Police: une infraction routière ne peut justifier une condamnation à mort
([Opinions, Société] 2025-06-01 (De Morgen))
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- News link: https://daardaar.be/rubriques/societe/police-une-infraction-routiere-ne-peut-justifier-une-condamnation-a-mort/
- Source link: https://www.demorgen.be/meningen/het-wordt-tijd-dat-we-als-samenleving-beseffen-dat-een-verkeersinbreuk-geen-doodvonnis-mag-zijn~b6d663aca/
Un enfant de 11 ans a perdu la vie après avoir été percuté par un véhicule de police pendant une course poursuite. Un nouvel exemple tragique d’escalade d’une situation banale – dans ce cas-ci, une suspicion d’infraction au code de la route – vers une issue mortelle. Cet incident n’est malheureusement pas un cas isolé.
Il y a de quoi se poser des questions sur la proportionnalité des poursuites menées par la police belge : jusqu’où peut aller la police pour mettre fin à une simple violation du code de la route ? Devons-nous, en tant que société, accepter qu’une infraction routière engendre la mort d’un enfant ?
Le droit pénal belge définit trois catégories d’infractions : les crimes, comme les meurtres et homicides, les délits, comme le vol, et les contraventions, comme le tapage nocturne ou le non-respect de la signalisation routière.
Le refus d’obtempérer à l’ordre d’un agent de police tombe dans la troisième catégorie. Cet acte, défini par le droit belge comme le fait de « négliger une injonction d’arrêt d’un agent qualifié », constitue donc une contravention, la catégorie la moins grave de notre droit pénal. Pourtant, dans la pratique, ces situations sont souvent traitées comme de la criminalité lourde et aboutissent à des courses-poursuites dangereuses.
Il importe de souligner que le délit de fuite, comme on l’appelle communément, possède sa propre définition dans le droit belge : il s’agit d’une fuite après une collision, et non du refus d’obtempérer à l’ordre d’un agent. Il en résulte que d’un point de vue juridique, une personne qui ignore un ordre de la police commet « seulement » une infraction au code de la route. Il va de soi que tout le monde est tenu de respecter la loi, y compris une personne fuyant un contrôle de police. Mais force est de poser la question : cette infraction mérite-t-elle une course-poursuite mettant en danger la vie d’autrui ?
A relire
[1]Quand la criminalité à Bruxelles ne devient plus qu’un simple fait divers
L’issue mortelle connue par cet enfant de 11 ans n’est pas le seul exemple récent. En février 2025, Kenji, 16 ans, a été grièvement blessé à Grammont après avoir subi, sur son scooter, une collision de la part d’une voiture de police. Kenji déclare ne pas avoir compris que les gyrophares lui étaient destinés, et les images des caméras semblent confirmer ses propos.
Prenons une autre affaire : l’histoire tragique d’Adil, 19 ans, qui a perdu la vie en 2020 à l’issue d’une course-poursuite avec la police. Dans le dossier, nous pouvons lire que la police avait activé un « appel prio 1 », une procédure pour des cas de priorité exceptionnelle, normalement réservée aux situations de vie ou de mort, et que de surcroît, elle avait demandé des renforts. Tout cela pour un contrôle portant sur le respect des mesures de confinement pendant la pandémie. Adil est mort après une course-poursuite intense, qui s’est terminée par une collision frontale avec un véhicule de police.
La question fondamentale est la suivante : est-il proportionné de mettre la vie de quelqu’un en jeu pour une infraction routière ? La police dispose d’autres moyens. Par exemple des caméras, avec une reconnaissance automatique de plaque d’immatriculation qui permettrait de constater la contravention a posteriori . Est-il à ce point indispensable de passer directement à la course-poursuite ? Et si oui, dans quelles conditions ?
Nous avons très souvent tendance à oublier que la police aussi doit respecter la loi. Les principes de légalité, de proportionnalité, de subsidiarité et d’opportunité ne constituent pas de simples consignes facultatives, ils font partie intégrante de la loi et visent à protéger autant les citoyens que les agents.
La formation des policiers et le législateur sont très clairs à ce sujet. Un décret ministériel sur la gestion des « événements dynamiques non planifiés », traitant entre autres des situations de poursuites policières, nous apprend ce qui suit : « Parallèlement aux principes de légalité/subsidiarité/proportionnalité/opportunité, les facteurs environnementaux (agglomération, autoroutes), les conditions climatiques, la présence d’autres usagers, les risques pour la sécurité des policiers intervenants et des autres citoyens (vitesse, véhicule en fuite roulant à contresens, circulation sur la bande d’arrêt d’urgence…) sont également pris en compte. »
En résumé : une poursuite policière ne peut se justifier que si elle est autorisée par la loi (légalité), s’il n’est pas possible de recourir à d’autres méthodes (subsidiarité), si les moyens sont proportionnels à la fin (proportionnalité), et s’il est judicieux d’intervenir à ce moment précis (opportunité).
Et pourtant, dans la pratique, il semble qu’on ne tienne pas assez compte de ces principes. Trop souvent, la police opte pour une poursuite risquée, sans réfléchir suffisamment aux conséquences. Une infraction au code de la route, aussi frustrante soit-elle, ne peut en aucun cas causer la mort d’un enfant.
Les agents de police doivent faire des choix difficiles, je n’ai aucun mal à le reconnaître. Ils doivent souvent prendre des décisions en quelques secondes à peine, dans des situations de forte pression. Mais c’est justement pour cela que la formation doit insister davantage sur la proportionnalité et sur les risques des poursuites. Aussi, en interne, les services de police doivent développer une culture de l’évaluation critique : après chaque poursuite, il faut se demander si elle était réellement nécessaire. N’y avait-il pas d’autre méthode ? Aurait-on pu s’en passer ?
Nous avons très souvent tendance à oublier que la police aussi doit respecter la loi. Les principes de légalité, de proportionnalité, de subsidiarité et d’opportunité ne constituent pas de simples consignes facultatives, ils font partie intégrante de la loi et visent à protéger autant les citoyens que les agents.
La question n’est pas de savoir si les agents de police doivent faire respecter la loi. C’est leur devoir. La question, c’est de savoir comment le faire d’une façon proportionnée, afin de protéger la vie des citoyens et d’éviter les tragédies évitables.
Il est temps que nous, en tant que société, comprenions qu’une infraction au code de la route ne mérite pas une condamnation à mort. La police doit recevoir les moyens d’effectuer son travail, mais également les bonnes consignes et la bonne formation afin de garantir la sécurité de tous les usagers de la route, y compris les conducteurs en délit de fuite. Combien de morts faudra-t-il encore déplorer avant que le message passe ?
A relire
[2]Fusions des polices: «Quintin a réalisé en trois mois ce que Jambon n’a pas réussi en cinq ans»
[1] https://daardaar.be/rubriques/societe/criminalite-bruxelles-simple-fait-divers/
[2] https://daardaar.be/rubriques/fusions-des-polices-quintin-a-realise-en-trois-mois-ce-que-jambon-na-pas-reussi-en-cinq-ans/
Il y a de quoi se poser des questions sur la proportionnalité des poursuites menées par la police belge : jusqu’où peut aller la police pour mettre fin à une simple violation du code de la route ? Devons-nous, en tant que société, accepter qu’une infraction routière engendre la mort d’un enfant ?
Le droit pénal belge définit trois catégories d’infractions : les crimes, comme les meurtres et homicides, les délits, comme le vol, et les contraventions, comme le tapage nocturne ou le non-respect de la signalisation routière.
Le refus d’obtempérer à l’ordre d’un agent de police tombe dans la troisième catégorie. Cet acte, défini par le droit belge comme le fait de « négliger une injonction d’arrêt d’un agent qualifié », constitue donc une contravention, la catégorie la moins grave de notre droit pénal. Pourtant, dans la pratique, ces situations sont souvent traitées comme de la criminalité lourde et aboutissent à des courses-poursuites dangereuses.
Il importe de souligner que le délit de fuite, comme on l’appelle communément, possède sa propre définition dans le droit belge : il s’agit d’une fuite après une collision, et non du refus d’obtempérer à l’ordre d’un agent. Il en résulte que d’un point de vue juridique, une personne qui ignore un ordre de la police commet « seulement » une infraction au code de la route. Il va de soi que tout le monde est tenu de respecter la loi, y compris une personne fuyant un contrôle de police. Mais force est de poser la question : cette infraction mérite-t-elle une course-poursuite mettant en danger la vie d’autrui ?
A relire
[1]Quand la criminalité à Bruxelles ne devient plus qu’un simple fait divers
Kenji et Adil
L’issue mortelle connue par cet enfant de 11 ans n’est pas le seul exemple récent. En février 2025, Kenji, 16 ans, a été grièvement blessé à Grammont après avoir subi, sur son scooter, une collision de la part d’une voiture de police. Kenji déclare ne pas avoir compris que les gyrophares lui étaient destinés, et les images des caméras semblent confirmer ses propos.
Prenons une autre affaire : l’histoire tragique d’Adil, 19 ans, qui a perdu la vie en 2020 à l’issue d’une course-poursuite avec la police. Dans le dossier, nous pouvons lire que la police avait activé un « appel prio 1 », une procédure pour des cas de priorité exceptionnelle, normalement réservée aux situations de vie ou de mort, et que de surcroît, elle avait demandé des renforts. Tout cela pour un contrôle portant sur le respect des mesures de confinement pendant la pandémie. Adil est mort après une course-poursuite intense, qui s’est terminée par une collision frontale avec un véhicule de police.
La question fondamentale est la suivante : est-il proportionné de mettre la vie de quelqu’un en jeu pour une infraction routière ? La police dispose d’autres moyens. Par exemple des caméras, avec une reconnaissance automatique de plaque d’immatriculation qui permettrait de constater la contravention a posteriori . Est-il à ce point indispensable de passer directement à la course-poursuite ? Et si oui, dans quelles conditions ?
Nous avons très souvent tendance à oublier que la police aussi doit respecter la loi. Les principes de légalité, de proportionnalité, de subsidiarité et d’opportunité ne constituent pas de simples consignes facultatives, ils font partie intégrante de la loi et visent à protéger autant les citoyens que les agents.
La formation des policiers et le législateur sont très clairs à ce sujet. Un décret ministériel sur la gestion des « événements dynamiques non planifiés », traitant entre autres des situations de poursuites policières, nous apprend ce qui suit : « Parallèlement aux principes de légalité/subsidiarité/proportionnalité/opportunité, les facteurs environnementaux (agglomération, autoroutes), les conditions climatiques, la présence d’autres usagers, les risques pour la sécurité des policiers intervenants et des autres citoyens (vitesse, véhicule en fuite roulant à contresens, circulation sur la bande d’arrêt d’urgence…) sont également pris en compte. »
En résumé : une poursuite policière ne peut se justifier que si elle est autorisée par la loi (légalité), s’il n’est pas possible de recourir à d’autres méthodes (subsidiarité), si les moyens sont proportionnels à la fin (proportionnalité), et s’il est judicieux d’intervenir à ce moment précis (opportunité).
Et pourtant, dans la pratique, il semble qu’on ne tienne pas assez compte de ces principes. Trop souvent, la police opte pour une poursuite risquée, sans réfléchir suffisamment aux conséquences. Une infraction au code de la route, aussi frustrante soit-elle, ne peut en aucun cas causer la mort d’un enfant.
Les agents de police doivent faire des choix difficiles, je n’ai aucun mal à le reconnaître. Ils doivent souvent prendre des décisions en quelques secondes à peine, dans des situations de forte pression. Mais c’est justement pour cela que la formation doit insister davantage sur la proportionnalité et sur les risques des poursuites. Aussi, en interne, les services de police doivent développer une culture de l’évaluation critique : après chaque poursuite, il faut se demander si elle était réellement nécessaire. N’y avait-il pas d’autre méthode ? Aurait-on pu s’en passer ?
Des tragédies évitables
Nous avons très souvent tendance à oublier que la police aussi doit respecter la loi. Les principes de légalité, de proportionnalité, de subsidiarité et d’opportunité ne constituent pas de simples consignes facultatives, ils font partie intégrante de la loi et visent à protéger autant les citoyens que les agents.
La question n’est pas de savoir si les agents de police doivent faire respecter la loi. C’est leur devoir. La question, c’est de savoir comment le faire d’une façon proportionnée, afin de protéger la vie des citoyens et d’éviter les tragédies évitables.
Il est temps que nous, en tant que société, comprenions qu’une infraction au code de la route ne mérite pas une condamnation à mort. La police doit recevoir les moyens d’effectuer son travail, mais également les bonnes consignes et la bonne formation afin de garantir la sécurité de tous les usagers de la route, y compris les conducteurs en délit de fuite. Combien de morts faudra-t-il encore déplorer avant que le message passe ?
A relire
[2]Fusions des polices: «Quintin a réalisé en trois mois ce que Jambon n’a pas réussi en cinq ans»
[1] https://daardaar.be/rubriques/societe/criminalite-bruxelles-simple-fait-divers/
[2] https://daardaar.be/rubriques/fusions-des-polices-quintin-a-realise-en-trois-mois-ce-que-jambon-na-pas-reussi-en-cinq-ans/