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La loi spéciale de financement : un levier de négociation flamand qui déstabilise la Wallonie

([Opinions, Politique] 2023-01-01 (Doorbraak))


La loi spéciale de financement régit les dotations fédérales accordées aux régions et communautés, et détermine les impôts que peuvent lever les régions. Cette loi, promulguée en 1989, a été profondément remaniée lors de la sixième réforme de l’État en 2011 : elle a été, au même titre que la scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Halle-Vilvorde, l’un des leitmotiv de cette réforme. Il s’agit d’une question particulièrement complexe, et rares sont ceux qui en maîtrisent tous les détails.

Gouvernance responsable



Un mécanisme nouveau a été élaboré pour récompenser la bonne gouvernance, en accordant aux régions représentant une quote-part élevée dans l’impôt des personnes physiques davantage de moyens par le biais de dotations majorées en guise de récompense. Ce mécanisme est surtout avantageux pour la Flandre qui, en 2019, contribuait à l’IPP à hauteur de 64,1 %, tout en ne représentant que 57,7 % de la population nationale. Par ailleurs, l’élargissement de la base des centimes additionnels régionaux dans l’impôt des personnes physiques procure aux régions une autonomie fiscale accrue.

Conséquence : les sommes attribuées à toutes les régions et communautés vont graduellement diminuer, en pourcentage du produit intérieur brut (PIB). De cette manière, les entités fédérées vont contribuer au coût du vieillissement qui, actuellement, pèse essentiellement sur les autorités fédérales par le biais des dépenses liées aux pensions de retraite et aux soins de santé. Le Mouvement flamand milite depuis longtemps pour une scission de la sécurité sociale, mais les Francophones refusent, arguant que cette scission serait pour eux synonyme d’asphyxie financière. Le clientélisme, essentiellement sous l’égide du PS, règne en maître. En réaction, il a été décidé en 2011 de pratiquer des retenues sur certaines dotations. De manière indirecte, les entités fédérées contribuent ainsi davantage aux pensions de retraite de leurs fonctionnaires.

[1]Discussions PS/N-VA: vers la fin de la Belgique telle que nous la connaissons

Mécanisme de transition



La loi de financement amendée, entrée en vigueur en 2015, s’est révélée surtout défavorable pour la Belgique francophone. Mais comme la Flandre voulait rester solidaire pendant encore dix ans avec ses compatriotes de l’autre groupe linguistique, on a donc imaginé un mécanisme de transition accordant à Bruxelles et à la Wallonie un délai de dix ans pour limiter les dégâts, moyennant pour une gouvernance adaptée. Pour contrebalancer la baisse des dotations, les régions « perdantes » devaient percevoir une compensation ; en contrepartie, on écrémait le solde positif normalement dû aux régions « gagnantes » (en l’occurrence, la Flandre).

Le montant a été fixé en 2015 (histoire de ne pénaliser ni avantager aucune région) ; il restera constant jusqu’en 2023. Bruxelles s’est également vu attribuer par les deux autres régions des dotations supplémentaires pour compenser le flux quotidien de navetteurs vers la capitale. Conséquence : l’attribution à Bruxelles et à la Région wallonne, chaque année pendant la période de transition, de 100 et 600 millions d’euros supplémentaires, respectivement, par rapport aux sommes auxquelles elles auraient eu droit selon le nouveau contexte. La Flandre perçoit 300 millions d’euros de moins. Dès 2025, cependant, la loi prévoit de réduire de manière linéaire le montant de cette compensation, jusqu’à sa disparition totale en 2039.

[2]L’indépendance de la Flandre: le prix à payer pour sauver les finances des francophones?

Merci Wouter Beke



Nous avons souligné à de nombreuses reprises combien les Francophones sont d’habiles négociateurs. Dans le dossier de la nouvelle loi de financement, pourtant, ils ont bien eu le dessous. Nous le devons à Wouter Beke, l’homme à qui la crise du coronavirus a valu de devoir démissionner de son poste de ministre flamand de la Santé.

En 2011, Wouter Beke, qui présidait le CD&V, prenait le relais de Bart De Wever dans les négociations relatives à la nouvelle réforme de l’État. Cela lui avait valu de copieuses critiques, à l’époque. Pour l’amener à franchir le Rubicon, le formateur Elio Di Rupo s’était cependant montré prêt à accorder des concessions et à accepter une réforme approfondie de l’État assortie d’une loi de financement adaptée.

L’étude du Serv



Au-delà de 2024, les transferts du gouvernement fédéral au profit des régions continueront d’augmenter, en termes absolus, mais diminueront en termes relatifs. En 2039, le démantèlement progressif (et relatif) des montants compensatoires, qui commence en 2024, sera terminé. Aujourd’hui, toutes les régions et les communautés se partagent 58,55 milliards d’euros, en vertu de la loi de financement, soit 11,54 % du PIB. En 2039, ce pourcentage sera réduit de 0,47 point de pourcentage par rapport au PIB. En valeur monétaire de 2021, cette différence représente un écart négatif de 2,36 milliards d’euros. Notons en effet que pour ces données chiffrées, la valeur de référence est un euro de 2021, afin de neutraliser les effets de l’inflation.

Cela représente pour la Wallonie une perte de 1,7 milliard d’euros par an.

Selon les calculs du Serv ( Sociaal-Economische Raad voor Vlaanderen – Conseil économique et social de Flandre), le financement des pouvoirs publics wallons diminuerait graduellement de plus de dix pour cent. D’ici 2039, la croissance des recettes de Bruxelles ne dépassera pas 90 % de celle du PIB ; pour la Wallonie, ce pourcentage s’élèvera à 91,4 %. S’agissant des pouvoirs publics wallons, c’est surtout la Région qui sera touchée. En effet, d’ici 2039, la baisse de ses revenus devrait représenter l’équivalent de 12 % du PIB, contre 8 % pour la Communauté Wallonie-Bruxelles. En se basant sur la valeur monétaire de 2021, cela représente un manque à gagner proche de 1 milliard d’euros pour la Région wallonne, et de presque 700 millions d’euros par an pour la CFWB. Soit une perte de 1,7 milliard d’euros par an pour les pouvoirs publics wallons.

[3]Finances wallonnes : quand deux et deux ne font pas quatre

Bruxelles et la Flandre



Toujours d’après le Serv, Bruxelles n’est pas mieux lotie. Proportionnellement, la baisse des recettes y serait encore plus marquée qu’en Wallonie. Pour la Flandre, c’est l’inverse : comme la loi de financement récompense les régions performantes, la Flandre recevra chaque année, à partir de 2039, 170 millions d’euros de plus que sous le régime transitoire. La croissance des recettes suivra donc celle du PIB à près de 100 %.

Tout ceci aura également une incidence sur le montant des recettes par habitant. Actuellement, les montants des dotations sont très proches : 5 045 euros par habitant en Flandre et 5 033 euros en Wallonie. En 2039, les Flamands bénéficieront d’un avantage de 234 euros (valeur monétaire de 2021) par personne. Ajoutons que les communautés obtiennent davantage de ressources en raison du vieillissement de la population, plus prononcé en Flandre. La croissance plus rapide du nombre des personnes de plus de 80 ans vaudra à la Flandre davantage de moyens financiers dédiés aux soins aux personnes âgées. Par ailleurs, les recettes des autres communautés diminueront en raison de la diminution proportionnelle du nombre d’enfants et de jeunes, leur valant par conséquent des dotations relativement moins élevées pour les années à venir.

Une situation financière désastreuse



On est en droit de se demander si cette réduction des dotations (de 0,47 % d’ici 2039) n’est pas une grossière exagération. On passe de 11,54 % du PIB à 11,07 %. Mais pour la Belgique francophone, c’est la goutte qui fait déborder le vase. En 2021, la dette wallonne s’élevait à 31,5 milliards d’euros, soit 26,7 % du produit régional brut (prb) et 240,4 % de ses recettes.

La Communauté française et Bruxelles ploient elles aussi sous une dette proche de 10 milliards d’euros (chacune), soit respectivement 102 % et 230 % de leurs recettes. Et cela ne changera pas de sitôt, vu leurs déficits budgétaires annuels : 3,7 milliards d’euros pour la Région wallonne en 2021, 1,5 milliard pour Bruxelles et 0,9 milliard pour la Communauté Wallonie-Bruxelles. Si on y ajoute 1,7 milliard d’euros à charge des pouvoirs publics wallons, ce sera catastrophique.

Les Flamands se doivent d’exploiter cette situation critique des finances de la Belgique francophone pour négocier des réformes structurelles durables, à savoir : la disparition du déficit démocratique flamand, la suppression, dans la Constitution, de divers mécanismes de blocage, la responsabilisation financière des régions, l’octroi d’une large autonomie aux régions…

Cette dynamique est indispensable si l’on veut assurer la prospérité future de la Flandre.

[4]Qu’attendent la Wallonie, Bruxelles et l’Ostbelgien pour s’aligner sur la simplicité flamande?



[1] https://daardaar.be/rubriques/politique/ps-nva-vers-la-fin-de-la-belgique-telle-que-nous-la-connaissons/

[2] https://daardaar.be/rubriques/politique/lindependance-de-la-flandre-le-prix-a-payer-pour-sauver-les-finances-des-francophones/

[3] https://daardaar.be/rubriques/economie/finances-wallonnes-quand-deux-et-deux-ne-font-pas-quatre/

[4] https://daardaar.be/rubriques/politique/quattendent-la-wallonie-bruxelles-et-lostbelgien-pour-saligner-sur-la-simplicite-flamande/



If scientific reasoning were limited to the logical processes of
arithmetic, we should not get very far in our understanding of the physical
world. One might as well attempt to grasp the game of poker entirely by
the use of the mathematics of probability.
-- Vannevar Bush