Le monde a besoin de sages, pas de vieux tyrans accrochés au pouvoir
([Opinions] 2025-07-01 (De Morgen))
- Reference: 2025-07_jorgen-haland-QVeRgFErOPs-unsplash-255x170
- News link: https://daardaar.be/rubriques/opinions/le-monde-a-besoin-de-sages-pas-de-vieux-tyrans-accroches-au-pouvoir/
- Source link: https://www.demorgen.be/meningen/nu-ze-het-einde-van-hun-leven-naderen-lijken-deze-kinderen-van-de-naoorlogse-wereld-vastbesloten-om-die-wereld-af-te-breken~b2343477/
Prêtons-nous à un exercice délicat : évoquer le poids des ans sans tomber dans l’âgisme. Jamais, dans l’histoire moderne, ceux qui détiennent le sort du monde entre leurs mains n’ont été aussi vieux. Vladimir Poutine et Xi Jinping ont tous deux 72 ans. Narendra Modi en a 74, Benyamin Netanyahou 75, Donald Trump 79, et l’ayatollah Ali Khamenei atteint les 86 ans.
Certes, les progrès de la médecine permettent de vivre et de rester actif plus longtemps, mais on constate aujourd’hui un phénomène inquiétant : de plus en plus de dirigeants étendent leur emprise et consolident leur pouvoir avec l’âge, souvent au détriment de leurs homologues plus jeunes.
La semaine dernière, lors de leur sommet annuel, les chefs d’État de l’OTAN – parmi lesquels Emmanuel Macron et Mette Frederiksen (47 ans), Giorgia Meloni (48 ans) et Pedro Sánchez (53 ans) – ont été contraints de céder à l’exigence de Trump d’augmenter les budgets militaires.
Tous ont plié face à ce nouvel objectif fixé à 5 % du PIB pour les dépenses de défense – un chiffre arbitraire, imposé sans argument militaire solide, sans débat rationnel, et encore moins sans véritable discussion démocratique dans les pays concernés. Ce n’était pas une décision politique, mais une soumission aux caprices d’un patriarche bougon. Le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte – lui-même âgé de « seulement » 58 ans – est même allé jusqu’à appeler Trump « papa ». À ce stade, ce n’est plus de la diplomatie, c’est de la servilité.
Ce conflit générationnel s’exprime aussi sur d’autres terrains. À 47 ans, le président ukrainien Volodymyr Zelensky résiste aux ambitions impériales de Poutine, 72 ans. Xi Jinping, du même âge, convoite Taïwan, dirigée par un président de sept ans son cadet. Netanyahou, 75 ans, supervise la destruction de Gaza, où près de la moitié de la population a moins de 18 ans.
Et en Iran, un homme de 86 ans gouverne un pays dont l’âge médian est de 32 ans. Au Cameroun, Paul Biya, 92 ans, est au pouvoir depuis 1982 dans un État où l’âge médian est de 18 ans et l’espérance de vie plafonne à 62.
Il n’est pas question ici d’une conspiration gérontocratique ou d’un cercle de vieux puissants rêvant de gouverner le monde. Mais le fait est troublant : ceux-là mêmes dont l’existence a été modelée par l’ordre mondial d’après-guerre semblent aujourd’hui déterminés à en défaire patiemment les fondations. Et on ne peut que s’en inquiéter.
A relire
[1]Le fascisme commence toujours par un désir de nouveau départ, de rupture radicale
Trump est né en 1946, l’année de la première assemblée générale des Nations unies. Netanyahou en 1949, un an après la création de l’État d’Israël. Modi en 1950, lorsque l’Inde est devenue une république. Poutine a vu le jour en octobre 1952, quelques mois avant la mort de Staline. Erdoğan est né en 1954, deux ans après l’adhésion de la Turquie à l’OTAN.
Ces hommes sont les enfants du monde d’après-guerre, et à l’approche de la fin de leur vie, ils semblent déterminés à le déconstruire. Cela ressemble presque à une vengeance. Le grand poète Dylan Thomas exhortait ses lecteurs à lutter contre la mort : « Hurle, hurle à l’agonie de la lumière. » . Rarement ce vers a-t-il été appliqué avec autant de littéralité qu’aujourd’hui.
Certes, l’ordre international issu de l’après-guerre fondé sur le respect des règles et des accords a toujours été plus clair et ordonné sur papier qu’en pratique. Mais il avait le mérite d’exister. Il reposait sur un socle moral partagé – fragile, mais sincère – forgé par la conviction que l’humanité ne devait jamais revivre les horreurs du premier XXe siècle, et que le dialogue valait toujours mieux que la confrontation. Cette conviction s’est éteinte, jusque dans l’esprit de ceux qui auraient dû en être les gardiens.
La nouvelle génération qui a succédé aux architectes du chaos du siècle dernier a bâti un autre monde et en a assumé les conséquences. Aujourd’hui, ce monde-là est démantelé par une génération âgée, qui ne verra probablement jamais les décombres qu’elle laissera derrière elle. Il est plus facile de clamer « drill, baby, drill » quand on sait que les pires effets de la crise climatique n’auront pas le temps de vous rattraper. Après nous, le déluge.
Nous vivons un moment inédit. Les architectes du chaos du siècle dernier – Hitler, Mussolini, Staline, Mao – avaient la trentaine ou la quarantaine quand ils ont pris le pouvoir. Une nouvelle génération leur a succédé, a bâti un autre monde et en a assumé les conséquences. Aujourd’hui, ce monde-là est démantelé par une génération âgée, qui ne verra probablement jamais les décombres qu’elle laissera derrière elle. Il est plus facile de clamer « drill, baby, drill » quand on sait que les pires effets de la crise climatique n’auront pas le temps de vous rattraper. Après eux, le déluge.
On pourrait croire qu’une génération ayant eu la chance de vivre longtemps souhaiterait laisser de belles valeurs en héritage : le souci de l’autre, la reconnaissance, la bonne gouvernance. Et pourtant, nous assistons à la pire résurgence de répression, de violence, de génocide, d’écocide et de mépris du droit international depuis des décennies — le fait d’hommes impitoyables de 70, 80, voire 90 ans, qui semblent plus préoccupés par l’idée d’échapper à la justice que par celle de préserver la paix.
Mais ce n’est pas une fatalité.
Après son retrait de la vie politique, Nelson Mandela a fondé The Elders , un réseau de dirigeants mondiaux retraités œuvrant pour la paix, la justice et les droits humains. Inspiré par les traditions africaines de consensus et de sagesse des anciens, ce projet montre qu’avec l’âge peuvent venir la clarté, la compassion et la conscience.
Le dalaï-lama, qui fête ses 90 ans ce week-end, a renoncé à ses responsabilités politiques dès 2011. Et dans l’Église catholique, un évêque prend sa retraite à 75 ans, comme l’a fait cette semaine Lode Van Hecke, en quittant le diocèse de Gand pour retourner à l’abbaye d’Orval.
Le monde n’a pas besoin de vieillards autoritaires accrochés au pouvoir. Il a besoin d’anciens capables de transmettre, puis de se retirer avec dignité. De femmes et d’hommes qui ne voient pas leur héritage comme une affaire de gloire personnelle. À l’ère du vieillissement, ce n’est pas de domination dont nous avons besoin, mais de sagesse. Et c’est bien cela qui, au fond, distingue un dirigeant d’un véritable leader.
A relire
[2]«Les similitudes avec les années 1930 sont bel et bien frappantes»
[1] https://daardaar.be/rubriques/opinions/le-fascime-commence-toujours-par-un-desir-de-nouveau-depart-de-rupture-radicale/
[2] https://daardaar.be/rubriques/politique/les-similitudes-avec-les-annees-1930-sont-frappantes/
Certes, les progrès de la médecine permettent de vivre et de rester actif plus longtemps, mais on constate aujourd’hui un phénomène inquiétant : de plus en plus de dirigeants étendent leur emprise et consolident leur pouvoir avec l’âge, souvent au détriment de leurs homologues plus jeunes.
La semaine dernière, lors de leur sommet annuel, les chefs d’État de l’OTAN – parmi lesquels Emmanuel Macron et Mette Frederiksen (47 ans), Giorgia Meloni (48 ans) et Pedro Sánchez (53 ans) – ont été contraints de céder à l’exigence de Trump d’augmenter les budgets militaires.
Tous ont plié face à ce nouvel objectif fixé à 5 % du PIB pour les dépenses de défense – un chiffre arbitraire, imposé sans argument militaire solide, sans débat rationnel, et encore moins sans véritable discussion démocratique dans les pays concernés. Ce n’était pas une décision politique, mais une soumission aux caprices d’un patriarche bougon. Le secrétaire général de l’OTAN, Mark Rutte – lui-même âgé de « seulement » 58 ans – est même allé jusqu’à appeler Trump « papa ». À ce stade, ce n’est plus de la diplomatie, c’est de la servilité.
Ce conflit générationnel s’exprime aussi sur d’autres terrains. À 47 ans, le président ukrainien Volodymyr Zelensky résiste aux ambitions impériales de Poutine, 72 ans. Xi Jinping, du même âge, convoite Taïwan, dirigée par un président de sept ans son cadet. Netanyahou, 75 ans, supervise la destruction de Gaza, où près de la moitié de la population a moins de 18 ans.
Et en Iran, un homme de 86 ans gouverne un pays dont l’âge médian est de 32 ans. Au Cameroun, Paul Biya, 92 ans, est au pouvoir depuis 1982 dans un État où l’âge médian est de 18 ans et l’espérance de vie plafonne à 62.
Il n’est pas question ici d’une conspiration gérontocratique ou d’un cercle de vieux puissants rêvant de gouverner le monde. Mais le fait est troublant : ceux-là mêmes dont l’existence a été modelée par l’ordre mondial d’après-guerre semblent aujourd’hui déterminés à en défaire patiemment les fondations. Et on ne peut que s’en inquiéter.
A relire
[1]Le fascisme commence toujours par un désir de nouveau départ, de rupture radicale
Trump est né en 1946, l’année de la première assemblée générale des Nations unies. Netanyahou en 1949, un an après la création de l’État d’Israël. Modi en 1950, lorsque l’Inde est devenue une république. Poutine a vu le jour en octobre 1952, quelques mois avant la mort de Staline. Erdoğan est né en 1954, deux ans après l’adhésion de la Turquie à l’OTAN.
Ces hommes sont les enfants du monde d’après-guerre, et à l’approche de la fin de leur vie, ils semblent déterminés à le déconstruire. Cela ressemble presque à une vengeance. Le grand poète Dylan Thomas exhortait ses lecteurs à lutter contre la mort : « Hurle, hurle à l’agonie de la lumière. » . Rarement ce vers a-t-il été appliqué avec autant de littéralité qu’aujourd’hui.
Certes, l’ordre international issu de l’après-guerre fondé sur le respect des règles et des accords a toujours été plus clair et ordonné sur papier qu’en pratique. Mais il avait le mérite d’exister. Il reposait sur un socle moral partagé – fragile, mais sincère – forgé par la conviction que l’humanité ne devait jamais revivre les horreurs du premier XXe siècle, et que le dialogue valait toujours mieux que la confrontation. Cette conviction s’est éteinte, jusque dans l’esprit de ceux qui auraient dû en être les gardiens.
La nouvelle génération qui a succédé aux architectes du chaos du siècle dernier a bâti un autre monde et en a assumé les conséquences. Aujourd’hui, ce monde-là est démantelé par une génération âgée, qui ne verra probablement jamais les décombres qu’elle laissera derrière elle. Il est plus facile de clamer « drill, baby, drill » quand on sait que les pires effets de la crise climatique n’auront pas le temps de vous rattraper. Après nous, le déluge.
Nous vivons un moment inédit. Les architectes du chaos du siècle dernier – Hitler, Mussolini, Staline, Mao – avaient la trentaine ou la quarantaine quand ils ont pris le pouvoir. Une nouvelle génération leur a succédé, a bâti un autre monde et en a assumé les conséquences. Aujourd’hui, ce monde-là est démantelé par une génération âgée, qui ne verra probablement jamais les décombres qu’elle laissera derrière elle. Il est plus facile de clamer « drill, baby, drill » quand on sait que les pires effets de la crise climatique n’auront pas le temps de vous rattraper. Après eux, le déluge.
On pourrait croire qu’une génération ayant eu la chance de vivre longtemps souhaiterait laisser de belles valeurs en héritage : le souci de l’autre, la reconnaissance, la bonne gouvernance. Et pourtant, nous assistons à la pire résurgence de répression, de violence, de génocide, d’écocide et de mépris du droit international depuis des décennies — le fait d’hommes impitoyables de 70, 80, voire 90 ans, qui semblent plus préoccupés par l’idée d’échapper à la justice que par celle de préserver la paix.
Mais ce n’est pas une fatalité.
Après son retrait de la vie politique, Nelson Mandela a fondé The Elders , un réseau de dirigeants mondiaux retraités œuvrant pour la paix, la justice et les droits humains. Inspiré par les traditions africaines de consensus et de sagesse des anciens, ce projet montre qu’avec l’âge peuvent venir la clarté, la compassion et la conscience.
Le dalaï-lama, qui fête ses 90 ans ce week-end, a renoncé à ses responsabilités politiques dès 2011. Et dans l’Église catholique, un évêque prend sa retraite à 75 ans, comme l’a fait cette semaine Lode Van Hecke, en quittant le diocèse de Gand pour retourner à l’abbaye d’Orval.
Le monde n’a pas besoin de vieillards autoritaires accrochés au pouvoir. Il a besoin d’anciens capables de transmettre, puis de se retirer avec dignité. De femmes et d’hommes qui ne voient pas leur héritage comme une affaire de gloire personnelle. À l’ère du vieillissement, ce n’est pas de domination dont nous avons besoin, mais de sagesse. Et c’est bien cela qui, au fond, distingue un dirigeant d’un véritable leader.
A relire
[2]«Les similitudes avec les années 1930 sont bel et bien frappantes»
[1] https://daardaar.be/rubriques/opinions/le-fascime-commence-toujours-par-un-desir-de-nouveau-depart-de-rupture-radicale/
[2] https://daardaar.be/rubriques/politique/les-similitudes-avec-les-annees-1930-sont-frappantes/