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  ARM Give a man a fire and he's warm for a day, but set fire to him and he's warm for the rest of his life (Terry Pratchett, Jingo)

Van Langenhove conserve ses droits politiques: un bel exemple d’absurdisme à la belge

([Opinions] 2025-06-01 (De Standaard))


La révélation du scandale Schild & Vrienden par l’émission d’investigation flamande Pano date du 5 septembre 2018. Ce fut le point de départ d’une enquête judiciaire qui a débouché vendredi passé sur un arrêt de la cour d’appel de Gand. Celle-ci a déclaré Dries Van Langenhove et les siens coupables de : appartenance à une association qui publie sciemment et de manière répétitive des appels à la discrimination, à la ségrégation, à la haine ou à la violence, au négationnisme, et qui diffuse des idées basées sur la supériorité ou la haine raciales. Van Langenhove a en outre été poursuivi séparément pour vente de pepper spray . Les peines ont été allégées en appel, notamment en raison du non-respect de délais raisonnables.

La question divise l’opinion publique. Certains voient en Van Langenhove un martyr de la liberté d’expression. Un parlementaire européen Vlaams Belang est même allé jusqu’à le comparer à Nelson Mandela (nous ignorons si Van Langenhove a apprécié la référence, mais il est permis d’en douter). D’autres estiment qu’il s’en tire bien, sachant qu’il n’a jamais exprimé le moindre sentiment de culpabilité.

Le reportage et les poursuites n’ont pas empêché l’élection à la Chambre de Van Langenhove en 2019. Bien sûr, c’est au traitement « malhonnête » des médias et de la justice qu’il doit ses beaux scores électoraux. C’est du moins ce que prétend Van Langenhove depuis des années, non sans succès. La stratégie de la défense consistait essentiellement à démontrer qu’il n’a pas eu droit à un procès équitable. Sa campagne de communication sur les réseaux sociaux entre la dernière séance de la cour d’appel et le prononcé du verdict a donné l’impression qu’un acquittement représenterait pour lui un cadeau empoisonné, étant donné qu’il perdrait son statut de martyr.

L’arrêt répond en grande partie aux arguments sur le caractère inéquitable de l’enquête. Mais si, après sept ans de procédures, vous cherchez à savoir où se situent les limites de la liberté d’expression, vous resterez sur votre faim. La législation qui restreint cette liberté fondamentale a pour vocation de trouver un équilibre entre la liberté de s’exprimer et les effets de l’exercice de cette liberté sur autrui. En effet, certains propos peuvent représenter un danger pour d’autres, raison pour laquelle ils sont interdits.

A relire

[1]Procès Schild en Vrienden : la frontière ténue entre humour et racisme

Ces restrictions sont-elles excessives ? C’est à la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH) de se prononcer. Dans ce contexte, la cour strasbourgeoise a établi en 1976 que la liberté d’expression constitue un principe fondamental de toute démocratie, une condition de base à son progrès et au développement de tout individu. Cette liberté ne vaut pas que pour des « informations » ou des « idées » perçues favorablement, jugées innocentes ou suscitant l’indifférence. Elle doit également valoir pour les opinions jugées scandaleuses, choquantes ou dérangeantes. Sans cette liberté, la CEDH estime qu’il n’y a ni pluralisme ni d’ouverture d’esprit, deux principes essentiels en démocratie.

On cite souvent ce passage qui montre bien combien il est délicat de brider la liberté d’expression. Ce faisant, la CEDH a suivi dans un certain sens la Cour suprême des États-Unis, dans l’affaire Whitney v. California (1927) : « Le remède aux mauvais discours, c’est plus de discours, et non le silence forcé », une traduction en langage juridique de cette citation attribuée à Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »

Fait intéressant : lorsque Rik Torfs, professeur de droit et ancien recteur de la KU Leuven, a soutenu Van Langenhove sur X en vertu de ce principe, ce dernier n’a pas apprécié le geste. Il a taxé Torfs de lâcheté, car il se distanciait de ses idées. Les adeptes de la liberté d’expression ne raffolent pas des opinions divergentes. Voilà qui rappelle le vice-président américain, J. D. Vance, qui d’un côté nous fait la leçon à Munich sur la liberté d’expression, et qui, de l’autre, perd toute crédibilité en pourrissant la vie de toute personne qui ose tenir des propos qui lui déplaisent ou en les expulsant de la Maison-Blanche.

Le procès Schild & Vrienden occasionnera sans aucun doute un pourvoi en cassation, voire un dernier appel à Strasbourg. Il faut savoir que la loi belge sur le négationnisme a déjà été jugée par la CEDH, et que pour cette dernière, la négation de l’Holocauste ne constitue pas une opinion protégée. Autant dire que les différentes procédures ont peu de chances d’aboutir.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que la condamnation ne met pas en danger l’avenir politique de Van Langenhove. En effet, la cour d’appel a annulé sa déchéance de droits politiques, et ce, pour une raison surprenante : techniquement, la loi dispose que toute personne condamnée pour un ensemble de faits différents ne peut encourir que la sanction liée au fait le plus grave. Et pour les ventes d’armes, en l’occurrence, la loi ne prévoit pas de déchéance des droits politiques, contrairement aux « délits d’opinion ». Indépendamment du débat sur le bien-fondé de cette interdiction, il y a une leçon bien cynique à retenir de ces jugements : quand on exprime des opinions répréhensibles, il vaut mieux vendre des armes en même temps si l’on veut préserver ses droits politiques.

Van Langenhove n’aime pas la Belgique, nous le savons. Mais il devra reconnaître que ce petit échantillon d’absurdisme à la belge l’arrange bien.

A relire

[2]Dries Van Langenhove démissionne de son mandat de député : une aubaine pour le Vlaams Belang ?



[1] https://daardaar.be/rubriques/societe/proces-de-dries-van-langenhove-la-frontiere-tenue-entre-humour-et-racisme/

[2] https://daardaar.be/rubriques/politique/dries-van-langenhove-demissionne-de-son-mandat-de-depute-une-aubaine-pour-le-vlaams-belang/



What excuses stand in your way? How can you eliminate them?
-- Roger von Oech