En Flandre, les coupes budgétaires appauvrissent encore une offre médiatique déjà très uniforme
([Culture et Médias] 2025-09-01 (Apache))
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- News link: https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/en-flandre-les-coupes-budgetaires-appauvrissent-encore-une-offre-mediatique-deja-tres-uniforme/
- Source link: https://apache.be/2025/09/23/vlaamse-besparingen-verschralen-media-aanbod-verder
Le gouvernement flamand a choisi d’effectuer des coupes sombres dans les fonds alloués à la coopération au développement, ce qui se répercute sur les subsides octroyés à MO*Magazine, trimestriel flamand spécialisé dans l’actualité internationale. Le Fonds Pascal Decroos, qui offre des bourses à des projets de journalisme d’investigation innovants, voit quant à lui son financement amputé d’un cinquième. Conséquence : une nouvelle détérioration du paysage médiatique se profile à l’horizon.
Les citoyens et les citoyennes ont droit à une information fiable, de qualité, fondée sur la liberté de la presse et la liberté d’expression. Dans son mémorandum 2024-2029, le Conseil stratégique des médias (SAM), équivalent flamand du Conseil supérieur de l’audiovisuel, appelait récemment le gouvernement à encourager et à protéger le journalisme indépendant, en particulier d’investigation. Les arbitrages budgétaires en ont finalement décidé autrement : MO*Magazine perd 15 % de son financement, tandis que le Fonds Pascal Decroos pour le journalisme d’investigation doit se passer de 20 % de ses subsides.
Chaque année, l’Autorité flamande de régulation des médias (VRM) publie un rapport détaillé sur la poursuite inquiétante de la concentration médiatique au nord du pays, où le marché compte cinq acteurs, mais dont deux se taillent véritablement la part du lion en détenant la quasi-totalité des journaux : le duopole Mediahuis-DPG Media. Ce manque de pluralisme représente un danger, confirme le Centre pour le pluralisme et la liberté des médias (CMPF), qui vient de consacrer un rapport à la question. Depuis 2018, des professeurs de Flandre et des Pays-Bas tirent pourtant la sonnette d’alarme : la diversité d’opinions est en danger. Nos voisins – où l’on compte certes trois fois plus d’habitants qu’en Flandre – ont décidé d’agir en prévoyant d’investir 15 millions d’euros dans le journalisme d’investigation l’an prochain.
[1]La polarisation gagne du terrain dans les médias flamands
Même son de cloche du côté de Charlotte Michils, secrétaire générale de l’Association flamande des journalistes (VVJ), qui déplore elle aussi une tendance préoccupante. « Des médias de niche comme MO* Magazine apportent de la nuance et de la couleur à un paysage de plus en plus terne et uniforme. Les coupes budgétaires ne sont clairement pas une bonne nouvelle pour la diversité et le pluralisme. »
Depuis plus de vingt ans, MO* Magazine couvre l’actualité internationale et propose des analyses sur les grands enjeux mondiaux. « MO* reste à ce jour le seul magazine belge, en ligne et imprimé, à poser un regard complet sur le reste du monde, en mettant notamment en lumière les liens entre les pays du nord et du sud », souligne la rédactrice en cheffe Marie Geukens. Le magazine est publié par l’asbl Wereldmediahuis, une organisation de presse à but non lucratif fondée par des ONG. « MO* défend une ligne éditoriale établie sur le respect des valeurs, sur les droits humains et la dignité. »
« Cette coupe budgétaire compromet gravement notre survie comme source d’information indépendante », avertit Marie Geukens. « Les 216 000 euros que nous perdons représentent 15 % de notre budget. Ce n’est rien pour le gouvernement, mais pour nous, c’est un levier essentiel pour diversifier nos revenus et maintenir l’accès gratuit à nos articles. » Aujourd’hui, 40 % du financement de MO* provient de subsides fédéraux. Le reste – environ 1,4 million d’euros – est récolté auprès de partenaires et de plus de 3 000 lecteurs engagés (les proMO*s). Le magazine lance aujourd’hui une nouvelle campagne de soutien.
En 2024, la Flandre a aussi supprimé toutes les aides accordées à Inter Press Service (IPS), une agence qui alimentait notamment MO* et d’autres médias en actualité venue du Sud global.
« MO* fait partie intégrante du système démocratique, insiste Marie Geukens. Le magazine garantit aux citoyens et citoyennes le droit à une information indépendante et à un jugement éclairé. La diversité des regards et des angles de traitement est essentielle. Cette décision du gouvernement est donc incompréhensible et profondément regrettable. Comprendre le monde dans sa complexité est plus nécessaire que jamais. MO* publie du contenu qu’on ne retrouve pas dans les grands médias. »
Ides Debruyne, directeur de Journalismfund Europe (dont dépend le Fonds Pascal Decroos), déplore la logique qui sous-tend les coupes budgétaires : « alors qu’il faudrait mieux informer la population en diversifiant l’offre médiatique, le gouvernement flamand fait le choix inverse. »
[2]La fusion des médias appauvrit l’offre journalistique en Flandre
Dans un communiqué publié sur son site, le Fonds Pascal Decroos critique vertement les justifications avancées, selon lesquelles « la valeur ajoutée de ces subsides pour la Flandre ne permet pas de compenser les nouveaux besoins qui se font jour ». Un raisonnement qui, selon lui, « témoigne d’une profonde méconnaissance du rôle du journalisme d’investigation dans une démocratie saine – et, ironie du sort, de sa valeur économique pour l’État même qui décide aujourd’hui d’y renoncer ».
« Le gouvernement n’encourage pas la diversification des voix et des opinions, poursuit-il. Il ne crée pas non plus un terreau favorable à l’innovation sociale dans les médias. Les organisations à but non lucratif comme Wereldmediahuis produisent une information différente, que les médias traditionnels ne couvrent guère, voire pas du tout. Les médias de niche comme MO* ont une expertise unique et des réseaux solides. À l’heure d’une concentration croissante des médias, on ne saurait trop insister sur l’importance des acteurs indépendants. »
« En Flandre, le paysage médiatique est dominé par quelques grands groupes commerciaux, auxquels s’ajoute un service public contraint de générer 40 % de ses revenus en publicités. Les conséquences sur la diversité de l’information sont désastreuses. La VRM ne cesse de tirer la sonnette d’alarme, mais prêche désespérément dans le désert. »
Le Fonds Pascal Decroos, qui accorde des bourses à des projets journalistiques innovants dans les médias néerlandophones, devra désormais fonctionner avec un budget réduit à 416 000 euros. À l’échelle européenne, Journalismfund Europe gère un budget annuel de 6 millions d’euros (financé pour l’essentiel par des bailleurs autres que la Région flamande).
« La seule façon de ne pas se prendre de gifle à la figure aurait été de voir le gouvernement adopter une position claire sur l’importance de la diversité dans les médias. On sait aujourd’hui ce qu’il en est. »
« Je ne suis plus surpris, confie Ides Debruyne. Le soutien public à la presse indépendante est déjà si faible… La seule façon de ne pas se prendre de gifle à la figure aurait été de voir le gouvernement adopter une position claire sur l’importance de la diversité dans les médias. On sait aujourd’hui ce qu’il en est. »
Et pourtant, c’est ce qui semblait se dessiner en début de législature. L’accord de gouvernement promettait que le Fonds Pascal Decroos continuerait à bénéficier d’un soutien afin de garantir l’indépendance de l’information. La ministre des Médias, Cieltje Van Achter (N-VA), l’avait confirmé dans sa note de politique générale : « La liberté de la presse, la liberté d’expression et le journalisme (d’investigation) indépendant sont essentiels à une démocratie solide, composée de citoyens bien informés. »
Le Conseil stratégique pour la culture, la jeunesse, le sport et les médias (SARC) n’a pas mâché ses mots dans son dernier mémorandum (2024-2029) : il en appelle explicitement à « soutenir les initiatives journalistiques indépendantes, en garantissant notamment au minimum un financement structurel et pérenne des fonds consacrés tant au journalisme d’enquête qu’au journalisme indépendant. »
« Je peux comprendre la situation dans laquelle se trouve la ministre des Médias, qui nourrissait sans doute d’autres ambitions au début de son mandat », conclut Ides Debruyne. « C’est une vraie déception, car les enjeux sont majeurs : la concentration médiatique se poursuit, la désinformation explose, et la taille réduite de notre espace linguistique rend la viabilité des petits médias de plus en plus difficile. Mais manifestement, ces questions ne sont pas jugées suffisamment prégnantes pour être prioritaires. »
[1] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/la-polarisation-gagne-du-terrain-dans-les-medias-flamands/
[2] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/la-fusion-des-medias-appauvrit-loffre-journalistique-en-flandre/
Les citoyens et les citoyennes ont droit à une information fiable, de qualité, fondée sur la liberté de la presse et la liberté d’expression. Dans son mémorandum 2024-2029, le Conseil stratégique des médias (SAM), équivalent flamand du Conseil supérieur de l’audiovisuel, appelait récemment le gouvernement à encourager et à protéger le journalisme indépendant, en particulier d’investigation. Les arbitrages budgétaires en ont finalement décidé autrement : MO*Magazine perd 15 % de son financement, tandis que le Fonds Pascal Decroos pour le journalisme d’investigation doit se passer de 20 % de ses subsides.
Chaque année, l’Autorité flamande de régulation des médias (VRM) publie un rapport détaillé sur la poursuite inquiétante de la concentration médiatique au nord du pays, où le marché compte cinq acteurs, mais dont deux se taillent véritablement la part du lion en détenant la quasi-totalité des journaux : le duopole Mediahuis-DPG Media. Ce manque de pluralisme représente un danger, confirme le Centre pour le pluralisme et la liberté des médias (CMPF), qui vient de consacrer un rapport à la question. Depuis 2018, des professeurs de Flandre et des Pays-Bas tirent pourtant la sonnette d’alarme : la diversité d’opinions est en danger. Nos voisins – où l’on compte certes trois fois plus d’habitants qu’en Flandre – ont décidé d’agir en prévoyant d’investir 15 millions d’euros dans le journalisme d’investigation l’an prochain.
[1]La polarisation gagne du terrain dans les médias flamands
Même son de cloche du côté de Charlotte Michils, secrétaire générale de l’Association flamande des journalistes (VVJ), qui déplore elle aussi une tendance préoccupante. « Des médias de niche comme MO* Magazine apportent de la nuance et de la couleur à un paysage de plus en plus terne et uniforme. Les coupes budgétaires ne sont clairement pas une bonne nouvelle pour la diversité et le pluralisme. »
Vingt ans d’infos sur le monde
Depuis plus de vingt ans, MO* Magazine couvre l’actualité internationale et propose des analyses sur les grands enjeux mondiaux. « MO* reste à ce jour le seul magazine belge, en ligne et imprimé, à poser un regard complet sur le reste du monde, en mettant notamment en lumière les liens entre les pays du nord et du sud », souligne la rédactrice en cheffe Marie Geukens. Le magazine est publié par l’asbl Wereldmediahuis, une organisation de presse à but non lucratif fondée par des ONG. « MO* défend une ligne éditoriale établie sur le respect des valeurs, sur les droits humains et la dignité. »
« Cette coupe budgétaire compromet gravement notre survie comme source d’information indépendante », avertit Marie Geukens. « Les 216 000 euros que nous perdons représentent 15 % de notre budget. Ce n’est rien pour le gouvernement, mais pour nous, c’est un levier essentiel pour diversifier nos revenus et maintenir l’accès gratuit à nos articles. » Aujourd’hui, 40 % du financement de MO* provient de subsides fédéraux. Le reste – environ 1,4 million d’euros – est récolté auprès de partenaires et de plus de 3 000 lecteurs engagés (les proMO*s). Le magazine lance aujourd’hui une nouvelle campagne de soutien.
Pluralité menacée
En 2024, la Flandre a aussi supprimé toutes les aides accordées à Inter Press Service (IPS), une agence qui alimentait notamment MO* et d’autres médias en actualité venue du Sud global.
« MO* fait partie intégrante du système démocratique, insiste Marie Geukens. Le magazine garantit aux citoyens et citoyennes le droit à une information indépendante et à un jugement éclairé. La diversité des regards et des angles de traitement est essentielle. Cette décision du gouvernement est donc incompréhensible et profondément regrettable. Comprendre le monde dans sa complexité est plus nécessaire que jamais. MO* publie du contenu qu’on ne retrouve pas dans les grands médias. »
Ides Debruyne, directeur de Journalismfund Europe (dont dépend le Fonds Pascal Decroos), déplore la logique qui sous-tend les coupes budgétaires : « alors qu’il faudrait mieux informer la population en diversifiant l’offre médiatique, le gouvernement flamand fait le choix inverse. »
[2]La fusion des médias appauvrit l’offre journalistique en Flandre
Dans un communiqué publié sur son site, le Fonds Pascal Decroos critique vertement les justifications avancées, selon lesquelles « la valeur ajoutée de ces subsides pour la Flandre ne permet pas de compenser les nouveaux besoins qui se font jour ». Un raisonnement qui, selon lui, « témoigne d’une profonde méconnaissance du rôle du journalisme d’investigation dans une démocratie saine – et, ironie du sort, de sa valeur économique pour l’État même qui décide aujourd’hui d’y renoncer ».
« Le gouvernement n’encourage pas la diversification des voix et des opinions, poursuit-il. Il ne crée pas non plus un terreau favorable à l’innovation sociale dans les médias. Les organisations à but non lucratif comme Wereldmediahuis produisent une information différente, que les médias traditionnels ne couvrent guère, voire pas du tout. Les médias de niche comme MO* ont une expertise unique et des réseaux solides. À l’heure d’une concentration croissante des médias, on ne saurait trop insister sur l’importance des acteurs indépendants. »
Un paysage dominé par le privé
« En Flandre, le paysage médiatique est dominé par quelques grands groupes commerciaux, auxquels s’ajoute un service public contraint de générer 40 % de ses revenus en publicités. Les conséquences sur la diversité de l’information sont désastreuses. La VRM ne cesse de tirer la sonnette d’alarme, mais prêche désespérément dans le désert. »
Le Fonds Pascal Decroos, qui accorde des bourses à des projets journalistiques innovants dans les médias néerlandophones, devra désormais fonctionner avec un budget réduit à 416 000 euros. À l’échelle européenne, Journalismfund Europe gère un budget annuel de 6 millions d’euros (financé pour l’essentiel par des bailleurs autres que la Région flamande).
« La seule façon de ne pas se prendre de gifle à la figure aurait été de voir le gouvernement adopter une position claire sur l’importance de la diversité dans les médias. On sait aujourd’hui ce qu’il en est. »
« Je ne suis plus surpris, confie Ides Debruyne. Le soutien public à la presse indépendante est déjà si faible… La seule façon de ne pas se prendre de gifle à la figure aurait été de voir le gouvernement adopter une position claire sur l’importance de la diversité dans les médias. On sait aujourd’hui ce qu’il en est. »
Et pourtant, c’est ce qui semblait se dessiner en début de législature. L’accord de gouvernement promettait que le Fonds Pascal Decroos continuerait à bénéficier d’un soutien afin de garantir l’indépendance de l’information. La ministre des Médias, Cieltje Van Achter (N-VA), l’avait confirmé dans sa note de politique générale : « La liberté de la presse, la liberté d’expression et le journalisme (d’investigation) indépendant sont essentiels à une démocratie solide, composée de citoyens bien informés. »
Financement durable
Le Conseil stratégique pour la culture, la jeunesse, le sport et les médias (SARC) n’a pas mâché ses mots dans son dernier mémorandum (2024-2029) : il en appelle explicitement à « soutenir les initiatives journalistiques indépendantes, en garantissant notamment au minimum un financement structurel et pérenne des fonds consacrés tant au journalisme d’enquête qu’au journalisme indépendant. »
« Je peux comprendre la situation dans laquelle se trouve la ministre des Médias, qui nourrissait sans doute d’autres ambitions au début de son mandat », conclut Ides Debruyne. « C’est une vraie déception, car les enjeux sont majeurs : la concentration médiatique se poursuit, la désinformation explose, et la taille réduite de notre espace linguistique rend la viabilité des petits médias de plus en plus difficile. Mais manifestement, ces questions ne sont pas jugées suffisamment prégnantes pour être prioritaires. »
[1] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/la-polarisation-gagne-du-terrain-dans-les-medias-flamands/
[2] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/la-fusion-des-medias-appauvrit-loffre-journalistique-en-flandre/