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  ARM Give a man a fire and he's warm for a day, but set fire to him and he's warm for the rest of his life (Terry Pratchett, Jingo)

« Chaleureux », « inclusif », « au centre » : voilà comment la N-VA se présente aux francophones

([Politique] 2025-02-01 (DaarDaar))


Sur son site (en français), la N-VA se décrit comme un parti « au centre », « chaleureux » et « inclusif ». Une description qui se rapproche plus de l’image que le parti veut se forger qu’à la réalité, estime Ico Maly, professeur associé à l’université de Tilburg et spécialiste de la rhétorique de la N-VA.

« La N-VA est-elle un parti nationaliste ? », « La N-VA est-elle un parti anti-islam ? », « La N-VA souhaite-t-elle la fin de la solidarité avec la Wallonie ? »… Le parti nationaliste flamand répond à une dizaine de questions idéologiques dans une foire aux questions sur son site. Et ce, en français, en anglais et en allemand.

Sur le site en néerlandais, cette foire aux questions (FAQ) n’apparaît pas telle quelle. Anne-Laure Mouligneaux, porte-parole francophone de la N-VA, explique : « Nous avons publié ces questionnaires quand j’ai commencé à travailler à la N-VA il y a plus de 10 ans. Le but est d’expliquer nos positions. Le site en néerlandais a déjà été renouvelé, mais cela n’a pas encore été le cas pour les autres langues. En outre, le site en néerlandais est construit différemment et est bien plus étoffé avec un moteur de recherche pour nos différentes positions. »

[1]Attaquer pour mieux se défendre: la stratégie de Bart De Wever

Dans ce FAQ, le parti de Bart De Wever ne cache pas ses intentions séparatistes, mais insiste sur son caractère inclusif : « La N-VA est un parti nationaliste flamand. Notre nationalisme se caractérise cependant par un mélange sain d’éléments civils et culturels. Nous mettons l’accent sur l’esprit communautaire que nous souhaitons concrétiser de manière inclusive. »

« Notre but final est une Flandre indépendante. »

« Notre but final est, en effet, une Flandre indépendante en tant qu’Etat membre européen, mais le chemin pour y parvenir est jalonné d’étapes et doit être parcouru dans le respect de la démocratie », peut-on encore lire sur le site du parti.

Le confédéralisme pour faire passer la pilule



La N-VA ne cache donc pas ses intentions séparatistes, mais elle a changé de discours par rapport aux origines du parti. L’analyse dans le temps du site du parti permet de le confirmer. Une recherche via le site Web Archive nous a permis de constater que la N-VA avait déjà publié cette foire aux questions en français en 2011.

En comparant les textes actuels avec ceux de l’époque, on remarque qu’une nouvelle question est apparue : « Qu’entend la N-VA par confédéralisme ? »

Le ton de la réponse en français est assez sobre : « En accord avec nos voisins les Wallons, nous pourrons également mettre en place une collaboration optimale et ce, dans l’intérêt de chaque partie. Le confédéralisme est l’instrument grâce auquel nous sommes en mesure d’opérer les choix indispensables en matière de solidarité et de garantir notre prospérité. Ce système est la clé d’une véritable démocratie et d’une gestion efficace. »

Même s’il n’existe pas de FAQ similaire sur le site en néerlandais de la N-VA, le parti séparatiste a aussi consacré une liste de questions spécifiquement sur le confédéralisme. Et la différence de ton entre la version française et néerlandaise est frappante.

« La Belgique est devenue le pays de la stagnation et du blocage. […] Il n’y a plus d’argent. La patience est à bout. Ça suffit. »

En néerlandais, on peut lire : « La Belgique est la somme de deux démocraties. […] la Belgique est devenue le pays de la stagnation et du blocage. […] En ce qui concerne vos impôts, votre pension, la migration, les centrales nucléaires… la Flandre n’a pas grand-chose à dire, voire rien du tout. La Belgique décide de ce que la Flandre peut décider et, surtout, de ce qu’elle ne peut pas décider. »

Avant de poursuivre : « La Belgique, c’est trop d’impôts, trop de dettes et trop de factures. Il en résulte le plus mauvais budget de toute l’Europe ». « Malgré cela, le gouvernement fédéral ne parvient toujours pas à régler les tâches essentielles qui lui incombent. […] Il n’y a plus d’argent. La patience est à bout. Ça suffit. »

Pourquoi cette différence de ton ? Ico Maly, anthropologue linguistique de formation, analyse : « C’est tout à fait normal qu’un parti adapte son discours à ses différents publics. La N-VA se rend compte que le séparatisme n’est pas populaire auprès de la population. Ils préfèrent ajouter une étape, le confédéralisme, pour apparaître plus modérée. »

Anne-Laure Mouligneaux, porte-parole francophone de la N-VA rétorque : « Le discours n’est pas différent. Nous ne changeons jamais de discours. Les sites en français, en anglais et en allemand servent aussi pour l’international. Il est donc important d’expliquer les bases de notre parti et son idéologie. »

« Parti au centre », vraiment ?



En ce qui concerne leur positionnement sur l’axe socio-économique, les nationalistes flamands se placent au centre : « Dans le domaine socio-économique, la N-VA place la responsabilité au centre ».

Pourtant, quand on regarde le positionnement gauche-droite des partis belges confectionné par des politologues de l’université d’Anvers et de l’UCLouvain, on voit clairement que la N-VA se situe clairement à droite sur les axes socio-économique et socio-culturel. Son positionnement est d’ailleurs le plus stable de tous les partis flamands depuis 2014.

Dans ce questionnaire, les nationalistes flamands réfutent aussi l’appellation « néolibéral » : « La N-VA n’est en aucun cas un parti néolibéral : elle ne défend pas le principe du ‘laisser faire, laisser passer ‘ ».

Ico Maly n’est pas du tout d’accord : « La N-VA est bel et bien un parti néolibéral. Historiquement, le néolibéralisme est un courant qui donne la liberté absolue aux entreprises. Il suffit de regarder l’accord de gouvernement De Wever pour s’en rendre compte. La logique centrale est simple : la société est vue sous une logique économique . »

Le scientifique nuance néanmoins : « Un autre aspect du néolibéralisme est la perception très individualiste de la société. La N-VA se distancie ici par exemple de l’Open VLD. Elle a une approche communautaire, elle aspire à la création d’une Nation . »

Un parti anti-islam ?



À la question « La N-VA est-elle un parti anti-islam ? », le parti répond sur son site : « Nous ne pratiquons pas un nationalisme exclusif, nous n’entendons pas exclure des groupes ethniques particuliers. La N-VA est un parti chaleureux et inclusif qui offre également aux nouveaux venus l’opportunité de s’intégrer au sein de notre communauté. […] La N-VA compte d’ailleurs dans ses rangs des parlementaires d’origine étrangère, comme Zuhal Demir, Nadia Sminate et Assita Kanko « .

[2]«Les voyous sont presque toujours de jeunes immigrés»: De Wever a-t-il raison?

Dans le passé, des figures de proue de la N-VA ont pourtant tenu des propos controversés envers les personnes étrangères et les musulmans : « [3]Des musulmans ont dansé après les attentats » de Bruxelles de Jan Jambon , [4]les « razzias » pour « Air Francken » de Bart De Wever …

On se rappellera aussi la campagne sur les réseaux sociaux fin 2018, juste avant que la N-VA ne quitte le gouvernement Charles Michel. La N-VA avait alors publié des publications sur les réseaux sociaux où l’on voit des personnes voilées avec différents slogans tels que « Pacte des Nations Unies sur les migrations = priorité à la préservation de la culture des migrants « .

Selon Ico Maly, la N-VA a été toujours été cohérente dans sa manière de communiquer sur la migration : elle a voulu se distancier du Vlaams Belang, qui rejette tous les étrangers : « Pour la N-VA, les migrants sont les bienvenus seulement s’ils remplissent leurs conditions. D’après le parti, la Flandre constitue une communauté homogène. Si les primo-arrivants, citoyens de second rang, veulent faire partie intégrante de cette communauté, ils doivent adhérer aux valeurs de la nation flamande. »

D’extrêmement pro-européen, la N-VA devient « euroréaliste »



Il y a 13 ans, le parti se qualifiait de parti « extrêmement pro-européen ». Comme le montre, une comparaison des anciens textes et des textes actuellement en ligne, cette appellation a été entretemps modifiée en « euroréaliste »: « La N-VA est avant tout un parti euroréaliste qui n’hésite pas à remettre en question le fonctionnement de l’Union européenne et ce, non pas parce que nous doutons de son utilité et de son intérêt, mais parce que nous ne devons pas la considérer comme une évidence ».

Comment expliquer ce changement ? Ico Maly, auteur d’une thèse de doctorat qui est devenue le livre « N-VA, analyse d’une idéologie politique », explique : « Entre 2004 et 2011, la période pendant laquelle j’ai réalisé mon doctorat, l’Europe occupait une très bonne place dans la rhétorique de la N-VA. L’idée était de montrer que grâce à l’Europe, la Belgique est devenue superflue. Depuis, les partis eurosceptiques ont gagné du terrain et la N-VA surfe sur cette vague . »

À noter qu’au Parlement européen, la N-VA siège dans le groupe conservateur CRE où l’on retrouve Fratelli d’Italia, le parti d’extrême droite de la première ministre italienne Giorgia Meloni.

Objectif : normaliser le discours de la N-VA



Selon Ico Maly, ce questionnaire en français illustre la stratégie de la N-VA : être perçue comme un « volkspartij », un parti du peuple, au centre : « Aidé par un Vlaams Belang à son extrême droite, Bart De Wever a réussi à se créer en Flandre l’image d’un homme d’État à la tête d’un parti au centre, jamais radical, qui agit par la raison. »

Même si Bart De Wever semble s’être adouci avec le temps, Ico Maly reste persuadé que l’homme fort de la N-VA continue d’œuvrer pour appliquer son idéologie nationaliste : « D’après lui, les structures de l’État doivent créer la nation. C’est la raison pour laquelle les nationalistes investissent dans des projets comme le [5]Canon de Flandre ou des émissions comme [6]Het Verhaal van Vlaanderen . Petit à petit, leurs idées sont perçues comme normales. Leur point de vue sur la démocratie, la culture et les traditions flamandes deviennent la norme. »

Cette tactique pourra-t-elle fonctionner auprès du public francophone ? Bart De Wever, ce nationaliste devenu Premier ministre d’un pays dont il souhaite la fin, dispose en tout cas d’un mandat pour convaincre les francophones et tenter de les rassurer.

[7]De Wever au pouvoir: une chance inattendue pour les francophones?



[1] https://daardaar.be/rubriques/politique/nouvel-an-n-va-2025-communautaire/

[2] https://daardaar.be/rubriques/opinions/les-voyous-sont-presque-toujours-de-jeunes-immigres-de-wever-a-t-il-raison/

[3] https://www.rtbf.be/article/des-musulmans-ont-danse-apres-les-attentats-jambon-provoque-la-polemique-9272001

[4] https://www.rtbf.be/article/des-razzias-pour-air-francken-bart-de-wever-fier-du-travail-mene-10226209

[5] https://www.rtbf.be/article/le-canon-flamand-est-sorti-d-ou-vient-cette-idee-et-a-quoi-va-t-elle-servir-11195261

[6] https://www.rtbf.be/article/polemiques-pour-het-verhaal-van-vlaanderen-une-serie-trop-chere-qui-sert-les-interets-de-la-n-va-11134574

[7] https://daardaar.be/rubriques/politique/de-wever-au-pouvoir-une-chance-inattendue-pour-les-francophones/



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-- Baskins