Infidélités, addictions, démences… comment la télé flamande brise les tabous
([Culture et Médias, Société] 2025-05-01 (DaarDaar))
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Une caméra dans un cabinet de psychologue, une célébrité qui parle d’infidélité, un humoriste qui rit des personnes avec handicap… Et si la Flandre nous montrait une autre manière d’aborder la souffrance et de briser les tabous ?
Imaginez : vous êtes en pleine séance chez votre psy. Ce que vous racontez est enregistré, mais la caméra ne vous filme pas, elle reste braquée sur le ou la thérapeute. Vos mots, eux, sont montés ensuite dans une émission télé. Cerise sur le gâteau : une célébrité vient elle aussi parler de sa santé mentale. Bienvenue dans Therapie, un programme de la VRT qui entame déjà sa troisième saison.
Et la bande-annonce donne le ton. L’humoriste flamand Alex Agnew balance sans filtre : « Thérapie ? C’est quoi cette connerie pour losers ? »
Puis une patiente témoigne :
« J’ai bu de l’alcool pendant trois jours et je suis ensuite allée à la clinique pour avorter. »
Alors, voyeurisme ou émission d’intérêt public ? Pour Lisa Bormans, psychologue et chercheuse à la KULeuven, le mot voyeurisme ne convient pas : « Même si cela peut mettre mal à l’aise d’entrer dans une telle intimité, j’en vois aussi les avantages : des personnes acceptent de se dévoiler et cela permet de mieux comprendre ce qui se passe dans les coulisses d’un(e) psychologue. »
[1]Quand les politiques se prennent pour des acteurs… un phénomène « typisch Vlaams » !
Depuis fin avril, une autre émission flamande fait parler d’elle : Ontrouw (« infidélité »). La présentatrice radio Eva De Roo (Stubru), figure bien connue du nord du pays, tend le micro à celles et ceux qui ont été trompé·es ou ont eux-mêmes été infidèles.
Comme Therapie, Ontrouw met en scène des « BV » — Bekende Vlamingen, les célébrités flamandes. Le rappeur bruxellois néerlandophone Zwangere Guy y parle, sans fard, de sa relation avec l’alcool : « Tous ceux qui ne me suivaient pas étaient contre moi. Et tous ceux qui ne buvaient pas avec moi étaient faibles. »
D’après Lisa Bormans, ce recours à des visages familiers n’est pas anodin et facilite la confidence : « L’avantage avec les BV, c’est qu’on a déjà l’impression de les connaître. En les laissant témoigner, on montre que le besoin de consulter un psychologue touche toutes les couches de la société, y compris les personnes qu’on admire. Cela rend la démarche plus accessible et normalise le recours à la thérapie. »
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Autre émission, autre approche : Taboe (« Tabou »). L’humoriste Philippe Geubels passe une semaine dans une maison de vacances avec des personnes dont on rit rarement à la télévision : des personnes obèses, malvoyantes, atteintes de démence… Puis, il en tire un spectacle humoristique.
Lisa Bormans y voit un vrai potentiel : « Cela permet souvent d’aller droit à l’essentiel en illustrant une situation concrète de manière légère, ce qui peut aider à mieux comprendre un problème. » Elle cite l’épisode consacré à la démence, son domaine d’expertise : « Des études montrent que ces personnes se sentent souvent incomprises. Leurs proches perçoivent ce qu’elles vivent, mais les gens extérieurs n’ont pas toujours conscience de la gravité de la situation. En utilisant l’humour pour montrer des scènes de la vie réelle, on rend ces situations plus visibles et accessibles. »
Et l’humour ne dilue pas le message selon la psychologue flamande, au contraire : « L’humour, surtout lorsqu’il est teinté d’autodérision, aide à faire passer des messages douloureux que les gens auraient sinon du mal à accepter. Cela les pousse à réfléchir davantage à certaines souffrances. »
Elle rappelle néanmoins aussi que l’exercice est délicat : « Rire de certaines situations peut aussi donner l’impression à ceux qui les vivent qu’on ne les prend pas au sérieux. C’est donc une limite très fine à ne pas franchir. »
[2]« Burn-out pour les débutants » : le spectacle pour rire en néerlandais et en français !
Dès sa première saison en 2018, Taboe a séduit plus d’1,5 million de téléspectateurs par épisode et raflé plusieurs prix internationaux, notamment au New York Festival. Le concept a depuis été adapté en Australie, en Suisse, au Canada, en Espagne…
Pourquoi un tel engouement ? Lisa Bormans a une explication : « C’était l’un des premiers formats en Flandre à aborder la souffrance de manière aussi authentique. Philippe Geubels a une manière très humaine et empathique de traiter la douleur des autres. »
Alors que les talk-shows se multiplient, Taboe offre autre chose : « Philippe Geubels agit alors comme un oncle drôle et bienveillant du groupe. C’est une approche très chaleureuse, qui fonctionne bien : on s’identifie aux participants. »
[3]Pourquoi les Flamands raffolent-ils tant des talk-shows à la TV?
Alors que les stéréotypes par-delà la frontière linguistique vont bon train, ce type d’émissions montre un aspect humain de la société flamande. Lisa Bormans commente : « Le stéréotype du Flamand réservé correspond en partie à la réalité. Mais ces dernières années, on observe un changement : les gens veulent plus d’ouverture sur le bien-être mental, surtout depuis le covid. »
La chercheuse de la KULeuven constate que la jeune génération, en particulier, est plus encline à parler de santé mentale. « Des formats télévisés comme Taboe répondent à ce besoin, ce qui montre qu’il existe une vraie demande. »
Et si cette nouvelle intimité télévisuelle servait d’inspiration en Belgique francophone ? Lisa Bormans conclut : « Il ne faut pas généraliser, mais je crois que le Flamand moyen est plutôt ouvert à exprimer ses émotions — surtout dans un cercle intime. C’est peut-être ce qui donne, en Wallonie, l’image de Flamands plus réservés. Si davantage de ponts sont créés entre les deux communautés, les francophones pourraient nous percevoir comme plus ouverts, car ils feraient alors partie de ce cercle plus intime… »
[1] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/quand-les-politiques-se-prennent-pour-des-acteurs-un-phenomene-typisch-vlaams/
[2] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/burn-out-pour-les-debutants-le-spectacle-pour-rire-en-neerlandais-et-en-francais/
[3] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/pourquoi-les-flamands-raffolent-ils-tant-des-talk-shows-a-la-tv/
Imaginez : vous êtes en pleine séance chez votre psy. Ce que vous racontez est enregistré, mais la caméra ne vous filme pas, elle reste braquée sur le ou la thérapeute. Vos mots, eux, sont montés ensuite dans une émission télé. Cerise sur le gâteau : une célébrité vient elle aussi parler de sa santé mentale. Bienvenue dans Therapie, un programme de la VRT qui entame déjà sa troisième saison.
Et la bande-annonce donne le ton. L’humoriste flamand Alex Agnew balance sans filtre : « Thérapie ? C’est quoi cette connerie pour losers ? »
Puis une patiente témoigne :
« J’ai bu de l’alcool pendant trois jours et je suis ensuite allée à la clinique pour avorter. »
Alors, voyeurisme ou émission d’intérêt public ? Pour Lisa Bormans, psychologue et chercheuse à la KULeuven, le mot voyeurisme ne convient pas : « Même si cela peut mettre mal à l’aise d’entrer dans une telle intimité, j’en vois aussi les avantages : des personnes acceptent de se dévoiler et cela permet de mieux comprendre ce qui se passe dans les coulisses d’un(e) psychologue. »
[1]Quand les politiques se prennent pour des acteurs… un phénomène « typisch Vlaams » !
Les BV, la clé pour s’identifier
Depuis fin avril, une autre émission flamande fait parler d’elle : Ontrouw (« infidélité »). La présentatrice radio Eva De Roo (Stubru), figure bien connue du nord du pays, tend le micro à celles et ceux qui ont été trompé·es ou ont eux-mêmes été infidèles.
Comme Therapie, Ontrouw met en scène des « BV » — Bekende Vlamingen, les célébrités flamandes. Le rappeur bruxellois néerlandophone Zwangere Guy y parle, sans fard, de sa relation avec l’alcool : « Tous ceux qui ne me suivaient pas étaient contre moi. Et tous ceux qui ne buvaient pas avec moi étaient faibles. »
D’après Lisa Bormans, ce recours à des visages familiers n’est pas anodin et facilite la confidence : « L’avantage avec les BV, c’est qu’on a déjà l’impression de les connaître. En les laissant témoigner, on montre que le besoin de consulter un psychologue touche toutes les couches de la société, y compris les personnes qu’on admire. Cela rend la démarche plus accessible et normalise le recours à la thérapie. »
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Faire rire pour toucher un public plus large
Autre émission, autre approche : Taboe (« Tabou »). L’humoriste Philippe Geubels passe une semaine dans une maison de vacances avec des personnes dont on rit rarement à la télévision : des personnes obèses, malvoyantes, atteintes de démence… Puis, il en tire un spectacle humoristique.
Lisa Bormans y voit un vrai potentiel : « Cela permet souvent d’aller droit à l’essentiel en illustrant une situation concrète de manière légère, ce qui peut aider à mieux comprendre un problème. » Elle cite l’épisode consacré à la démence, son domaine d’expertise : « Des études montrent que ces personnes se sentent souvent incomprises. Leurs proches perçoivent ce qu’elles vivent, mais les gens extérieurs n’ont pas toujours conscience de la gravité de la situation. En utilisant l’humour pour montrer des scènes de la vie réelle, on rend ces situations plus visibles et accessibles. »
Et l’humour ne dilue pas le message selon la psychologue flamande, au contraire : « L’humour, surtout lorsqu’il est teinté d’autodérision, aide à faire passer des messages douloureux que les gens auraient sinon du mal à accepter. Cela les pousse à réfléchir davantage à certaines souffrances. »
Elle rappelle néanmoins aussi que l’exercice est délicat : « Rire de certaines situations peut aussi donner l’impression à ceux qui les vivent qu’on ne les prend pas au sérieux. C’est donc une limite très fine à ne pas franchir. »
[2]« Burn-out pour les débutants » : le spectacle pour rire en néerlandais et en français !
Un modèle qui s’exporte à l’internationale
Dès sa première saison en 2018, Taboe a séduit plus d’1,5 million de téléspectateurs par épisode et raflé plusieurs prix internationaux, notamment au New York Festival. Le concept a depuis été adapté en Australie, en Suisse, au Canada, en Espagne…
Pourquoi un tel engouement ? Lisa Bormans a une explication : « C’était l’un des premiers formats en Flandre à aborder la souffrance de manière aussi authentique. Philippe Geubels a une manière très humaine et empathique de traiter la douleur des autres. »
Alors que les talk-shows se multiplient, Taboe offre autre chose : « Philippe Geubels agit alors comme un oncle drôle et bienveillant du groupe. C’est une approche très chaleureuse, qui fonctionne bien : on s’identifie aux participants. »
[3]Pourquoi les Flamands raffolent-ils tant des talk-shows à la TV?
Des émissions qui répondent à un vrai besoin
Alors que les stéréotypes par-delà la frontière linguistique vont bon train, ce type d’émissions montre un aspect humain de la société flamande. Lisa Bormans commente : « Le stéréotype du Flamand réservé correspond en partie à la réalité. Mais ces dernières années, on observe un changement : les gens veulent plus d’ouverture sur le bien-être mental, surtout depuis le covid. »
La chercheuse de la KULeuven constate que la jeune génération, en particulier, est plus encline à parler de santé mentale. « Des formats télévisés comme Taboe répondent à ce besoin, ce qui montre qu’il existe une vraie demande. »
Et si cette nouvelle intimité télévisuelle servait d’inspiration en Belgique francophone ? Lisa Bormans conclut : « Il ne faut pas généraliser, mais je crois que le Flamand moyen est plutôt ouvert à exprimer ses émotions — surtout dans un cercle intime. C’est peut-être ce qui donne, en Wallonie, l’image de Flamands plus réservés. Si davantage de ponts sont créés entre les deux communautés, les francophones pourraient nous percevoir comme plus ouverts, car ils feraient alors partie de ce cercle plus intime… »
[1] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/quand-les-politiques-se-prennent-pour-des-acteurs-un-phenomene-typisch-vlaams/
[2] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/burn-out-pour-les-debutants-le-spectacle-pour-rire-en-neerlandais-et-en-francais/
[3] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/pourquoi-les-flamands-raffolent-ils-tant-des-talk-shows-a-la-tv/