Entre peur, colère et espoir: trois Belgo-Iraniennes à l’épreuve des bombardements
([Société] 2025-06-01 (Het Nieuwsblad))
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Les attaques lancées par les États-Unis sur l’Iran changent la donne pour ce dernier. Le régime de l’ayatollah Khamenei tiendra-t-il ? Comment réagit la population ? Regards croisés de trois Belgo-Iraniennes.
La peur est palpable, confirment nos trois interlocutrices. Peur d’un scénario à la Tchernobyl si des sites nucléaires venaient à être touchés, peur d’une guerre à grande échelle et peur de ce régime répressif qui considère tout mouvement suspect d’Iraniens comme des actes d’espionnage.
Israël se pose à présent en libérateur du peuple iranien. Et selon Darya Safai, députée N-VA à la Chambre ayant fui l’Iran en 2015, c’est également ainsi que ses contacts restés au pays perçoivent les actions des États-Unis et d’Israël. « La tristesse ou la peur qu’ils peuvent ressentir tiennent surtout au fait qu’ils considèrent le régime iranien comme responsable de la situation actuelle », explique-t-elle. « Ils ne voient pas Israël comme un agresseur, mais comme un libérateur. Évidemment qu’Israël attaque l’Iran alors que ce dernier est sur le point de se doter de l’arme nucléaire. La population se réjouit de la destruction des sites nucléaires, car elle n’en veut pas. »
Elly Mansoury, politologue à la VUB, voit les choses différemment. « L’idée selon laquelle Israël serait un libérateur est surtout portée par les Iraniens de la diaspora », nuance-t-elle. « Il est facile d’applaudir les bombardements depuis son canapé en Europe, quand on est soi-même en sécurité sur le plan physique et psychologique. Il en va tout autrement quand on vit là-bas. Benyamin Netanyahou prétend ne pas être contre le peuple iranien, mais contre le régime. Or, l’histoire nous invite à la prudence. Dans les années 1950, l’Iran était dirigé par un Premier ministre démocratiquement élu, mais il a été renversé avec l’aide de la CIA. Une fois encore, c’est la sphère d’influence des États-Unis et d’Israël qui est en jeu. La guerre en Irak n’a fait que semer le chaos, et c’est de nouveau l’objectif visé à l’heure actuelle. »
Les avis divergent, comme on peut le voir, même si la majorité des Iraniens tournent le dos au régime actuel depuis fort longtemps. « Les gens veulent surtout que la guerre s’arrête », affirme Ladan Rahbari, arrivée en Belgique en 2015, naturalisée depuis, aujourd’hui chargée de cours principale en sociologie politique à l’Université d’Amsterdam. « Ils désapprouvent les attaques, car ils ne croient pas qu’Israël cherche à libérer le peuple iranien. En même temps, ils ne veulent pas que l’Iran réagisse violemment, de crainte que les États-Unis soient entraînés dans une guerre totale, avec le déploiement de troupes sur le terrain. »
A relire
[1]Darya Safai, l’ancienne réfugiée iranienne devenue candidate N-VA
Selon Ladan Rahbari, le régime tient un double discours. « D’un côté, ils dénoncent le caractère scandaleux des bombardements et la violation des traités internationaux », précise-t-elle. « Les gardiens de la révolution affirment que les bases américaines implantées dans la région ne sont pas une force, mais une faiblesse des États-Unis. Les médias iraniens, de leur côté, diffusent en boucle des chants de guerre et des appels au martyre. L’objectif étant de préparer la population à la guerre et de montrer les muscles au reste du monde. De l’autre côté, ils minimisent les événements et soutiennent que le site de Fordo n’a subi que des dégâts mineurs. Ils disent que Trump est fou et qu’il a agi contre le Congrès des États-Unis. C’est une façon de laisser ouverte la voie diplomatique. En coulisse, les partisans de la ligne dure s’activent pour convaincre les autres de la nécessité d’une attaque contre les bases américaines, mais tout le monde est bien conscient qu’une escalade mettrait en péril la survie du régime — d’autant plus que le pays n’a plus d’alliés. »
La question est maintenant de savoir quel camp, des ultraconservateurs ou des modérés, l’emportera. « Quoi qu’il en soit, le régime a essuyé un sévère camouflet sur le plan de l’image et va tenter de redorer son blason », estime Elly Mansoury. « Il va d’abord riposter par des tirs de roquettes sur Israël. Je pense qu’il va poursuivre dans cette voie. Ce n’est que lorsqu’il se sentira complètement acculé qu’il visera des cibles américaines. »
Les avis sont partagés. Darya Safai est persuadée que l’Iran se trouve à un point de bascule. « Si les principaux dirigeants, y compris Khamenei lui-même, sont éliminés, le peuple aura le courage de descendre dans la rue », affirme-t-elle. « Le régime a peut-être déjà préparé un successeur, mais on a vu ces derniers jours qu’Israël est capable de liquider de tels successeurs avec une étonnante rapidité. Le Mossad ( les services secrets israéliens, NDLR ) est extrêmement puissant en Iran — ce qui n’est possible qu’avec le soutien du peuple. »
Elly Mansoury et Ladan Rahbari ne sont pas convaincues par ce scénario. Les gardiens de la révolution exercent un contrôle total sur toutes les communications, et c’est là un des obstacles à une révolte citoyenne de grande ampleur. Ainsi, l’internet était complètement hors service ces derniers jours. « Le gouvernement veut garder la maîtrise totale du récit qui est servi au pays », souligne Ladan Rahbari. « Ce qui complique énormément l’organisation d’une résistance. De plus, les Iraniens sont très nationalistes. Et le fait que les agresseurs — Israël et les États-Unis — soient extérieurs au pays ne fait que renforcer ce sentiment. Les gens cherchent avant tout à survivre. Ils sont aux prises avec les sanctions, l’inflation et la situation économique. »
En raison de la main de fer exercée par Khamenei et consorts, Elly Mansoury estime qu’il est peu probable, à ce stade, qu’une résistance armée naisse de factions qui se formeraient au sein du régime ou à l’extérieur de celui-ci. « Le régime doit d’abord essuyer de lourdes pertes », dit-elle. « En tout cas, cette résistance ne s’est pas encore fait jour. »
A relire
[2]Attentat contre Salman Rushdie : il est temps que l’Occident se réveille
[1] https://daardaar.be/rubriques/darya-safai-lancienne-refugiee-iranienne-devenue-candidate-n-va/
[2] https://daardaar.be/rubriques/politique/attentat-contre-salman-rushdie-il-est-temps-que-loccident-se-reveille/
Comment la population iranienne réagit-elle aux attaques américaines ?
La peur est palpable, confirment nos trois interlocutrices. Peur d’un scénario à la Tchernobyl si des sites nucléaires venaient à être touchés, peur d’une guerre à grande échelle et peur de ce régime répressif qui considère tout mouvement suspect d’Iraniens comme des actes d’espionnage.
Israël se pose à présent en libérateur du peuple iranien. Et selon Darya Safai, députée N-VA à la Chambre ayant fui l’Iran en 2015, c’est également ainsi que ses contacts restés au pays perçoivent les actions des États-Unis et d’Israël. « La tristesse ou la peur qu’ils peuvent ressentir tiennent surtout au fait qu’ils considèrent le régime iranien comme responsable de la situation actuelle », explique-t-elle. « Ils ne voient pas Israël comme un agresseur, mais comme un libérateur. Évidemment qu’Israël attaque l’Iran alors que ce dernier est sur le point de se doter de l’arme nucléaire. La population se réjouit de la destruction des sites nucléaires, car elle n’en veut pas. »
Elly Mansoury, politologue à la VUB, voit les choses différemment. « L’idée selon laquelle Israël serait un libérateur est surtout portée par les Iraniens de la diaspora », nuance-t-elle. « Il est facile d’applaudir les bombardements depuis son canapé en Europe, quand on est soi-même en sécurité sur le plan physique et psychologique. Il en va tout autrement quand on vit là-bas. Benyamin Netanyahou prétend ne pas être contre le peuple iranien, mais contre le régime. Or, l’histoire nous invite à la prudence. Dans les années 1950, l’Iran était dirigé par un Premier ministre démocratiquement élu, mais il a été renversé avec l’aide de la CIA. Une fois encore, c’est la sphère d’influence des États-Unis et d’Israël qui est en jeu. La guerre en Irak n’a fait que semer le chaos, et c’est de nouveau l’objectif visé à l’heure actuelle. »
Les avis divergent, comme on peut le voir, même si la majorité des Iraniens tournent le dos au régime actuel depuis fort longtemps. « Les gens veulent surtout que la guerre s’arrête », affirme Ladan Rahbari, arrivée en Belgique en 2015, naturalisée depuis, aujourd’hui chargée de cours principale en sociologie politique à l’Université d’Amsterdam. « Ils désapprouvent les attaques, car ils ne croient pas qu’Israël cherche à libérer le peuple iranien. En même temps, ils ne veulent pas que l’Iran réagisse violemment, de crainte que les États-Unis soient entraînés dans une guerre totale, avec le déploiement de troupes sur le terrain. »
A relire
[1]Darya Safai, l’ancienne réfugiée iranienne devenue candidate N-VA
Comment le régime iranien va-t-il réagir ?
Selon Ladan Rahbari, le régime tient un double discours. « D’un côté, ils dénoncent le caractère scandaleux des bombardements et la violation des traités internationaux », précise-t-elle. « Les gardiens de la révolution affirment que les bases américaines implantées dans la région ne sont pas une force, mais une faiblesse des États-Unis. Les médias iraniens, de leur côté, diffusent en boucle des chants de guerre et des appels au martyre. L’objectif étant de préparer la population à la guerre et de montrer les muscles au reste du monde. De l’autre côté, ils minimisent les événements et soutiennent que le site de Fordo n’a subi que des dégâts mineurs. Ils disent que Trump est fou et qu’il a agi contre le Congrès des États-Unis. C’est une façon de laisser ouverte la voie diplomatique. En coulisse, les partisans de la ligne dure s’activent pour convaincre les autres de la nécessité d’une attaque contre les bases américaines, mais tout le monde est bien conscient qu’une escalade mettrait en péril la survie du régime — d’autant plus que le pays n’a plus d’alliés. »
La question est maintenant de savoir quel camp, des ultraconservateurs ou des modérés, l’emportera. « Quoi qu’il en soit, le régime a essuyé un sévère camouflet sur le plan de l’image et va tenter de redorer son blason », estime Elly Mansoury. « Il va d’abord riposter par des tirs de roquettes sur Israël. Je pense qu’il va poursuivre dans cette voie. Ce n’est que lorsqu’il se sentira complètement acculé qu’il visera des cibles américaines. »
Ces événements peuvent-ils signer la fin du régime islamique ?
Les avis sont partagés. Darya Safai est persuadée que l’Iran se trouve à un point de bascule. « Si les principaux dirigeants, y compris Khamenei lui-même, sont éliminés, le peuple aura le courage de descendre dans la rue », affirme-t-elle. « Le régime a peut-être déjà préparé un successeur, mais on a vu ces derniers jours qu’Israël est capable de liquider de tels successeurs avec une étonnante rapidité. Le Mossad ( les services secrets israéliens, NDLR ) est extrêmement puissant en Iran — ce qui n’est possible qu’avec le soutien du peuple. »
Elly Mansoury et Ladan Rahbari ne sont pas convaincues par ce scénario. Les gardiens de la révolution exercent un contrôle total sur toutes les communications, et c’est là un des obstacles à une révolte citoyenne de grande ampleur. Ainsi, l’internet était complètement hors service ces derniers jours. « Le gouvernement veut garder la maîtrise totale du récit qui est servi au pays », souligne Ladan Rahbari. « Ce qui complique énormément l’organisation d’une résistance. De plus, les Iraniens sont très nationalistes. Et le fait que les agresseurs — Israël et les États-Unis — soient extérieurs au pays ne fait que renforcer ce sentiment. Les gens cherchent avant tout à survivre. Ils sont aux prises avec les sanctions, l’inflation et la situation économique. »
En raison de la main de fer exercée par Khamenei et consorts, Elly Mansoury estime qu’il est peu probable, à ce stade, qu’une résistance armée naisse de factions qui se formeraient au sein du régime ou à l’extérieur de celui-ci. « Le régime doit d’abord essuyer de lourdes pertes », dit-elle. « En tout cas, cette résistance ne s’est pas encore fait jour. »
A relire
[2]Attentat contre Salman Rushdie : il est temps que l’Occident se réveille
[1] https://daardaar.be/rubriques/darya-safai-lancienne-refugiee-iranienne-devenue-candidate-n-va/
[2] https://daardaar.be/rubriques/politique/attentat-contre-salman-rushdie-il-est-temps-que-loccident-se-reveille/