Lahav Shani déprogrammé du festival de Gand : la virulence du débat prouve l’efficacité du boycott
([Culture et Médias, Opinions] 2025-09-01 (De Standaard))
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L’indignation morale après la déprogrammation du chef d’orchestre israélien au festival de Gand est sélective, estime Michael De Cock. Après l’invasion russe de l’Ukraine, tout le monde semblait reconnaître la nécessité d’un boycott culturel.
Soudainement, la culture intéresse tout le monde. Qui l’eût cru ? Matthias Diependaele, ministre-président flamand, découvre tout à coup le pouvoir rassembleur de la musique et du théâtre, et déplore la décision du Gent Festival van Vlaanderen de refuser la prestation du Philharmonique de Munich et de son chef d’orchestre israélien Lahav Shani. Notre premier ministre a même parlé d’une honte pour la Flandre avant de se rendre à un concert en Allemagne pour prendre une photo avec Shani. Un signal clair à l’attention du gouvernement israélien après les réprimandes de Netanyahu, et une gifle pour les partenaires de la majorité. Et évidemment, Georges-Louis Bouchez (MR) n’a pas pu s’empêcher de se faire remarquer, en demandant sans gêne la démission d’une ministre flamande.
Si vous croyiez naïvement que les tensions internes suscitées par le compromis nocturne de la semaine passée ont été tuées dans l’œuf, repensez-y à deux fois. Certes, quelque chose a bel et bien changé depuis le fameux conclave. Au lieu de suivre gentiment le mouvement, Caroline Gennez (Vooruit), ministre de la Culture, a pris la tête de la résistance. Pour les centaines de milliers de manifestants de ces derniers mois, c’est un renouveau bienvenu, après des semaines d’atermoiements et de bafouillages sur la question. Un génocide ? Mais non, ce sont des bruits venus de l’étranger.
[1]Coupes drastiques dans la culture flamande: « On nous brise les quelques os qu’il nous restait »
La déprogrammation de Lahav Shani est perçue par beaucoup comme une décision contre nature. En effet, quel est le lien avec un génocide commis à Gaza et avec le gouvernement Netanyahu ? Pourquoi ne laisse-t-on pas cet artiste faire son travail, tout simplement ? Peu de positions sont confortables dans ce débat. Mais si l’on croit qu’un boycott a du sens, comme pourraient le confirmer bon nombre d’artistes sudafricains – et ils savent de quoi ils parlent – il faut rester déterminé, malgré les dégâts collatéraux. S’il est vrai que pour l’artiste, cela laisse un goût amer, le fait est que dans ce cas-ci, ce n’est pas de la personne de Lahav Shani qu’il est question, mais bien des institutions auxquelles il est professionnellement lié. En sa qualité de chef d’orchestre officiel de l’Orchestre philharmonique israélien, il est lié à un régime qui commet en ce moment un génocide.
L’argument de la liberté artistique, invoqué par De Wever, est donc hors sujet. La liberté d’expression des artistes dans le cadre de leur œuvre ne signifie pas que tous les artistes sont soudain détachés du monde. Si des artistes financés par un régime génocidaire choisissent de soutenir ce régime culturellement plutôt que de le condamner en tant que citoyens, c’est un choix. Un choix susceptible d’entraîner des conséquences.
Le boycott culturel contre l’État israélien – qui ne touche par ailleurs pas seulement les artistes israéliens – ne date pas d’hier et n’est pas près de se terminer. Que faire de l’Eurovision ? Faut-il arrêter d’y participer tant qu’Israël y participe, comme le font les Pays-Bas et l’Irlande ?
[2]Conflit israélo-palestinien: la sortie controversée de Diependaele fragilise sa coalition
Regardons cette affaire d’une autre perspective : celle de l’invasion russe de l’Ukraine. Qu’avons-nous fait, par exemple, avec la soprano Anna Netrebko ? De nombreux artistes russes ont été boycottés. Où était-elle à l’époque, l’indignation morale ? On dirait bien que l’indignation d’aujourd’hui est plutôt sélective, et qu’elle sert surtout à révéler les différences idéologiques entre les partis.
La bonne nouvelle pour le secteur de la culture et pour le monde ? Lorsqu’un boycott a lieu, la culture devient plus qu’un instrument de soft power destiné à exercer une pression sur la politique internationale. La Belgique balbutiante et hésitante a soudainement pris la tête de la résistance européenne. Et on comprend bien que certains partis de la majorité ont du mal à l’avaler. Les débats enflammés qui y ont fait suite démontrent que le boycott a bien atteint son objectif, tant en Belgique qu’à l’étranger.
Pour finir, nous nous étonnons des plaintes venues d’Allemagne. Rappelons que dans ce pays, depuis deux ans, plus personne ne peut exprimer la moindre parole propalestinienne sous peine de perdre son emploi. Dans ce pays, on réduit au silence les artistes et on censure des spectacles dès lors qu’une scène parle de Gaza. De quelle crédibilité dispose ce pays qui ose faire la leçon au monde culturel belge ? Il n’y a même pas deux ans, la représentation d’Alain Platel, C(H)OEURS, a été déprogrammée parce qu’elle défendait un point de vue palestinien et plaidait pour un boycott d’Israël.
Tout ce débat ne doit pas se limiter au cas de Lahav Shani. Il doit porter sur l’efficacité d’un boycott. C’est la seule et unique raison d’annuler ses concerts.
Nous soulignons qu’il ne s’agit pas ici d’un cas de cancel culture . Gardons bien la tête froide, et continuons à faire comprendre aux régimes génocidaires que leur comportement entraîne des répercussions, y compris pour les artistes qui travaillent pour ce régime.
Nous n’avons pas le droit de regarder ailleurs. Ni de faire semblant de saigner du nez.
[1] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/coupes-drastiques-dans-la-culture-flamande-on-nous-a-brise-les-quelques-os-quil-nous-restait/
[2] https://daardaar.be/rubriques/politique/conflit-israelo-palestinien-la-sortie-controversee-de-diependaele-fragilise-sa-coalition/
Soudainement, la culture intéresse tout le monde. Qui l’eût cru ? Matthias Diependaele, ministre-président flamand, découvre tout à coup le pouvoir rassembleur de la musique et du théâtre, et déplore la décision du Gent Festival van Vlaanderen de refuser la prestation du Philharmonique de Munich et de son chef d’orchestre israélien Lahav Shani. Notre premier ministre a même parlé d’une honte pour la Flandre avant de se rendre à un concert en Allemagne pour prendre une photo avec Shani. Un signal clair à l’attention du gouvernement israélien après les réprimandes de Netanyahu, et une gifle pour les partenaires de la majorité. Et évidemment, Georges-Louis Bouchez (MR) n’a pas pu s’empêcher de se faire remarquer, en demandant sans gêne la démission d’une ministre flamande.
Si vous croyiez naïvement que les tensions internes suscitées par le compromis nocturne de la semaine passée ont été tuées dans l’œuf, repensez-y à deux fois. Certes, quelque chose a bel et bien changé depuis le fameux conclave. Au lieu de suivre gentiment le mouvement, Caroline Gennez (Vooruit), ministre de la Culture, a pris la tête de la résistance. Pour les centaines de milliers de manifestants de ces derniers mois, c’est un renouveau bienvenu, après des semaines d’atermoiements et de bafouillages sur la question. Un génocide ? Mais non, ce sont des bruits venus de l’étranger.
[1]Coupes drastiques dans la culture flamande: « On nous brise les quelques os qu’il nous restait »
Dégâts collatéraux
La déprogrammation de Lahav Shani est perçue par beaucoup comme une décision contre nature. En effet, quel est le lien avec un génocide commis à Gaza et avec le gouvernement Netanyahu ? Pourquoi ne laisse-t-on pas cet artiste faire son travail, tout simplement ? Peu de positions sont confortables dans ce débat. Mais si l’on croit qu’un boycott a du sens, comme pourraient le confirmer bon nombre d’artistes sudafricains – et ils savent de quoi ils parlent – il faut rester déterminé, malgré les dégâts collatéraux. S’il est vrai que pour l’artiste, cela laisse un goût amer, le fait est que dans ce cas-ci, ce n’est pas de la personne de Lahav Shani qu’il est question, mais bien des institutions auxquelles il est professionnellement lié. En sa qualité de chef d’orchestre officiel de l’Orchestre philharmonique israélien, il est lié à un régime qui commet en ce moment un génocide.
L’argument de la liberté artistique, invoqué par De Wever, est donc hors sujet. La liberté d’expression des artistes dans le cadre de leur œuvre ne signifie pas que tous les artistes sont soudain détachés du monde. Si des artistes financés par un régime génocidaire choisissent de soutenir ce régime culturellement plutôt que de le condamner en tant que citoyens, c’est un choix. Un choix susceptible d’entraîner des conséquences.
Le boycott culturel contre l’État israélien – qui ne touche par ailleurs pas seulement les artistes israéliens – ne date pas d’hier et n’est pas près de se terminer. Que faire de l’Eurovision ? Faut-il arrêter d’y participer tant qu’Israël y participe, comme le font les Pays-Bas et l’Irlande ?
[2]Conflit israélo-palestinien: la sortie controversée de Diependaele fragilise sa coalition
Indignation sélective
Regardons cette affaire d’une autre perspective : celle de l’invasion russe de l’Ukraine. Qu’avons-nous fait, par exemple, avec la soprano Anna Netrebko ? De nombreux artistes russes ont été boycottés. Où était-elle à l’époque, l’indignation morale ? On dirait bien que l’indignation d’aujourd’hui est plutôt sélective, et qu’elle sert surtout à révéler les différences idéologiques entre les partis.
La bonne nouvelle pour le secteur de la culture et pour le monde ? Lorsqu’un boycott a lieu, la culture devient plus qu’un instrument de soft power destiné à exercer une pression sur la politique internationale. La Belgique balbutiante et hésitante a soudainement pris la tête de la résistance européenne. Et on comprend bien que certains partis de la majorité ont du mal à l’avaler. Les débats enflammés qui y ont fait suite démontrent que le boycott a bien atteint son objectif, tant en Belgique qu’à l’étranger.
Pour finir, nous nous étonnons des plaintes venues d’Allemagne. Rappelons que dans ce pays, depuis deux ans, plus personne ne peut exprimer la moindre parole propalestinienne sous peine de perdre son emploi. Dans ce pays, on réduit au silence les artistes et on censure des spectacles dès lors qu’une scène parle de Gaza. De quelle crédibilité dispose ce pays qui ose faire la leçon au monde culturel belge ? Il n’y a même pas deux ans, la représentation d’Alain Platel, C(H)OEURS, a été déprogrammée parce qu’elle défendait un point de vue palestinien et plaidait pour un boycott d’Israël.
Tout ce débat ne doit pas se limiter au cas de Lahav Shani. Il doit porter sur l’efficacité d’un boycott. C’est la seule et unique raison d’annuler ses concerts.
Nous soulignons qu’il ne s’agit pas ici d’un cas de cancel culture . Gardons bien la tête froide, et continuons à faire comprendre aux régimes génocidaires que leur comportement entraîne des répercussions, y compris pour les artistes qui travaillent pour ce régime.
Nous n’avons pas le droit de regarder ailleurs. Ni de faire semblant de saigner du nez.
[1] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/coupes-drastiques-dans-la-culture-flamande-on-nous-a-brise-les-quelques-os-quil-nous-restait/
[2] https://daardaar.be/rubriques/politique/conflit-israelo-palestinien-la-sortie-controversee-de-diependaele-fragilise-sa-coalition/