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  ARM Give a man a fire and he's warm for a day, but set fire to him and he's warm for the rest of his life (Terry Pratchett, Jingo)

« Si les nationalistes flamands l’emportent en 2024, ce sera la fin de la Belgique telle qu’on la connaît »

([Politique] 2023-02-01 (Gazet van Antwerpen))


Au sein de l’aréopage des politologues flamands jouissant d’une certaine notoriété, il n’y en a qu’un qui est étiqueté « nationaliste flamand » : le professeur à la KU Leuven Bart Maddens. Maddens est en grande partie sur la même longueur d’ondes que Bart De Wever alors que les propos de ce dernier suscitent beaucoup d’indignation chez ses confrères et consoeurs. « Si une majorité nationaliste flamande se dégage au Parlement flamand après les élections, ce sera un fait politique majeur, qui signifiera la fin de la Belgique telle que nous la connaissons actuellement. »

Jusqu’où le président de la N-VA Bart De Wever sera-t-il prêt à aller en 2024 afin de renverser le système ? Et quid de la Constitution ? Dans une interview parue dans De Tijd, De Wever affirme qu’on se retrouvera en tout état de cause dans une situation de blocage et que la Belgique vivra en 2024 ou 2029 son « moment Weimar », référence à 1933, année marquée par la fin de la république de Weimar et la prise de pouvoir des nazis.

Dans cette interview, De Wever déclare par ailleurs qu’une « réforme extralégale » est inéluctable et que nous devrons scinder des départements avant d’inscrire ces changements dans la loi, comme la Flandre l’a fait pour l’enseignement. Des propos qui ont suscité l’indignation de certain·es au sein du sérail politique. « De Wever veut-il un assaut du Parlement en Flandre également ? », a ainsi tweeté Kristof Calvo.

« La comparaison avec la république de Weimar me paraît étrange », confie Bart Maddens. « La situation me fait davantage penser à la Cinquième République, le nouveau système semi-présidentiel que le général De Gaulle a imposé par référendum en France en 1958, en dehors du cadre constitutionnel d’une Quatrième République alors agonisante. »

Quelle est selon vous l’essence du message de Bart De Wever ?

Bart Maddens : « Ce qu’il dit relève de l’évidence. Le système belge est à ce point bloqué et verrouillé que si vous voulez une vraie réforme, vous n’aurez probablement pas d’autre choix que d’entreprendre des démarches qui, stricto sensu, ne sont pas en adéquation avec la Constitution. Mais l’histoire de la Belgique est jalonnée de démarches de ce genre. À vrai dire, je n’ai rien entendu de neuf. »

Le système est bloqué et verrouillé, dites-vous ? Comment ?

« Avec la fragmentation du système de partis, il est très difficile de trouver les majorités indispensables à toute réforme institutionnelle. À cela, s’ajoutent les mécanismes de blocage. Le gouvernement en place doit en principe déclarer que la Constitution est ouverte à révision. Mais quid si l’attelage De Croo ne le fait pas, parce que Georges-Louis Bouchez (MR) freine en dernière minute, par exemple ? Et que fait-on, alors, si les résultats des élections accréditent l’idée d’une réforme ? »

De Wever parle de scinder des départements. Mais le véritable enjeu, pour la N-VA, ne demeure-t-il pas le confédéralisme, qui implique une scission du système dans son ensemble, y compris la sécurité sociale, la dette, la question de Bruxelles, etc. ? Et ça, c’est une autre paire de manches !

« L’image qui me vient à l’esprit est celle d’une échelle. Avec les exemples qu’il donne, Bart De Wever se situe au bas de celle-ci, car il ne verse ni dans l’illégalité, ni dans l’inconstitutionnalité. Le gouvernement, qui incarne le pouvoir exécutif, peut parfaitement organiser les choses de telle manière qu’en matière de soins de santé, par exemple, un·e ministre flamand·e coexiste avec un·e ministre francophone, à charge pour chacun·e de mener sa propre politique. Cela s’est déjà produit par le passé avec l’enseignement et la culture. En haut de l’échelle, on a des voix qui s’élèvent pour revendiquer la souveraineté flamande. Entre ces deux extrêmes, il y a des échelons intermédiaires. »

Mais pour parvenir au confédéralisme ou à l’indépendance de la Flandre, il y a un pas de géant à accomplir sur le plan politique.

« Par le passé, De Wever a déjà réduit la Constitution à un vulgaire bout de papier. Et dans l’histoire politique de la Belgique, cette dernière a déjà été violée à plus d’une reprise : pourquoi la N-VA devrait-elle être plus catholique que le pape, dès lors ? »

Le problème ne tient-il pas moins à la Constitution qu’à la réalité politique et au positionnement des autres partis ?

« Si on se réfère aux sondages, il n’est pas impossible que les partis nationalistes flamands (NDLR : la N-VA et le Vlaams Belang) décrochent une majorité absolue de 63 sièges sur 124 au Parlement flamand. Le cas échéant, la N-VA disposerait d’un énorme moyen de pression. »

Peut-être, mais De Wever ne dit-il pas qu’une coalition avec le Vlaams Belang n’est pas souhaitable ?

« Même sans l’avènement d’une telle alliance, ce serait un énorme coup de semonce ! Car vous auriez alors, côté néerlandophone, une majorité nationaliste à la Chambre et au Sénat. Les autres partis nourrissent une forte aversion pour le Vlaams Belang, c’est vrai, mais il n’en demeure pas moins que ce serait un fait politique majeur. Une majorité nationaliste flamande, ce serait un point de rupture : le statu quo deviendrait intenable, ce qui obligerait les francophones à se demander s’ils ne devraient pas s’asseoir autour de la table pour discuter d’une réforme systémique organisée tant que c’est encore possible. D’autant plus que, côté francophone, la situation financière est catastrophique. »

Un tel scénario déboucherait sur une période de fortes tensions et de grande incertitude.

« À court terme, oui. Le point de rupture que j’évoque sera douloureux, mais il faudra passer par là : entre la politique inefficace des pas de souris et l’enlisement sans fin, d’un côté, et un examen approfondi de notre architecture institutionnelle et une adaptation de celle-ci à la réalité politique, le choix est vite fait, non ? Si on peut rester dans les limites de la Constitution, tant mieux ; sinon, tant pis ! »

Une Vivaldi II ne constituerait-elle pas une échappatoire pour les francophones et les autres partis flamands ?

« Vous imaginez vraiment un gouvernement fédéral minoritaire côté flamand face à un gouvernement flamand emmené par une coalition nationaliste ? Bonne chance (note du traducteur : en français dans le texte). En Flandre, une coalition Vivaldi II aurait encore moins de légitimité. Et mener une politique cohérente serait encore plus difficile. »

De Wever essaie de réduire le risque d’un tel scénario en promettant un cataclysme électoral au CD&V et à l’Open Vld. « Pour les partis à l’origine du modèle belge, l’heure de dresser un constat d’échec va bientôt sonner. » Ou encore : « Pour éviter ce scénario, il faudra que le CD&V et l’Open Vld subissent un revers électoral en 2024. »

« Il faut également y voir une stratégie électorale de la part de De Wever. La N-VA aura bien du mal à récupérer des voix au détriment du Vlaams Belang, qui a le vent en poupe. Le parti de De Wever vise donc plutôt l’électorat de droite du CD&V et de l’Open Vld, il ne faut pas être grand clerc pour le comprendre. »

Une dernière question : De Wever n’est-il pas en train de tenter un coup de poker, de jouer son va-tout ? À vouloir tout gagner, ne risque-t-il pas de tout perdre ?

« La question à se poser, c’est de savoir s’il est opportun d’agir ainsi maintenant. De Wever se met en position de faiblesse. Des voix critiques s’élèvent, des mots tels que coup d’État et chaos sont prononcés. Les autres partis pourraient en profiter pour l’attaquer. Je mettrais plutôt l’accent sur le fait de respecter la Constitution dans la mesure du possible et éviterais de me profiler comme le parti qui prédit la révolution. L’enjeu reste de gagner les élections : si le nationalisme flamand remporte une victoire spectaculaire, il en résultera inévitablement la fin de la Belgique telle que nous la connaissons actuellement. Je trouve qu’on a un peu tendance à sous-estimer cela et à faire comme si on allait pouvoir continuer la popote habituelle. Il faut respecter le fonctionnement de la démocratie. Si Vooruit et le PVDA obtiennent la majorité absolue, je serai le premier à plaider pour un gouvernement de gauche radicale. Parce qu’une telle coalition refléterait la volonté de l’électeur. De tels propos n’auraient rien de sensationnel et je ne comprendrais pas qu’ils défraient la chronique. »



Successful and fortunate crime is called virtue.
-- Seneca