui a dessiné le foulard du supporter de football ? Quel architecte a tracé les plans de l’immeuble où nous travaillons ? Qui a développé l’application que nous utilisons ? Quel designer a inventé la chaise sur laquelle nous sommes assis ?
[2]Tourisme à Fourons : la baisse des subsides flamands relance la querelle linguistique
Foin de cynisme : ce message se veut essentiellement positif. Il appelle à reconnaître la valeur de nos créateurs et à s’inspirer de leur vision du monde. Si nous, responsables politiques, admirons tant la capacité des esprits créatifs à quitter les sentiers battus, pourquoi ne leur emboîtons-nous pas le pas ? Pourquoi ne pas considérer comme un atout cette force créatrice de lien entre divers domaines de gouvernance ? Pourquoi, en notre qualité de décideurs politiques, ne pas utiliser, mettre en valeur, défendre cette capacité à prendre de la hauteur ? N’avons-nous pas grand besoin d’imagination en ces temps difficiles ?
« Que cet appel soit une invitation à intégrer le secteur créatif culturel à notre récit collectif »
Joignons le geste à la parole. Faisons-nous un devoir, individuellement, d’intégrer pleinement le secteur créatif et culturel au récit collectif de la Flandre. De Menin à Maasmechelen, depuis les venelles de nos villages jusqu’aux plus grandes scènes internationales. Partout où nos élus sont si fiers de couper le ruban : à chaque inauguration d’une école, d’une plaine de jeux ou d’un parc, derrière chaque étude scientifique, derrière chaque grand chantier de mobilité, derrière chaque rencontre internationale. Sachons-le, neuf fois sur dix, un créatif ou un acteur culturel a contribué à l’œuvre finale. Voilà une information très facile à traduire en emplois.
Jobs, jobs, jobs.
[1] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/la-flandre-supprime-les-prix-culturels-ultimas-un-doigt-dhonneur-aux-artistes/
[2] https://daardaar.be/rubriques/societe/tourisme-a-fourons-la-baisse-des-subsides-flamands-relance-la-querelle-linguistique/
Laissez-moi vous dévoiler – d’un coup sec, mais avec le sourire – une réalité étonnante : [en Flandre, ndt], le secteur créatif et culturel occupe plus de 225.000 personnes, soit 7,46 % de la population active. Largement deux fois plus que le secteur de la construction. Largement quatre fois plus que le secteur de l’agriculture. L’équivalent de 35 usines Volvo ou de 42 groupes comme Janssen Pharmaceutica.
Le mythe
Le secteur culturel, on le sait, est porteur d’une dynamique rassembleuse, créatrice, innovante et fédératrice. Mais pas que. Il représente pour notre économie pas moins de 16,6 milliards d’euros de valeur ajoutée, soit 5,18 % de la valeur ajoutée créée en Flandre. En face, le gouvernement flamand n’aligne que 1,7 % des subsides régionaux. Le reste de ces subventions – qu’on appelle généralement « investissements » dans d’autres secteurs – va aux grands groupes industriels, à la police, à la santé, à l’enseignement, aux routes, quand ce n’est pas… à un aéroport déficitaire. Autant dire qu’il est grand temps d’enterrer le mythe de la sangsue.
La croissance du secteur culturel reste forte, et dépasse même celle de l’ensemble du marché de l’emploi. Ce qui frappe, en Flandre, c’est le nombre de travailleurs indépendants. Or plus de 16 % des indépendants à titre principal travaillent dans le monde créatif ou culturel. Autrement dit : en Flandre, un indépendant sur six bosse dans le secteur de l’audiovisuel, des médias, de la publicité ou des jeux vidéo. Ou encore dans celui du patrimoine, de l’architecture, des arts visuels, du design, de la mode ou des arts de la scène. Des secteurs en croissance forte, supérieure à celle du marché régional de l’emploi. Autant dire que ce secteur mérite, de la part de nos dirigeants, davantage de considération.
[1]La Flandre supprime les prix culturels Ultimas : « Un doigt d’honneur aux artistes »
Une vision fragmentée
Selon les secteurs, on entend répéter ce leitmotiv : « jobs, jobs, jobs ». Il importe de garder nos emplois en Belgique. Je comprends cela parfaitement. Sauf que ce leitmotiv, on l’entend rarement quand il s’agit de promouvoir le secteur créatif et culturel. Certes, au Parlement flamand, ministres et députés manifestent régulièrement leur soutien aux créateurs, mais cela va rarement au-delà du discours. Pourtant, nos travailleurs et nos indépendants participent aussi aux secteurs de l’enseignement, du bien-être, de l’innovation, de la recherche, du développement urbain, de la diplomatie… Alors d’où vient le problème ? D’une vision exagérément fragmentée de notre secteur. Parfois, à entendre les débats en commission parlementaire de l’Emploi, de l’Économie ou des Affaires étrangères, on pourrait croire que nos professions n’existent pas, tout simplement. Sauf à l’approche de l’été, quand les responsables politiques assurent avec enthousiasme la promotion de « leur » petit festival local… ou de Tomorrowland. Ce qu’on oublie trop souvent, en l’occurrence, c’est la longue chaîne humaine à qui nous devons tous ces bons moments de la saison d’été.
« On oublie trop souvent la longue chaîne humaine à qui l’on doit tous ces bons moments de la saison d’été. »
De manière générale, on connaît plus ou moins le chanteur. Le parolier, le luthier, le facteur d’instruments, beaucoup moins. Et tout ce qu’il y a d’innovant dans un saxophone ou dans un Moog -synth, encore moins. Quand on visite une usine, on rencontre généralement le PDG, et parfois le personnel d’atelier. On rencontre bien plus rarement les créateurs de la capsule vidéo promotionnelle à l’accueil : le graphiste qui a créé le logo, le cadreur, l’ingénieur du son, les rédacteurs publicitaires, le comédien qui a prêté sa voix pour le doublage, etc.
Trop excités par le jeu, trop fascinés par le film, trop pris par le scénario, on oublie la cohorte des talents qui se cachent derrière le résultat final. Qui a créé les costumes que portent les stars sur scène ? Qui a dessiné le foulard du supporter de football ? Quel architecte a tracé les plans de l’immeuble où nous travaillons ? Qui a développé l’application que nous utilisons ? Quel designer a inventé la chaise sur laquelle nous sommes assis ?
[2]Tourisme à Fourons : la baisse des subsides flamands relance la querelle linguistique
Un récit collectif
Foin de cynisme : ce message se veut essentiellement positif. Il appelle à reconnaître la valeur de nos créateurs et à s’inspirer de leur vision du monde. Si nous, responsables politiques, admirons tant la capacité des esprits créatifs à quitter les sentiers battus, pourquoi ne leur emboîtons-nous pas le pas ? Pourquoi ne pas considérer comme un atout cette force créatrice de lien entre divers domaines de gouvernance ? Pourquoi, en notre qualité de décideurs politiques, ne pas utiliser, mettre en valeur, défendre cette capacité à prendre de la hauteur ? N’avons-nous pas grand besoin d’imagination en ces temps difficiles ?
« Que cet appel soit une invitation à intégrer le secteur créatif culturel à notre récit collectif »
Joignons le geste à la parole. Faisons-nous un devoir, individuellement, d’intégrer pleinement le secteur créatif et culturel au récit collectif de la Flandre. De Menin à Maasmechelen, depuis les venelles de nos villages jusqu’aux plus grandes scènes internationales. Partout où nos élus sont si fiers de couper le ruban : à chaque inauguration d’une école, d’une plaine de jeux ou d’un parc, derrière chaque étude scientifique, derrière chaque grand chantier de mobilité, derrière chaque rencontre internationale. Sachons-le, neuf fois sur dix, un créatif ou un acteur culturel a contribué à l’œuvre finale. Voilà une information très facile à traduire en emplois.
Jobs, jobs, jobs.
[1] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/la-flandre-supprime-les-prix-culturels-ultimas-un-doigt-dhonneur-aux-artistes/
[2] https://daardaar.be/rubriques/societe/tourisme-a-fourons-la-baisse-des-subsides-flamands-relance-la-querelle-linguistique/