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  ARM Give a man a fire and he's warm for a day, but set fire to him and he's warm for the rest of his life (Terry Pratchett, Jingo)

« L’occupation du fort » : voici la stratégie de la N-VA pour conquérir la Belgique

([Politique] 2025-06-01 (DaarDaar))


Investir dans Brussels Airport, suppression du Sénat… La N-VA imprime sa marque. Derrière une gouvernance affichée comme « efficace » se cache une ambition plus profonde : transformer la Belgique de l’intérieur. Entre symboles forts, recentrage stratégique et héritage de la doctrine Maddens, le parti de Bart De Wever avance dans ce qu’un journaliste flamand appelle « la conquête de la Belgique ».

« Nous allons dorénavant occuper le fort. Et tous ceux qui nous bloquent socialement, économiquement et démocratiquement, on les éjecte. » Cette phrase tirée du livre La conquête de la Belgique de Wouter Verschelden, à paraître en septembre en français, donne le ton : la N-VA ne se contente plus de revendiquer l’autonomie flamande, elle agit depuis le cœur du pouvoir fédéral — tout en redessinant, à sa manière, les contours de l’État belge.

Le nouveau CVP est arrivé



Selon le politologue Nicolas Bouteca (UGent), la N-VA a considérablement évolué depuis sa création. D’un parti nationaliste pur-sang, la N-VA cherche à devenir une véritable « volkspartij », un parti populaire qui se positionne au centre du jeu politique à la manière des chrétiens-démocrates flamands du CVP, tout en conservant une teinte régionaliste. Bart De Wever, son leader emblématique, s’inspire clairement du modèle allemand de la CSU bavaroise : une formation conservatrice, gestionnaire et solidement enracinée dans sa région.

Ce recentrage rhétorique s’accompagne d’un changement de message aux électeurs : « Dans le passé, on disait : votez N-VA et vous aurez un gouvernement flamand autonome. Aujourd’hui, c’est : votez N-VA et vous aurez une bonne gouvernance », résume Nicolas Bouteca, professeur en sciences politiques à l’Université de Gand.

« Dans le passé, on disait : votez N-VA et vous aurez un gouvernement flamand autonome. Aujourd’hui, c’est : votez N-VA et vous aurez une bonne gouvernance. »

Pour Bart Maddens, professeur en sciences politiques à la KULeuven proche du Mouvement flamand, il s’agit surtout d’une question de moyens et de fin : « Les véritables nationalistes flamands de la N-VA voient leur participation au gouvernement fédéral comme un moyen d’arriver à une Flandre indépendante. Les plus modérés estiment qu’être à la tête du pays est une fin en soi. C’est ainsi qu’ils arriveront à améliorer la situation pour les Flamands. »

Malgré les différences mouvances au sein de la N-VA, le consensus est clair au sein du parti dirigé par Valérie Van Peel, selon Bart Maddens : « Tout le monde s’accorde pour dire que la N-VA doit gouverner au fédéral. »

[1]Qui est (vraiment) Bart De Wever? Découvrez l’humain derrière l’élu politique

Gouverner la Belgique à la flamande



La N-VA cherche à imposer une façon flamande de gouverner l’ensemble du pays, constate Nicolas Bouteca Un exemple parlant : la limitation dans le temps des allocations de chômage. Une mesure a en réalité une forte teinte communautaire. « Bart De Wever l’a presque dit textuellement : c’est une mesure communautaire. Elle touche davantage la Wallonie, où le taux de chômage est plus élevé », explique le politologue de l’UGent.

Néanmoins, l’Arizona a inscrit la taxe sur les plus-values dans son accord de gouvernement, ce qui toucherait davantage les investisseurs flamands. « Ce point n’est jamais présenté en termes communautaires, la N-VA reste plus discrète », ajoute Nicolas Bouteca.

Selon Bart Maddens, la Belgique est paradoxalement plus forte sous le gouvernement du nationaliste flamand De Wever que sous le libéral De Croo : « L’accord de gouvernement Arizona est en réalité assez neutre sur le plan communautaire. Il se contente d’annoncer la préparation d’une réforme de l’État et la création d’un groupe de travail, sans aucune mesure concrète ni engagement précis à ce stade. Le gouvernement Vivaldi, lui, allait plus loin dans le régionalisme : il proposait une scission des compétences liées à la Santé. »

[2]« Chaleureux », « inclusif », « au centre » : voilà comment la N-VA se présente aux francophones

La doctrine Maddens : encore d’actualité ?



Imaginée en 2009 par ce politologue de la KU Leuven, la doctrine Maddens renversait la logique habituelle du débat institutionnel belge. Son principe : ne plus être les éternels « demandeurs de réformes » côté flamand, mais amener les francophones à le devenir eux-mêmes — voire à réclamer la scission du pays.

Pour y parvenir, trois leviers sont mis en avant : construire un système flamand autonome en exploitant les leviers institutionnels (tels que les conflits d’ interêts), assécher les ressources du fédéral afin d’accentuer la pression financière sur Bruxelles et la Wallonie, et monnayer tout refinancement en échange de nouvelles compétences pour la Flandre. À l’époque, rappelle Maddens, la sixième réforme de l’État était dans l’impasse. « Les francophones n’étaient demandeurs de rien », résume-t-il.

Seize ans plus tard, certains échos de cette doctrine subsistent, parfois sous des formes plus symboliques que concrètes. Exemple : la Flandre s’est dotée d’un « ministre de la Justice », en la personne de Zuhal Demir, alors que du côté francophone, on parle plus de « ministre des Maisons de Justice ». Une simple différence d’intitulé ? Pas tout à fait. Pour Maddens, cela reflète » une ambition pour l’avenir » plus qu’une réalité institutionnelle. Il y voit la volonté flamande de continuer à affirmer une autonomie, même s’il reconnaît que ce type d’initiative relève surtout du symbole.

[3]« Si les nationalistes flamands l’emportent en 2024, ce sera la fin de la Belgique telle qu’on la connaît »

La Flandre rachète des parts de Brussels Airport



La N-VA poursuit par ailleurs son projet de renforcement du pouvoir flamand… en misant sur l’économie. Pour Nicolas Bouteca, professeur de sciences politiques à l’UGent, la volonté de contrôler davantage la gestion de l’aéroport de Zaventem s’inscrit dans une stratégie claire : « C’est une plateforme économique majeure située en Flandre. Il est logique que la N-VA cherche à en faire son aéroport, sa propre infrastructure flamande. »

Au-delà du symbole, cette prise de contrôle viserait à renforcer l’autonomie économique de la Région flamande. » Il y a souvent des conflits d’intérêts, par exemple sur les normes de bruit des vols au-dessus de Bruxelles « , ajoute Nicolas Bouteca. » La N-VA veut avoir un pied dans la porte, comme elle le souhaite aussi dans d’autres institutions fédérales. »

D’après Bart Maddens, c’est avec cette mesure économique que sa doctrine se manifeste le plus clairement aujourd’hui : » Le gouvernement flamand utilise ici une compétence existante — investir dans une entreprise privée — pour accroître son pouvoir stratégique, notamment sur la politique de l’aéroport national. C’est une décision forte avec des conséquences à long terme. Elle est bien plus significative que de simples mesures symboliques, comme la suppression du Sénat. »

Suppression du Sénat : une victoire symbolique aux répercussions inattendues…



En parlant de Sénat, la N-VA semble en bonne voie pour supprimer cette institution fédérale. Le politologue gantois rappelle que cette Chambre haute, bien que vidé de sa substance, était la seule institution où les entités fédérées pouvaient encore se rencontrer autour de la table. « C’est la plus confédérale des institutions, presque la définition même du confédéralisme », explique-t-il. « Supprimer cette chambre revient donc paradoxalement à affaiblir un outil qui incarnait la logique confédérale défendue par la N-VA elle-même. Même si, dans la pratique, les états fédérés n’ont jamais orienté la politique fédérale dans ce domaine. Ce sont les partis qui décident du vote au Sénat, pas les états fédérés. En ce sens, le Sénat était devenu superflu. »

Bart Maddens abonde dans ce sens : » Grâce au Sénat, aucune réforme de l’État ne pouvait se faire sans l’accord des entités fédérées. C’était une chambre où les parlements régionaux avaient un vrai pouvoir institutionnel. Aujourd’hui, N-VA et Vlaams Belang disposent d’une majorité de blocage dans la partie néerlandophone du Sénat. La N-VA pense marquer un point, mais en réalité, elle se prive d’un outil stratégique majeur pour peser demain. »

[4]Suppression du Sénat: un trophée communautaire pour la N-VA

Investir dans la défense : une stratégie pour mettre à mal la Belgique ?



Dans ces allocutions à la Chambre, Paul Magnette, président du PS, met en garde contre la volonté de la N-VA de faire grimper les dépenses militaires fixées par l’OTAN. Selon le socialiste, il s’agirait d’un moyen détourné de rendre la Belgique ingouvernable qui forcerait des coupes massives dans les autres postes — santé, pensions, sécurité sociale.

Une hypothèse que Bart Maddens juge peu convaincante. Il estime cet enthousiasme s’explique avant tout par la sensibilité idéologique du parti : « La N-VA est une formation de droite, qui accorde beaucoup d’importance à la sécurité, à la défense, et à l’OTAN. »

Le politologue Nicolas Bouteca partage cette analyse : « La N-VA mise sur la rigueur budgétaire, un principe qu’elle défend depuis des années, tant en Flandre qu’au niveau fédéral. »

Selon lui, vouloir volontairement asphyxier le budget fédéral contredirait cette ligne de conduite. En somme, la posture militariste de la N-VA tiendrait davantage de la cohérence programmatique d’un parti de droite que d’un plan machiavélique de sabotage de la Belgique.

Et Bart Maddens de conclure, en soulignant une ambiguïté assumée : « Tout le monde à la N-VA est d’accord pour dire que c’est une bonne chose que Bart De Wever soit devenu Premier ministre. Mais pour quoi faire, exactement ? Est-ce pour vider la Belgique de sa substance et avancer vers l’indépendance flamande ? Ou simplement pour bien gouverner ce pays ? Même au sein de la N-VA, les avis divergent… »

[5]Plutôt que d’acheter des armes, le gouvernement flamand veut bâtir des ponts



[1] https://daardaar.be/rubriques/politique/qui-est-vraiment-bart-de-wever-decouvrez-lhumain-derriere-lelu-politique/

[2] https://daardaar.be/rubriques/politique/chaleureux-inclusif-au-centre-voila-comment-la-n-va-se-presente-aux-francophones/

[3] https://daardaar.be/rubriques/politique/si-les-nationalistes-flamands-lemportent-en-2024-ce-sera-la-fin-de-la-belgique-telle-quon-la-connait/

[4] https://daardaar.be/rubriques/politique/suppression-du-senat-un-trophee-communautaire-pour-la-n-va/

[5] https://daardaar.be/rubriques/politique/plutot-que-dacheter-des-armes-le-gouvernement-flamand-veut-batir-des-ponts/



hangover, n.:
The wrath of grapes.