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  ARM Give a man a fire and he's warm for a day, but set fire to him and he's warm for the rest of his life (Terry Pratchett, Jingo)

En Belgique, la frontière linguistique est-elle aussi une frontière musicale?

([Culture et Médias] 2025-02-01 (De Standaard))


Le classement des albums les plus populaires de l’année écoulée montre une fois de plus que les artistes pop « locaux » ont eu la cote l’année dernière en Flandre. Pommelien Thijs (avec deux chansons), Camille et Metejoor occupent les quatre premières places dans la moitié nord du pays, devant des pointures internationales comme Harry Styles et Taylor Swift. Le succès des artistes « du cru » est d’ailleurs au rendez-vous à tous les étages : sept des dix albums les plus populaires de l’année sont flamands et le top 100 compte 20 titres de 16 artistes différents, dont le groupe dEUS ou le rappeur Jazz Brak.

Le contraste avec le classement des albums les plus populaires en « Wallonie » (appellation choisie par le site Ultratop pour les morceaux écoutés en Belgique francophone, ndlr) ne pourrait être plus saisissant. Soulignons tout d’abord que seuls deux groupes arrivent à s’offrir une place dans le top 20 des deux communautés : The Rolling Stones et Maneskin . Ensuite, on relèvera que les premiers de chaque classement – à savoir les rappeurs bruxellois Hamza et Damso en Belgique francophone – ne figurent même pas dans le top 100 de l’autre communauté ! C’est sans nul doute le fait le plus évocateur. Les langues et les genres musicaux sont également très différents : les sept albums les plus populaires de l’année dans le sud sont tous des albums de rap français. Dans le top 30, on retrouve même 23 titres de ce genre, alors qu’en Flandre, il est inconnu au bataillon, comme s’il n’existait pas de l’autre côté de la frontière linguistique.

« Il y a toujours eu de grandes différences entre les listes du nord et du sud du pays », tempère Sam Jaspers, critique musical indépendant et fondateur de l’Ultratop en 1995. « Ces divergences s’expliquent en grande partie par la présence très marquée du paysage audiovisuel français en Belgique francophone, qui consultent, regardent et écoutent essentiellement des médias français. Aussi retrouve-t-on grosso modo en Belgique francophone le classement en vigueur dans l’Hexagone, bien que dans un ordre légèrement différent. »

La domination du hip-hop est une question de préférence culturelle, mais, selon Jaspers, elle s’explique aussi partiellement par la manière dont les classements sont compilés. Depuis 2017, le streaming est pris en compte dans le classement des albums, aux côtés des ventes physiques et numériques. « Le hip-hop représentait 14 titres sur 100 dans les charts francophones en 2016. En 2018, il y en avait déjà 32, et nous avons maintenant dépassé la moitié. « C’est d’une part lié au fait que le streaming capte une partie de la consommation qui n’apparaissait pas auparavant dans les statistiques, alors même que ce genre spécifique a souffert plus que d’autres de la baisse des ventes physiques. D’autre part, le rap peut se prévaloir d’un public jeune, qui l’écoute en permanence, ce qui a une influence sur les chiffres : le hip-hop a un avantage sur d’autres genres musicaux qui sont écoutés de façon moins intensive. »

A relire

[1]Cérémonie des MIA’s: voici les stars de l’industrie musicale en Flandre

Pas de Victoires de la musique en Belgique francophone



Autre observation : si on fait abstraction des incontournables comme Stromae, Angèle et Damso, le classement francophone ne comprend pratiquement aucun artiste « local ». Seuls six noms figurent ainsi dans le top 100 – parfois avec deux albums – et la plupart ne figurent même pas dans le top 25.

Selon Laurent Hoebrechts, journaliste musical ( Le Vif ), les artistes du cru peinent à percer en Belgique francophone en raison du côté très restreint du marché spécifique à ce territoire. « Le public est non seulement moins nombreux qu’en Flandre, mais l’univers médiatique, les maisons de disques et l’industrie culturelle au sens large sont également moins développés au sud du pays. Récemment, j’ai regardé avec ma fille Het gala van de gouden K’s ( grand spectacle télévisé au cours duquel la chaîne de télévision jeunesse K etnet remet ses récompenses de l’année, ndlr)), car elle va à l’école en néerlandais. J’ai été stupéfait par les moyens mis à disposition, qui sont sans commune mesure avec ce qu’on pourrait trouver au sud du pays, où il n’existe d’ailleurs rien de tel. Il n’y a même plus de Victoires de la musique, comme les « MIA » en Flandre: après 2 ou 3 éditions des D6Bels Music Awards, le concept s’est essoufflé de lui-même, notamment parce qu’on retrouvait toujours les mêmes artistes au palmarès !

Bruxelles via Paris



« Les radios ne disposent pas non plus de la latitude nécessaire pour faire découvrir de nouveaux artistes au public », renchérit Thierry Coljon du journal Le Soir . « Les stations comme NRJ ont même pour slogan ‘ hit music only’ , ce qui en dit long : elles ne diffusent que du connu et de l’archiconnu ! En Flandre, on trouve des stations plus audacieuses comme Studio Brussels, qui osent sortir des sentiers battus. Elles font office de rampe de lancement pour de nouveaux artistes. Cela manque cruellement chez nous. C’est aussi pourquoi la [2]Semaine de la musique belge , qui vient de s’achever, est si importante. Pendant sept jours, la RTBF n’a diffusé que de la musique belge sur certaines stations : une occasion unique de découvrir et de se faire connaître. »

Aujourd’hui, ceux qui veulent percer ont besoin de l’appui de la France. Ce n’est pas un hasard si Angèle et Stromae ont signé chez un label français. Laurent Hoebrechts souligne également une situation qui tend par moments à l’absurde : « Quand on veut interviewer un rappeur bruxellois, on doit passer par un agent établi à Paris ».

Pour Thierry Coljon, ce passage obligé par l’hexagone tient de la vieille plaie jamais cicatrisée. « En Belgique francophone, on n’aime les artistes que lorsqu’ils sont déjà des célébrités. Dans les années 1980, on appelait cela le ‘complexe belge’. En tant qu’artiste du cru, vous n’étiez apprécié dans votre pays qu’après être passé sur le canapé rouge de Michel Drucker ! Ce qui est en revanche nouveau, c’est que les Français s’intéressent beaucoup plus à ce que nous faisons. Aux dernières Victoires de la Musique en France, les Belges ont raflé un tiers des nominations, avec des artistes de nouvelle génération comme Pierre de Maere et Mentissa. C’est la conséquence du succès de Stromae ou de Damso : les Belges sont pris plus vite au sérieux quand ils sortent un nouveau son. »

A relire

[3]Et si vous écoutiez un peu de musique flamande ?



[1] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/ceremonie-des-mias-voici-les-stars-de-lindustrie-musicale-en-flandre/

[2] https://www.weekvandebelgischemuziek.be/fr

[3] https://daardaar.be/rubriques/culture-et-medias/et-si-vous-ecoutiez-un-peu-de-musique-flamande/



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