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  ARM Give a man a fire and he's warm for a day, but set fire to him and he's warm for the rest of his life (Terry Pratchett, Jingo)

« Si je dis ce que je pense d’Erdogan, je risque d’être arrêté comme un terroriste en Turquie. »

([Société] 2025-03-01 (Het Belang Van Limburg))


Dans les épiceries turques et les rues du Limbourg, pas un mot sur les manifestations qui secouent la Turquie. Pas même une bribe de conversation sur l’arrestation du maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, leader de l’opposition au président Erdogan. Pourquoi cette culture de la peur qui s’invite jusque dans nos contrées limbourgeoises ?

« Pour mes enfants », nous confie un père de Beringen. « S’ils savent que vous êtes opposés à Erdogan, cela se répercute sur la famille. Tout le monde est très prudent quand il s’agit de parler politique. C’est un sujet qu’on aborde seulement avec les personnes qui partagent les mêmes idées. »

Pour de nombreux Turcs, les images tournées ces derniers jours à Istanbul et dans le reste de la Turquie sont déchirantes. Toutefois, même les jeunes qui ont grandi en Belgique et ne prennent pas position face à l’arrestation du maire Ekrem Imamoglu, se taisent dans toutes les langues. « Je me rends souvent à Istanbul pour le travail, et je poste régulièrement sur Instagram. Mais pas pour le moment », nous explique une entrepreneuse turque de 31 ans, installée à Beringen. « Il n’est pas de bon ton de faire comme si de rien n’était, quand des troubles agitent la Turquie. C’est une grande différence avec la Belgique. D’ailleurs, dans les premiers jours qui ont suivi l’arrestation d’Ekrem Imamoglu, WhatsApp et de nombreux réseaux sociaux ne fonctionnaient pas. »

[1]Liberté de la presse en Turquie: «euh oui, mais d’abord les réfugiés»

Sérieux et émotion



La jeune femme de Beringen constate que dans son pays d’origine, les influenceurs reçoivent des messages de haine tandis que d’autres restent neutres et sont boycottés. Ses amies participent aux manifestations. « De façon calme et pacifique. Elles dansent dans la rue pour montrer leur bravoure. Mais la répression de la police est telle que les manifestations finissent par dégénérer. » Craignant d’être reconnus, de nombreux jeunes manifestent masqués pour préserver leur avenir.

« Les Turcs prennent la politique très au sérieux, c’est un thème qui déchaine les passions. Cela va très loin », explique Dirk Rochtus, professeur de politique internationale à la KU Leuven. Il suit la situation de près en Turquie. « Contrairement à nous, les Turcs considèrent les critiques envers le chef du gouvernement comme des critiques dirigées contre le pays. Et cela va même plus loin : si vous faites un commentaire sur une personne, vous risquez d’être rejeté du groupe. Ils font bloc. » Après 22 ans au pouvoir, d’abord à la tête du gouvernement puis aux rênes du pays, Erdogan continue de bénéficier d’un large soutien dans la population. « C’est un leader charismatique salué pour tout ce qu’il a fait de bien à ses débuts, en remettant le pays sur les rails. Les gens ne l’oublient pas. »

En Turquie, les manifestants saisissent l’arrestation d’Imamoglu, candidat de l’opposition aux élections présidentielles de 2028, pour descendre dès maintenant dans la rue et réclamer du changement. Au Limbourg, aucune contestation ne se fait entendre en public. « Les Turcs à l’étranger sont souvent originaires d’une région pro-AKP, le parti islamo-conservateur d’Erdogan. Hors du pays, les gens ont tendance à idéaliser leur patrie, les bons souvenirs aidant. Ils ne sont pas confrontés quotidiennement aux problèmes du pays », analyse le professeur Rochtus.

[2]Erdogan divise plus que jamais les Turcs du Limbourg

Peur



Pour le moment, la vie en Turquie n’est pas rose en raison de la crise monétaire et du taux de chômage élevé. « Manger au restaurant et s’habiller coûtent aussi cher qu’en Belgique. Avant, nous allions à Istanbul entre amies et avec mille euros en poche, nous pouvions y vivre quelques jours, en faisant du shopping. Impossible aujourd’hui. C’est la cinquième fois que je dois augmenter le salaire de mes employés à Istanbul. L’inflation est galopante et le loyer absorbe la moitié de leur salaire. Ils possèdent plusieurs cartes Visa pour leurs achats et leurs comptes sont à découvert », explique la jeune entrepreneuse qui se rend à Istanbul plusieurs fois par an à des fins professionnelles.

Pour la première fois, ce Genkois de 79 ans restera loin de son pays natal cet été. « C’est bien trop cher et trop risqué pour moi. J’ai peur d’Erdogan. S’ils apprennent que je vous donne mon avis sur lui, ils m’arrêteront comme un terroriste dès mon arrivée », dit-il. « Erdogan a des espions et des informateurs partout. Je suis neutre, mais l’AKP est viscéralement corrompu. Les traitres sont récompensés et les opposants arrêtés sans autre forme de procès. Imamoglu a été incarcéré sur la base de cinq faux témoignages. Cet homme est un social-démocrate qui n’a jamais fauté », secoue-t-il la tête, perplexe.

Ce n’est pas l’avis d’un compatriote, de Genk lui aussi, âgé de 48 ans : « Erdogan et Imamoglu sont tout aussi corrompus l’un que l’autre. Les Turcs se demandent quel parti est le plus voleur ». Pour un troisième Turc de cette localité limbourgeoise, les deux hommes ont mal compris : « Ce n’est pas Erdogan qui a engagé des poursuites contre Imamoglu, mais l’ancien président de son propre parti, le CHP. C’est un voleur ».

Le président de la mosquée de Waterschei se montre quant à lui diplomate. « Nous n’entrerons pas dans des discussions politiques, nous vous demandons de vous adresser au consulat turc. »

Bref, les opinions sont partagées. Bien qu’ils aient été interviewés au téléphone sous leur propre nom, les Turcs ne souhaitent pas voir leur identité publiée, pour leur tranquillité.



[1] https://daardaar.be/rubriques/liberte-de-la-presse-en-turquie/

[2] https://daardaar.be/rubriques/societe/erdogan-divise-plus-que-jamais-les-turcs-du-limbourg/



Sometimes I get the feeling that there are orgies going on all over New
York City, and somebody says, "Let's call Desmond," and somebody else says,
"Why bother? He's probably home reading the Encyclopedia Britannica."
-- Paul Desmond, jazz saxophonist