Imposer le néerlandais comme langue unique à Renaix ? « Une abomination ! »
([Société] 2024-12-01 (De Standaard))
- Reference: 2024-12_Belgaimage-2582699-255x170
- News link: https://daardaar.be/rubriques/societe/imposer-le-neerlandais-comme-langue-unique-a-renaix-une-abomination/
- Source link: https://www.standaard.be/cnt/dmf20241125_97280085
Cela fait plusieurs années que la Ville de Renaix fait fi des facilités linguistiques. Suite à une plainte introduite par un groupe d’habitants, la Cour constitutionnelle rappelle la Ville à l’ordre.
Sous une pluie battante, Jean Gheysens, 90 ans, hisse le sapin de Noël qui ornera la Grand-Place de Ronse ces prochaines semaines. À moins que ce ne soit « Renaix », comme on peut le lire sur une des portes latérales de sa grue ? « Français, vlams , cela ne fait pas une grande différence au final », s’exclame Gheysens. « Ici, on salue les gens d’un “ hallo , bonjour”, et leur réponse indique immédiatement quelle langue ils parlent. Ma femme ne comprenait pas un mot de néerlandais lorsque je l’ai connue. Dans ma famille, on parlait le néerlandais, ou plutôt le patois local, mais elle et moi nous sommes toujours compris. Ici, ce sera toujours comme ça. Renaix unilingue néerlandais ? Comment faire lorsqu’on vit si près de la Wallonie ? »
Pourtant, c’est justement la direction vers laquelle le bourgmestre, Ignace Michaux, (CD&V) tend. Lors des élections communales d’octobre, il a été plébiscité comme homme politique le plus populaire de cette ville de Flandre orientale. Depuis un certain temps, son partenaire de coalition (N-VA) et lui veulent supprimer les facilités linguistiques qui permettent aux habitants francophones de communiquer en français avec le personnel de leur administration.
Chaque année, l’obligation de bilinguisme coûte une coquette somme à la Ville, alors qu’en pratique, il y aurait très peu de demandes de communication en français. Cela complique aussi les choses, car pour pouvoir entrer en fonction, les candidats à un poste de fonctionnaire doivent passer un examen de langue. De plus, le régime des facilités empêche la fusion de Renaix avec les communes voisines néerlandophones de Markedal ou Kluisbergen au motif qu’elles sont unilingues. Renaix voit ainsi lui passer sous le nez le bonus financier de 13 millions d’euros qu’une fusion représenterait.
« Les Flamands aiment déterminer quelle langue les autres doivent parler. Prenez par exemple Durbuy. »
Ainsi, depuis quelque temps, la Ville fait unilatéralement fi des facilités. Tandis qu’au centre-ville, les panneaux de rues sont encore bilingues, et que le Kerkplein s’appelle donc aussi Place de l’Église, dans les nouveaux lotissements, les panneaux de rues sont tous unilingues. Et, dans le hall d’entrée de l’Hôtel de Ville, à l’exception du « politiebesluit » qui côtoie l’« arrêté de police », toutes les affiches sont rédigées exclusivement en langue néerlandaise.
Le projet du bourgmestre ne plait pas à tout le monde. « Imposer le néerlandais comme langue unique à Renaix ? À mes yeux, ce serait une abomination », s’indigne Sonia. Ce matin-là, l’habitante âgée de 77 ans est venue à l’administration communale avec son mari pour demander une nouvelle carte d’identité. Elle ne souhaite voir ni son nom de famille ni sa photo publiés dans le journal. « Ici, la question linguistique est un sujet sensible. Les francophones ne sont pas forcément servis de manière chaleureuse. Pourtant, avant, la majeure partie des habitants parlaient le français. Les choses ont changé. Les Flamands aiment déterminer quelle langue les autres doivent parler. Prenez par exemple Durbuy, où on entend très peu parler le français vu le nombre de touristes flamands qu’il y a là-bas. Je trouve que chacun devrait pouvoir choisir lui-même quelle langue il parle, non ? »
Sonia n’est pas la seule à s’indigner de ce fait. En septembre 2023, le groupe d’action Renaix Bilingue-Renaix Tweetalig a introduit une action en justice pour exiger une astreinte de 13 000 euros par jour de violation de la loi sur l’emploi des langues. Le juge a estimé que la Cour constitutionnelle devait, dans un premier temps, déterminer si cette obligation est contraire au principe d’égalité, comme la Ville le prétend. Dans un arrêt récent, la Cour a qualifié cette pratique d’inadmissible et a enjoint Renaix de continuer à respecter les lois linguistiques. À présent, le juge civil est saisi de l’affaire et pourrait imposer des astreintes. « Nous avons pris connaissance de cet arrêt, mais il n’est pas encore question de jugement au fond », indique le bourgmestre Michaux dans une réaction par écrit. « Nous maintenons que nos habitants ne font presque plus usage du régime des facilités, lequel entraîne des coûts supplémentaires et empêche une fusion. Cette législation désuète est donc lourde de conséquences. »
[1]Comment une chaussée romaine a déterminé la frontière linguistique
Certes, tous les Renaisiens ne se soucient pas de la question linguistique. « Ici, ce sujet a toujours fait débat », affirme Jean-Pierre Jouretz, habitant de la commune. « Mais, ces dernières années, les choses se sont vraiment calmées sur ce plan-là. À une époque, le patron du café refusait de me servir parce que je ne prononçais pas le mot « gueuze » à la française. De nos jours, ce genre de situation ne se produit plus. Il y a bien assez d’autres raisons de se prendre la tête. Ces derniers temps, on parle plutôt de la recrudescence des cambriolages dans la région. »
Ailleurs à Renaix, c’est aussi le pragmatisme qui règne. Ainsi, la serveuse de la brasserie Lagaar, effectivement située devant la gare, salue ses clients dans les deux langues. Un membre du personnel d’un bureau d’intérim nous confirme qu’en principe, tout se fait en néerlandais, mais que les candidats peuvent obtenir une version française de leur contrat travail sur demande. « Je peux comprendre notre bourgmestre. Bien sûr, c’est moins cher si on doit appliquer une seule langue, le néerlandais », dit Hamza Benyaich. Le chauffeur de bus parfaitement bilingue vient de faire prolonger son permis de conduire à l’Hôtel de Ville, chose qu’il a faite en s’exprimant en néerlandais. « Ma rue se trouve littéralement à 100 mètres de la frontière linguistique. Je trouve qu’il est quand même un peu mesquin de penser qu’on peut empêcher l’emploi du français en modifiant une loi. »
[1] https://daardaar.be/rubriques/comment-une-chaussee-romaine-a-determine-la-frontiere-linguistique/
Sous une pluie battante, Jean Gheysens, 90 ans, hisse le sapin de Noël qui ornera la Grand-Place de Ronse ces prochaines semaines. À moins que ce ne soit « Renaix », comme on peut le lire sur une des portes latérales de sa grue ? « Français, vlams , cela ne fait pas une grande différence au final », s’exclame Gheysens. « Ici, on salue les gens d’un “ hallo , bonjour”, et leur réponse indique immédiatement quelle langue ils parlent. Ma femme ne comprenait pas un mot de néerlandais lorsque je l’ai connue. Dans ma famille, on parlait le néerlandais, ou plutôt le patois local, mais elle et moi nous sommes toujours compris. Ici, ce sera toujours comme ça. Renaix unilingue néerlandais ? Comment faire lorsqu’on vit si près de la Wallonie ? »
Pourtant, c’est justement la direction vers laquelle le bourgmestre, Ignace Michaux, (CD&V) tend. Lors des élections communales d’octobre, il a été plébiscité comme homme politique le plus populaire de cette ville de Flandre orientale. Depuis un certain temps, son partenaire de coalition (N-VA) et lui veulent supprimer les facilités linguistiques qui permettent aux habitants francophones de communiquer en français avec le personnel de leur administration.
Chaque année, l’obligation de bilinguisme coûte une coquette somme à la Ville, alors qu’en pratique, il y aurait très peu de demandes de communication en français. Cela complique aussi les choses, car pour pouvoir entrer en fonction, les candidats à un poste de fonctionnaire doivent passer un examen de langue. De plus, le régime des facilités empêche la fusion de Renaix avec les communes voisines néerlandophones de Markedal ou Kluisbergen au motif qu’elles sont unilingues. Renaix voit ainsi lui passer sous le nez le bonus financier de 13 millions d’euros qu’une fusion représenterait.
« Les Flamands aiment déterminer quelle langue les autres doivent parler. Prenez par exemple Durbuy. »
Ainsi, depuis quelque temps, la Ville fait unilatéralement fi des facilités. Tandis qu’au centre-ville, les panneaux de rues sont encore bilingues, et que le Kerkplein s’appelle donc aussi Place de l’Église, dans les nouveaux lotissements, les panneaux de rues sont tous unilingues. Et, dans le hall d’entrée de l’Hôtel de Ville, à l’exception du « politiebesluit » qui côtoie l’« arrêté de police », toutes les affiches sont rédigées exclusivement en langue néerlandaise.
Un service pas forcément chaleureux
Le projet du bourgmestre ne plait pas à tout le monde. « Imposer le néerlandais comme langue unique à Renaix ? À mes yeux, ce serait une abomination », s’indigne Sonia. Ce matin-là, l’habitante âgée de 77 ans est venue à l’administration communale avec son mari pour demander une nouvelle carte d’identité. Elle ne souhaite voir ni son nom de famille ni sa photo publiés dans le journal. « Ici, la question linguistique est un sujet sensible. Les francophones ne sont pas forcément servis de manière chaleureuse. Pourtant, avant, la majeure partie des habitants parlaient le français. Les choses ont changé. Les Flamands aiment déterminer quelle langue les autres doivent parler. Prenez par exemple Durbuy, où on entend très peu parler le français vu le nombre de touristes flamands qu’il y a là-bas. Je trouve que chacun devrait pouvoir choisir lui-même quelle langue il parle, non ? »
Sonia n’est pas la seule à s’indigner de ce fait. En septembre 2023, le groupe d’action Renaix Bilingue-Renaix Tweetalig a introduit une action en justice pour exiger une astreinte de 13 000 euros par jour de violation de la loi sur l’emploi des langues. Le juge a estimé que la Cour constitutionnelle devait, dans un premier temps, déterminer si cette obligation est contraire au principe d’égalité, comme la Ville le prétend. Dans un arrêt récent, la Cour a qualifié cette pratique d’inadmissible et a enjoint Renaix de continuer à respecter les lois linguistiques. À présent, le juge civil est saisi de l’affaire et pourrait imposer des astreintes. « Nous avons pris connaissance de cet arrêt, mais il n’est pas encore question de jugement au fond », indique le bourgmestre Michaux dans une réaction par écrit. « Nous maintenons que nos habitants ne font presque plus usage du régime des facilités, lequel entraîne des coûts supplémentaires et empêche une fusion. Cette législation désuète est donc lourde de conséquences. »
[1]Comment une chaussée romaine a déterminé la frontière linguistique
Mesquinerie
Certes, tous les Renaisiens ne se soucient pas de la question linguistique. « Ici, ce sujet a toujours fait débat », affirme Jean-Pierre Jouretz, habitant de la commune. « Mais, ces dernières années, les choses se sont vraiment calmées sur ce plan-là. À une époque, le patron du café refusait de me servir parce que je ne prononçais pas le mot « gueuze » à la française. De nos jours, ce genre de situation ne se produit plus. Il y a bien assez d’autres raisons de se prendre la tête. Ces derniers temps, on parle plutôt de la recrudescence des cambriolages dans la région. »
Ailleurs à Renaix, c’est aussi le pragmatisme qui règne. Ainsi, la serveuse de la brasserie Lagaar, effectivement située devant la gare, salue ses clients dans les deux langues. Un membre du personnel d’un bureau d’intérim nous confirme qu’en principe, tout se fait en néerlandais, mais que les candidats peuvent obtenir une version française de leur contrat travail sur demande. « Je peux comprendre notre bourgmestre. Bien sûr, c’est moins cher si on doit appliquer une seule langue, le néerlandais », dit Hamza Benyaich. Le chauffeur de bus parfaitement bilingue vient de faire prolonger son permis de conduire à l’Hôtel de Ville, chose qu’il a faite en s’exprimant en néerlandais. « Ma rue se trouve littéralement à 100 mètres de la frontière linguistique. Je trouve qu’il est quand même un peu mesquin de penser qu’on peut empêcher l’emploi du français en modifiant une loi. »
[1] https://daardaar.be/rubriques/comment-une-chaussee-romaine-a-determine-la-frontiere-linguistique/