Fête du travail : n’oublions pas la signification historique du 1er mai
([Opinions, Travail & Santé] 2025-05-01 (De Morgen))
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- News link: https://daardaar.be/rubriques/travail-sante/fete-du-travail-noublions-pas-la-signification-historique-du-1er-mai/
- Source link: https://www.demorgen.be/meningen/kijk-op-1-mei-ook-terug-naar-de-arbeiders-die-in-1886-hun-leven-riskeerden-voor-een-eerlijker-werkdag~b3b50b8f/
Comme chaque année, à la même date, des membres et des partisans de syndicats, d’organisations sociales et de partis progressistes battent le pavé. La foule, tout de rouge vêtue, entend bien poursuivre la lutte. « L’Internationale » résonne, et les discours scandés ravivent la mémoire des combats sociaux d’antan.
Force est de constater, toutefois, que le 1 er mai ne se limite plus à la Fête du Travail. Militants pour le climat, défenseurs des droits humains et autres collectifs LGBTQ+, nombreux sont les intervenants qui saisissent l’occasion pour porter leurs revendications.
Ce glissement n’a rien d’anormal. Les journées commémoratives ne sont pas des constructions figées. Elles évoluent avec leur époque. Reste que cette évolution soulève des questions sur le rapport entre signification historique et interprétation contemporaine. Que signifie encore le 1er mai aujourd’hui ? Et pour qui ?
[1]« Je ne trouvais pas de travail en Wallonie. En Flandre, j’ai pu commencer tout de suite. »
La fête du Travail puise ses racines dans le Chicago de la fin du XIXe siècle, alors grande métropole industrielle où les conditions de travail étaient souvent dures, précaires et non régulées. Les appels à la réforme se multiplient, la journée de huit heures devenant le symbole d’un vaste combat pour davantage de justice sociale. Le 1er mai 1886, dans un rare élan d’action collective, des dizaines de milliers d’ouvriers refusent de travailler. Quelques jours plus tard, la situation dégénère. Le 4 mai, des groupes anarchistes organisent une manifestation à Haymarket Square, en réaction à la répression policière. Ce qui était au départ un rassemblement pacifique vire au drame lorsque, au moment de la dispersion, une bombe est lancée sur les forces de l’ordre. Le chaos qui s’ensuit coûtera la vie à sept policiers, et à un nombre indéterminé de manifestants. Huit anarchistes sont arrêtés. Malgré l’absence de preuves probantes, quatre d’entre eux sont exécutés.
L’affaire fait grand bruit à l’international. Dans les milieux de gauche, l’indignation grandit. Les condamnés deviennent de véritables martyrs du mouvement ouvrier pour certains, tandis que d’autres se mettent à idéaliser l’extrémisme et la violence.
Lorsqu’en 1889, la Deuxième Internationale proclame le 1er mai comme Journée internationale des travailleurs, l’intention va bien au-delà de la simple commémoration. Il s’agit d’un geste politique fort : affirmer, à l’échelle mondiale, que la lutte pour des conditions de travail dignes est universelle et intemporelle. Mais déjà, des voix s’élèvent pour critiquer une lecture sélective de l’histoire et s’interroger sur la place à accorder aux positions radicales dans une société démocratique.
Aujourd’hui encore, si le 1er mai reste un jour férié dans de nombreux pays, sa signification a évolué – et a parfois été volontairement brouillée. Aux États-Unis, on célèbre ainsi le « Labor Day » en septembre, précisément pour éviter toute association avec le radicalisme ouvrier. En Europe, le 1 er mai garde une portée symbolique, mais l’accent mis autrefois sur le travail et les droits sociaux s’y est aussi estompé.
Cette évolution s’explique en partie par le fait que de nombreuses revendications historiques – journée de huit heures, interdiction du travail des enfants, droit syndical, protection sociale via l’employeur – ont abouti dans la plupart des États occidentaux. L’urgence a donc disparu, du moins sur le plan juridique. Mais d’autres tensions ont émergé : équilibre entre vie privée et professionnelle, précarisation de l’emploi, avènement de l’économie de plateforme, problématique des « faux indépendants ». Sans parler des enjeux liés à la numérisation, au burn-out et à la santé mentale au sens large. Ces réalités contemporaines s’inscrivent dans la continuité des luttes historiques, dans un contexte postindustriel du discours ouvrier classique.
[2]1er mai : Pourquoi les rouges s’attaquent au Vlaams Belang
Le 1 er mai est ainsi devenu une sorte de journée fourre-tout, une réunion d’activistes de tous bords – parfois en lien avec le monde du travail, mais aussi parfois sans aucun rapport. Sa symbolique est devenue malléable, adaptable à toutes les causes. Mais cette diversification ne dilue-t-elle pas le message initial ? Le risque est de voir la fête du Travail s’éloigner de son ancrage historique pour devenir une simple vitrine, vidée de sa substance.
Il ne s’agit pas d’un cas unique. D’autres journées commémoratives ont connu une évolution similaire. Le 11 novembre, autrefois dédié aux victimes de la Première Guerre mondiale, a pris une ampleur plus générale, mettant l’accent sur la paix et les droits humains. Le 11 juillet, fête de la Communauté flamande, née d’un souvenir patriotique belge de la bataille des Éperons d’or (1302) popularisé par Hendrik Conscience, et devenue un symbole politique de l’émancipation, de l’identité culturelle et des revendications communautaires de la Flandre.
Ces réinterprétations ne sont pas nécessairement négatives. Elles montrent que les commémorations ne sont pas des rituels poussiéreux et immuables, mais bien des concepts vivants qui évoluent avec le temps. Il n’empêche que cette évolution n’est pas sans risque : si le lien avec l’origine historique se distend trop, la commémoration peut perdre son sens et devenir une coquille vide, qui ne signifie plus rien une fois détachée de son contexte.
Il ne faut pas sacraliser le 1 er mai pour autant. Mais peut-être serait-il bon, en ce jour, de se tourner vers le passé au lieu de se focaliser uniquement sur l’avenir. N’oublions pas ces ouvriers qui, en 1886, ont risqué leur vie pour une journée de travail plus juste. Ni le chemin qui nous mena du travail des enfants et des horaires inhumains au repos, à la protection, et à l’organisation. Il est important d’associer les nouvelles luttes sociales – précarité, flexibilité imposée, exploitation numérique – à ce récit historique.
Car ce n’est qu’à cette condition que le 1er mai restera plus qu’une parade d’idées progressistes. Il redeviendra un jour de communion, de réflexion et de mobilisation. Une Fête du Travail, et de toutes celles et ceux qui veulent en préserver le sens.
[3]Libérez le potentiel de vos employés avec les formations bilingues de DaarDaar !
[1] https://daardaar.be/rubriques/travail-sante/je-ne-trouvais-pas-de-travail-en-wallonie-en-flandre-jai-pu-commencer-tout-de-suite/
[2] https://daardaar.be/rubriques/politique/1er-mai-les-rouges-sattaquent-au-vlaams-belang/
[3] https://daardaar.be/formations/
Force est de constater, toutefois, que le 1 er mai ne se limite plus à la Fête du Travail. Militants pour le climat, défenseurs des droits humains et autres collectifs LGBTQ+, nombreux sont les intervenants qui saisissent l’occasion pour porter leurs revendications.
Ce glissement n’a rien d’anormal. Les journées commémoratives ne sont pas des constructions figées. Elles évoluent avec leur époque. Reste que cette évolution soulève des questions sur le rapport entre signification historique et interprétation contemporaine. Que signifie encore le 1er mai aujourd’hui ? Et pour qui ?
[1]« Je ne trouvais pas de travail en Wallonie. En Flandre, j’ai pu commencer tout de suite. »
Une origine ouvrière radicale
La fête du Travail puise ses racines dans le Chicago de la fin du XIXe siècle, alors grande métropole industrielle où les conditions de travail étaient souvent dures, précaires et non régulées. Les appels à la réforme se multiplient, la journée de huit heures devenant le symbole d’un vaste combat pour davantage de justice sociale. Le 1er mai 1886, dans un rare élan d’action collective, des dizaines de milliers d’ouvriers refusent de travailler. Quelques jours plus tard, la situation dégénère. Le 4 mai, des groupes anarchistes organisent une manifestation à Haymarket Square, en réaction à la répression policière. Ce qui était au départ un rassemblement pacifique vire au drame lorsque, au moment de la dispersion, une bombe est lancée sur les forces de l’ordre. Le chaos qui s’ensuit coûtera la vie à sept policiers, et à un nombre indéterminé de manifestants. Huit anarchistes sont arrêtés. Malgré l’absence de preuves probantes, quatre d’entre eux sont exécutés.
L’affaire fait grand bruit à l’international. Dans les milieux de gauche, l’indignation grandit. Les condamnés deviennent de véritables martyrs du mouvement ouvrier pour certains, tandis que d’autres se mettent à idéaliser l’extrémisme et la violence.
Le 1er mai, un acte politique
Lorsqu’en 1889, la Deuxième Internationale proclame le 1er mai comme Journée internationale des travailleurs, l’intention va bien au-delà de la simple commémoration. Il s’agit d’un geste politique fort : affirmer, à l’échelle mondiale, que la lutte pour des conditions de travail dignes est universelle et intemporelle. Mais déjà, des voix s’élèvent pour critiquer une lecture sélective de l’histoire et s’interroger sur la place à accorder aux positions radicales dans une société démocratique.
Aujourd’hui encore, si le 1er mai reste un jour férié dans de nombreux pays, sa signification a évolué – et a parfois été volontairement brouillée. Aux États-Unis, on célèbre ainsi le « Labor Day » en septembre, précisément pour éviter toute association avec le radicalisme ouvrier. En Europe, le 1 er mai garde une portée symbolique, mais l’accent mis autrefois sur le travail et les droits sociaux s’y est aussi estompé.
Cette évolution s’explique en partie par le fait que de nombreuses revendications historiques – journée de huit heures, interdiction du travail des enfants, droit syndical, protection sociale via l’employeur – ont abouti dans la plupart des États occidentaux. L’urgence a donc disparu, du moins sur le plan juridique. Mais d’autres tensions ont émergé : équilibre entre vie privée et professionnelle, précarisation de l’emploi, avènement de l’économie de plateforme, problématique des « faux indépendants ». Sans parler des enjeux liés à la numérisation, au burn-out et à la santé mentale au sens large. Ces réalités contemporaines s’inscrivent dans la continuité des luttes historiques, dans un contexte postindustriel du discours ouvrier classique.
[2]1er mai : Pourquoi les rouges s’attaquent au Vlaams Belang
Réinterprétations
Le 1 er mai est ainsi devenu une sorte de journée fourre-tout, une réunion d’activistes de tous bords – parfois en lien avec le monde du travail, mais aussi parfois sans aucun rapport. Sa symbolique est devenue malléable, adaptable à toutes les causes. Mais cette diversification ne dilue-t-elle pas le message initial ? Le risque est de voir la fête du Travail s’éloigner de son ancrage historique pour devenir une simple vitrine, vidée de sa substance.
Il ne s’agit pas d’un cas unique. D’autres journées commémoratives ont connu une évolution similaire. Le 11 novembre, autrefois dédié aux victimes de la Première Guerre mondiale, a pris une ampleur plus générale, mettant l’accent sur la paix et les droits humains. Le 11 juillet, fête de la Communauté flamande, née d’un souvenir patriotique belge de la bataille des Éperons d’or (1302) popularisé par Hendrik Conscience, et devenue un symbole politique de l’émancipation, de l’identité culturelle et des revendications communautaires de la Flandre.
Ces réinterprétations ne sont pas nécessairement négatives. Elles montrent que les commémorations ne sont pas des rituels poussiéreux et immuables, mais bien des concepts vivants qui évoluent avec le temps. Il n’empêche que cette évolution n’est pas sans risque : si le lien avec l’origine historique se distend trop, la commémoration peut perdre son sens et devenir une coquille vide, qui ne signifie plus rien une fois détachée de son contexte.
Devoir de mémoire
Il ne faut pas sacraliser le 1 er mai pour autant. Mais peut-être serait-il bon, en ce jour, de se tourner vers le passé au lieu de se focaliser uniquement sur l’avenir. N’oublions pas ces ouvriers qui, en 1886, ont risqué leur vie pour une journée de travail plus juste. Ni le chemin qui nous mena du travail des enfants et des horaires inhumains au repos, à la protection, et à l’organisation. Il est important d’associer les nouvelles luttes sociales – précarité, flexibilité imposée, exploitation numérique – à ce récit historique.
Car ce n’est qu’à cette condition que le 1er mai restera plus qu’une parade d’idées progressistes. Il redeviendra un jour de communion, de réflexion et de mobilisation. Une Fête du Travail, et de toutes celles et ceux qui veulent en préserver le sens.
[3]Libérez le potentiel de vos employés avec les formations bilingues de DaarDaar !
[1] https://daardaar.be/rubriques/travail-sante/je-ne-trouvais-pas-de-travail-en-wallonie-en-flandre-jai-pu-commencer-tout-de-suite/
[2] https://daardaar.be/rubriques/politique/1er-mai-les-rouges-sattaquent-au-vlaams-belang/
[3] https://daardaar.be/formations/