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  ARM Give a man a fire and he's warm for a day, but set fire to him and he's warm for the rest of his life (Terry Pratchett, Jingo)

«Les similitudes avec les années 1930 sont bel et bien frappantes»

([Opinions, Politique] 2025-01-01 (Het Nieuwsblad))


Nous vivons une époque étrange. La veille de la plus grande commémoration de la libération d’Auschwitz, le milliardaire Elon Musk intervient par vidéoconférence lors d’un meeting électoral du parti d’extrême droite allemand AfD. D’autres images diffusées cette semaine marquent encore plus l’esprit de Christophe Busch, criminologue et historien. Comme celle des magnats de la tech installés au premier rang, lors de l’investiture de Donald Trump. Ou quelques jours plus tard, la libération du fondateur de la milice d’extrême droite « Oath Keepers », Stewart Rhodes, dans les couloirs du Capitole qu’il avait pris d’assaut quatre ans plus tôt. « Cette interaction entre le grand capital et des masses qui se sentent oubliées du système est caractéristique. Ce chemin, nous l’avons déjà emprunté et les choses ont mal tourné », nous explique celui qui est aussi actuel directeur de l’Institut Hannah Arendt et ancien directeur de la Caserne Dossin.

Nous voilà avertis. Mais n’est-il pas un peu tôt pour faire ce parallélisme en tout début de mandat ?



« Je comprends les personnes qui estiment qu’il ne faut pas toujours tout ramener à Hitler, qu’elles associent aux camps d’extermination et à l’image du nazi vociférant. Mais ces symboles simplifient outre mesure une réalité complexe et occultent des processus plus subtils, qui ne sont pas toujours compris ou dont le danger n’est pas bien évalué. Depuis longtemps, j’analyse ce qui se joue lorsqu’un individu, un groupe ou une nation tout entière dérape. On voit alors certains schémas se répéter et apparaitre des moments charnières. La fin du mandat de Trump en sera un. Nous l’avons vu lors des incidents du Capitole. Les premiers jours d’un tel régime marquent aussi un tournant. J’étudie depuis longtemps l’année 1933, où Hitler accéda au pouvoir. Je ne pense bien sûr pas qu’il y aura des camps de concentration demain. Mais le processus rapide et graduel de démantèlement de la démocratie est déjà enclenché. »

Vous parlez du salut hitlérien d’Elon Musk, le soir de la cérémonie d’investiture ?



« Le salut est un symbole, et les symboles ont leur importance, bien entendu, mais c’est aussi un moyen de détourner l’attention. Nous devons surtout apprendre à analyser les modes de fonctionnement. Ce salut hitlérien est un nouvel événement qui ravive les fractures dans la société et attise encore une fois la polarisation générale. Il lance un débat mondial – salut nazi ou non ? – au beau milieu duquel les gens se sentent obligés de choisir un camp. C’est la mécanique sous-jacente. On le voit également lorsque Trump reprend à son compte des expressions du mouvement de l’alt-right (la mouvance d’extrême droite américaine) ou lorsque Musk flirte avec l’AfD et leur offre une vaste tribune. Les choses ne se produisent pas du jour au lendemain. Mais si l’on additionne tous ces éléments et l’on observe l’agitation de cet homme au capital, à l’aura et à l’impact aussi énormes, il faudrait être aveugle pour ne pas voir les parallèles avec d’autres régimes autoritaires. »

A relire

[1]Le Parlement flamand tient une minute de silence pour un négationniste

Les similitudes avec les années 1930 sont-elles si frappantes ?



« Oui, c’est très caractéristique. Ce qui s’est passé à cette période a été largement documenté. Dans les années trente, le grand capital, la nouvelle élite de l’époque qui s’était détournée du monde politique a décidé de céder une partie du pouvoir à un caporal insignifiant, pensant le contenir et le faire rentrer dans le rang, en vain. Aujourd’hui, nous ne savons pas comment les choses vont évoluer, mais les vannes ont déjà été ouvertes pour répandre cet état d’esprit polarisé. Par Musk et son réseau X, qui ont glissé depuis longtemps sur la pente de l’alt-right. Et par d’autres personnalités, comme Jeff Bezos, Mark Zuckerberg et Tim Cook, qui ont choisi la finance. Leur richesse prouve l’efficacité de ce choix, mais ce faisant, ils trahissent leur responsabilité à l’échelle mondiale. »

Vous dites aussi que les images de la libération des assaillants du Capitole restent gravées dans votre esprit. Dans quel sens ?



« Après sa libération, Stewart Rhodes est venu expliquer qu’enfin un président l’avait entendu. Ce propos fait écho au déracinement des masses décrit au siècle dernier par la philosophe germano-américaine Hannah Arendt. Ces masses, en difficulté, se disent abandonnées du gouvernement. Un récit qui résonne aussi dans le pays de la Dendre. Parallèlement à cela, une nouvelle classe politique a émergé, à l’aise dans la rue et capable de donner au peuple le sentiment d’être entendu. À Ninove, par exemple. Trump, lui, est un maître en la matière. La rencontre de cette élite et des masses provoque un soulèvement et gonfle les voiles d’un leader autoritaire. Un autre facteur est l’absence de réponse suffisante donnée par les partis traditionnels aux défis qui touchent véritablement ces personnes. Voilà qui révèle toute la fragilité de la démocratie, décidément malmenée cette semaine. »

De quelle manière ? Quelles décisions vous mettent-elles en alerte ?



« Ce qui m’a frappé d’emblée, ce sont les décrets destinés à purger l’administration. Tous les fonctionnaires en lien avec la diversité ou avec la sphère « woke », comme ils la désignent, ont été congédiés sur le champ. Dans le même esprit, il y a eu la décision de sortir de l’OMS. La libération des 1500 assaillants du Capitole dépasse l’entendement. Elle sape la logique de l’État de droit, à la faveur de la loyauté envers une seule personne. Ces décisions portent en elles le fascisme. Lors de son premier mandat, Trump a vu des magistrats, des militaires et des juges faire barrage à sa toute-puissance. À l’époque, il y avait encore un équilibre des pouvoirs. Désormais, Trump ne s’embarrasse plus de tout ça. Bien sûr, ses conseillers lui auront déconseillé de gracier les émeutiers déterminés à tuer des politiciens. Et bien sûr, cette décision crée des remous au niveau mondial. Mais quelle importance au fond, puisqu’il s’en tire à bon compte ? Les masses en colère contre le système trouvent cela courageux. L’éternel problème, c’est que les masses manquent de vision pour anticiper ce qui pourrait suivre. Et quand elles s’en rendent compte, il est trop tard. »

Est-ce différent d’autrefois ? Vous venez d’évoquer la responsabilité des milliardaires de la tech au niveau mondial.



« La grande différence c’est peut-être qu’avant, lorsque des événements survenaient dans un pays, leur portée se limitait à une chaine de radio ou à un journal télévisé. De nos jours, les plates-formes ont une diffusion mondiale et presque immédiate. Ce monde virtuel est moins un outil de dialogue qu’une fabrique d’opinions où seul compte de savoir si l’on est pour ou contre. La plupart des gens ne sont ni de gauche ni de droite ; ils occupent le centre en silence. Mais dans une société polarisée, ce centre s’amenuise et, au fil du temps, la nuance n’est plus possible. Même une évêque qui prêche l’empathie et la tolérance est taxée de radicale.

Y a-t-il encore un moyen de contrer ce mécanisme ?



« Le malheur, c’est qu’une démocratie se démantèle beaucoup plus vite qu’elle ne se reconstruit. Fondée sur la diversité des points de vue et la nuance, la démocratie sera toujours plus vulnérable sur ce point qu’un système totalitaire qui fixe les orientations et désigne comme ennemis tous les tenants d’une autre vision. Dans pareil système, on apprend vite que pour ne pas s’attirer d’ennui, mieux vaut regarder ailleurs. Par conséquent, il est préférable d’empêcher ce genre de dirigeants autoritaires d’accéder au pouvoir. L’Europe y parvient encore pour l’instant, même si les élections en Allemagne peuvent réserver des surprises. Les États-Unis ont dépassé ce stade. Le danger est que Trump et Musk en inspirent d’autres. C’est le moment d’être courageux et d’appeler un chat un chat. Sans cela, il ne faudra pas dire que « nous ne savions pas » [2][i] .

[3][i] Traduction de la phrase attribuée aux Allemands après la guerre « Davon haben wir nichts gewusst », N.d.t.

À relire

[4]Vlaams Belang au pouvoir : on sait comment ça commence, mais pas comment ça finit…



[1] https://daardaar.be/rubriques/politique/le-parlement-flamand-tient-une-minute-de-silence-pour-un-negationniste/

[2] https://daardaar.be/rubriques/politique/les-similitudes-avec-les-annees-1930-sont-frappantes/#_edn1

[3] https://daardaar.be/rubriques/politique/les-similitudes-avec-les-annees-1930-sont-frappantes/#_ednref1

[4] https://daardaar.be/rubriques/politique/vlaams-belang-au-pouvoir-on-sait-comment-ca-commence-mais-pas-comment-ca-finit/



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-- Pat Benatar, "Hell is for Children"