En Flandre, le retour en grâce du «r» guttural
([Culture et Médias] 2025-07-01 (De Standaard))
- Reference: 2025-07_aaron-blanco-tejedor-VBe9zj-JHBs-unsplash-255x170
- News link: https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/guttural-ou-roule-quand-le-r-divise-la-flandre/
- Source link: https://www.standaard.be/binnenland/de-comeback-van-de-huig-r-je-mag-tegenwoordig-horen-waar-je-vandaan-komt/67828935.html
Comment prononcez-vous la lettre « r » en néerlandais ? En activant votre luette (le « r » guttural) ou en faisant trembler la pointe de la langue contre l’arrière des incisives (« r » roulé) ? En Flandre, c’est un thème qui suscite des discussions parfois animées — et souvent ponctuée de fous rires si quelqu’un tente d’imiter la prononciation du « r » qui ne lui est pas naturelle. Longtemps rejetée comme incorrecte, la prononciation gutturale du « r » connaît aujourd’hui un véritable retour de faveur.
C’est Riadh Bahri, présentateur vedette du journal télévisé à la VRT, qui le constatait récemment sur X : « chez les jeunes générations, le « r » guttural s’est résolument imposé ». Il en a été frappé lors d’une récente réunion de la « commission d’audition » qui sélectionne les voix que l’on entendra demain à la VRT. La conseillère linguistique de la VRT, Geertje Slangen, le confirme : « nous étions traditionnellement très stricts sur ce point, mais il nous faut évoluer avec la langue. Lors d’un test de voix, le « r » guttural n’est pas un motif de refus. Seulement, comme ce son tend à faire « rentrer » les voyelles, il faut apprendre à projeter la voix, et à faire bien sonner les autres phonèmes à l’avant de la bouche. »
On constate que les jeunes générations, en particulier, ont libéré ce son de son exil : il s’entend de plus en plus souvent à la télévision ou dans leur entourage, à moins qu’ils n’y recourent eux-mêmes — pour s’intégrer. Comme l’explique le dialectologue Chris De Wulf, « les parents qui recourent au « r » roulé se plaignent d’entendre leurs enfants passer au « r » guttural, qu’ils entendent à l’école ».
A relire
[1]« ij », « au » « ui » : aïe aïe aïe ! Les diphtongues du néerlandais de Belgique en voie d’extinction ?
Mais l’origine de la progression de ce son est également géographique : arrivé à Gand dans les bagages des élites françaises, il s’est étendu aux autres grandes villes. « Dans le Limbourg, le « r » guttural s’est fait une place depuis des siècles, venant d’Allemagne, où il est très répandu ; maintenant on le voit progresser de plus en plus vers l’ouest », explique Hans van de Velde, chercheur particulièrement intéressé par les sons « r » et professeur de sociolinguistique à l’Université d’Utrecht. Bien souvent, les femmes sont à la pointe de cette évolution. « Lorsqu’un nouveau son « r » perce dans une région, ce sont d’abord les femmes qui l’adoptent. Après quoi les hommes suivent rapidement le mouvement. »
Pendant des siècles, le « r » guttural a été la tête de Turc de la phonétique néerlandaise, méprisé par les puristes de la langue. Ce qu’on appelle encore souvent « le « r » français » a toujours été considéré comme marginal, car celui qui se prononce du bout de la langue — le « r » roulé — était la forme la plus ancienne et la plus répandue.
En Flandre, il n’était pas rare, autrefois, d’envoyer des enfants chez l’orthophoniste pour leur faire perdre le « r » guttural. « Il n’y a pas si longtemps », précise Hans Van de Velde, « un de mes interlocuteurs néerlandais me disait qu’il ne pouvait pas prononcer son propre nom, faute de parvenir à bien prononcer le ‘r’. Or il n’y a ni bonne ni mauvaise prononciation, car il n’y a plus de frein à l’essor du « r » guttural en Flandre : il est de plus en plus considéré comme un son normal, et non plus comme un défaut de prononciation. »
Selon Chris De Wulf, le “r” guttural a été popularisé à la cour de France au XVIIe siècle, bien utile pour quiconque éprouvait des difficultés à former le « r » roulé. Nimbé de ce prestige, il est arrivé dans les villes flamandes via les élites, et la population l’a rapidement adopté, notamment à Gand, où cette prononciation règne en maître depuis cent ans. » Et puis, ajoute Hans Van de Velde, tout le monde n’est pas capable de prononcer le « r » roulé. « Le « r » est le dernier son que parviennent à maîtriser les enfants, c’est dire si son apprentissage est difficile. »
A relire
[2]Pourquoi les Flamands ont tendance à ne pas saluer les inconnus
(R) évolution
Mais d’où vient ce changement de mentalité qui le rend maintenant acceptable ? Selon Chris De Wulf, aucune raison linguistique n’interdit d’utiliser le « r » guttural. « Ce n’est pas grave, et l’époque est plus tolérante aujourd’hui pour les accents », dit-il. Pour Hans Van de Velde, il est indispensable d’embrasser davantage la variation linguistique : « Aujourd’hui, chacun peut entendre d’où l’autre vient. L’idée d’une langue et d’une prononciation « standard » perd de sa vigueur, et il n’y a donc aucune raison que nous parlions tous de la même manière. Les dialectes disparaissent, mais la langue néerlandaise se prononce de plus en plus souvent avec un accent. »
Le son « r » est donc bien un son qui a du caractère – ce que prouve à suffisance la conférence « R-ATICS » organisée cette semaine à Malte, où des chercheurs se penchent sur les sons « r » dans le monde. Et le mot de la fin revient à Hans Van de Velde : « le son « r » est le plus variable parmi toutes les langues du monde ».
A (re)découvrir
[3]Awel Awel, le nouveau site pour apprendre le néerlandais en ligne!
[1] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/ij-au-ui-aie-aie-aie-les-diphtongues-du-neerlandais-de-belgique-en-voie-dextinction/
[2] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/pourquoi-les-flamands-ont-tendance-a-ne-pas-saluer-les-inconnus/
[3] https://daardaar.be/apprenez-le-neerlandais/awel-awel-le-nouveau-site-pour-apprendre-le-neerlandais-en-ligne/
C’est Riadh Bahri, présentateur vedette du journal télévisé à la VRT, qui le constatait récemment sur X : « chez les jeunes générations, le « r » guttural s’est résolument imposé ». Il en a été frappé lors d’une récente réunion de la « commission d’audition » qui sélectionne les voix que l’on entendra demain à la VRT. La conseillère linguistique de la VRT, Geertje Slangen, le confirme : « nous étions traditionnellement très stricts sur ce point, mais il nous faut évoluer avec la langue. Lors d’un test de voix, le « r » guttural n’est pas un motif de refus. Seulement, comme ce son tend à faire « rentrer » les voyelles, il faut apprendre à projeter la voix, et à faire bien sonner les autres phonèmes à l’avant de la bouche. »
On constate que les jeunes générations, en particulier, ont libéré ce son de son exil : il s’entend de plus en plus souvent à la télévision ou dans leur entourage, à moins qu’ils n’y recourent eux-mêmes — pour s’intégrer. Comme l’explique le dialectologue Chris De Wulf, « les parents qui recourent au « r » roulé se plaignent d’entendre leurs enfants passer au « r » guttural, qu’ils entendent à l’école ».
A relire
[1]« ij », « au » « ui » : aïe aïe aïe ! Les diphtongues du néerlandais de Belgique en voie d’extinction ?
Mais l’origine de la progression de ce son est également géographique : arrivé à Gand dans les bagages des élites françaises, il s’est étendu aux autres grandes villes. « Dans le Limbourg, le « r » guttural s’est fait une place depuis des siècles, venant d’Allemagne, où il est très répandu ; maintenant on le voit progresser de plus en plus vers l’ouest », explique Hans van de Velde, chercheur particulièrement intéressé par les sons « r » et professeur de sociolinguistique à l’Université d’Utrecht. Bien souvent, les femmes sont à la pointe de cette évolution. « Lorsqu’un nouveau son « r » perce dans une région, ce sont d’abord les femmes qui l’adoptent. Après quoi les hommes suivent rapidement le mouvement. »
Défaut de prononciation ?
Pendant des siècles, le « r » guttural a été la tête de Turc de la phonétique néerlandaise, méprisé par les puristes de la langue. Ce qu’on appelle encore souvent « le « r » français » a toujours été considéré comme marginal, car celui qui se prononce du bout de la langue — le « r » roulé — était la forme la plus ancienne et la plus répandue.
En Flandre, il n’était pas rare, autrefois, d’envoyer des enfants chez l’orthophoniste pour leur faire perdre le « r » guttural. « Il n’y a pas si longtemps », précise Hans Van de Velde, « un de mes interlocuteurs néerlandais me disait qu’il ne pouvait pas prononcer son propre nom, faute de parvenir à bien prononcer le ‘r’. Or il n’y a ni bonne ni mauvaise prononciation, car il n’y a plus de frein à l’essor du « r » guttural en Flandre : il est de plus en plus considéré comme un son normal, et non plus comme un défaut de prononciation. »
Selon Chris De Wulf, le “r” guttural a été popularisé à la cour de France au XVIIe siècle, bien utile pour quiconque éprouvait des difficultés à former le « r » roulé. Nimbé de ce prestige, il est arrivé dans les villes flamandes via les élites, et la population l’a rapidement adopté, notamment à Gand, où cette prononciation règne en maître depuis cent ans. » Et puis, ajoute Hans Van de Velde, tout le monde n’est pas capable de prononcer le « r » roulé. « Le « r » est le dernier son que parviennent à maîtriser les enfants, c’est dire si son apprentissage est difficile. »
A relire
[2]Pourquoi les Flamands ont tendance à ne pas saluer les inconnus
(R) évolution
Mais d’où vient ce changement de mentalité qui le rend maintenant acceptable ? Selon Chris De Wulf, aucune raison linguistique n’interdit d’utiliser le « r » guttural. « Ce n’est pas grave, et l’époque est plus tolérante aujourd’hui pour les accents », dit-il. Pour Hans Van de Velde, il est indispensable d’embrasser davantage la variation linguistique : « Aujourd’hui, chacun peut entendre d’où l’autre vient. L’idée d’une langue et d’une prononciation « standard » perd de sa vigueur, et il n’y a donc aucune raison que nous parlions tous de la même manière. Les dialectes disparaissent, mais la langue néerlandaise se prononce de plus en plus souvent avec un accent. »
Le son « r » est donc bien un son qui a du caractère – ce que prouve à suffisance la conférence « R-ATICS » organisée cette semaine à Malte, où des chercheurs se penchent sur les sons « r » dans le monde. Et le mot de la fin revient à Hans Van de Velde : « le son « r » est le plus variable parmi toutes les langues du monde ».
A (re)découvrir
[3]Awel Awel, le nouveau site pour apprendre le néerlandais en ligne!
[1] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/ij-au-ui-aie-aie-aie-les-diphtongues-du-neerlandais-de-belgique-en-voie-dextinction/
[2] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/pourquoi-les-flamands-ont-tendance-a-ne-pas-saluer-les-inconnus/
[3] https://daardaar.be/apprenez-le-neerlandais/awel-awel-le-nouveau-site-pour-apprendre-le-neerlandais-en-ligne/