J’en suis venue à me demander ce qu’était devenue ma ville. Gantoise d’origine, je me suis surprise plusieurs fois ces six derniers mois à observer avec sidération cette cité que j’aime tant. Bien que ceux qu’on surnomme les « stroppendragers »* soient connus pour être des frondeurs empreints d’humour et de dérision – il suffit de repenser à la [1]grande fête populaire organisée à Gand pour célébrer le record de la plus longue formation du gouvernement – les notables de la ville de Jacques van Artevelde n’ont pas brillé par leur malice ces derniers temps.

Ainsi la ville a-t-elle jugé bon d’inviter ses citoyens à manger leur sapin de Noël. Ne vous étranglez pas, l’arbre serait comparable au thym et au romarin. Rehaussez vos préparations d’une pincée d’épicéa et délectez-vous de la saveur des pinèdes scandinaves ! Et moi qui pensais qu’il fallait replanter son arbre pour être écolo… Aux chefs expérimentés qui maîtrisent la grillade de poisson sur branches de pin : excellente idée ! Aux cheffes qui aiment innover dans leur restaurant : pourquoi pas ? La journaliste culinaire britannique Julia Georgallis a même consacré un ouvragé au sujet. Astuce pour ajouter un peu de piquant : les jeunes pointes d’épicéa seraient plus goûteuses que les vieilles.

Au-delà de ces exceptions, il est tout de même exaspérant de constater que nos autorités se posent si rarement les bonnes questions. Avait-on vraiment besoin de ça ? J’ai vu passer sur mes réseaux sociaux des messages sponsorisés de la ville de Gand, ce qui signifie donc que des moyens financiers ont été dégagés pour cette campagne et qu’au moins un fonctionnaire de la ville a été chargé de travailler sur ce dossier.

A relire

[2]Élections communales: Gand se rapproche un peu plus d’Anvers

Une démarche ludique? Ce qui est ludique, c’est la façon dont les pouvoirs publics font joujou avec l’argent des contribuables. Le déficit du budget fédéral dépasse allègrement les 20 milliards d’euros et nous coûtera un bras à toutes et tous. On doit déjà racler les fonds de tiroir pour assurer les missions essentielles comme la police, la justice et la défense. Et pendant ce temps, certains dépensent sans réfléchir.

Bon, ne nous plaignons pas, la Flandre a déjà [3]supprimé l’application culinaire complètement inutile lancée par Wouter Beke en 2020, alors qu’il était ministre du Bien-être. C’est un bon début, mais il faudrait peut-être veiller à ne pas faire n’importe quoi sur le reste. Sinon, le fameux [4]programme de protection des hamsters, il en est où? Remarquez qu’au moins, ces petits animaux, eux, savent se constituer des réserves et faire preuve de frugalité. Nos politiques devraient en prendre de la graine.

Car je dis cela, je ne dis rien, mais la ville de Gand accuse tout de même elle aussi une dette d’un milliard d’euros. Mais qu’à cela ne tienne, elle trouvera manifestement toujours bien quelques piécettes pour distiller ses bons conseils aux citoyens. Notre déficit national de plus de 20 milliards d’euros est l’héritage de tous les niveaux de pouvoirs du pays. Si l’effort ne se concentre que sur le fédéral, l’échec est garanti.

Ah, je vous entends déjà, les grincheux. Étaler son sapin de Noël sur une tranche de pain, n’est-ce pas l’exemple même d’une économie circulaire? Je vous l’accorde, mais si Groen monte volontiers au créneau pour dénoncer les dangers des pesticides dans l’eau, le parti écologiste semble avoir oublié à Gand que les sapins de Noël sont aussi traités avec des produits chimiques. Manger son sapin de Noël est très dangereux pour la santé, a ainsi averti l’Agence fédérale pour la sécurité alimentaire. Et pas seulement à cause des pesticides : les aiguilles peuvent aussi perforer la paroi intestinale.

Il ne s’agit donc pas seulement d’une politique inutile qui fleure bon le gaspillage d’argent public, mais aussi d’une politique irresponsable. Gand, ville de la lumière et de l’amour, sera bientôt aussi la capitale de l’indigestion.

** Littéralement, les « porteurs de cordes », en référence à [5]la corde qu’ont dû porter autour au cou les notables de Gand, contestataires notoires, forcés à faire [6]amende honorable par Charles Quint en 1540, en traversant la ville pieds nus, corde au cou. Chaque année, à l’occasion des [7]Fêtes de Gand , les Gantois portent ainsi une corde autour du cou en référence à cet événement historique, qui est également reconstitué lors d’une procession. Le geste symbolise aussi l’opposition à l’autorité. Note du traducteur.

À relire

[8]L’Agneau Mystique, un chef-d’œuvre hors de prix (pour les plus démunis)



[1] https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2011/01/31/_vier_wereldrecordregeringsvormeningent-1-953681/

[2] https://daardaar.be/rubriques/politique/elections-communales-gand-se-rapproche-un-peu-plus-danvers/

[3] https://www.vrt.be/vrtnws/nl/2024/12/03/kookapp-verdwijnt/

[4] https://www.ecopedia.be/artikel/soortbeschermingsprogramma-voor-de-europese-hamster-vlaanderen-2015-2020

[5] https://nl.wikipedia.org/wiki/Stroppendragers

[6] https://nl.wikipedia.org/wiki/Eerlijke_betering

[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/Gentse_Feesten

[8] https://daardaar.be/rubriques/lagneau-mystique-un-chef-doeuvre-hors-de-prix-pour-les-plus-demunis/