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  ARM Give a man a fire and he's warm for a day, but set fire to him and he's warm for the rest of his life (Terry Pratchett, Jingo)

Condamnation du héros d’Hôtel Rwanda : l’inaction coupable de l’État belge

([Politique, Rubriques] 2021-09-01 (De Morgen))


La condamnation de Paul Rusesabagina à 25 ans de prison au terme d’un procès organisé dans la capitale rwandaise, Kigali, laisse un goût particulièrement amer. Petit rappel des faits : ce directeur d’hôtel a acquis une célébrité mondiale après la sortie du film Hôtel Rwanda (dans lequel son rôle est interprété par Don Cheadle), qui raconte comment il a sauvé du génocide plus d’un millier de Rwandais en les abritant dans son établissement. Depuis, il est à couteaux tirés avec le nouvel autocrate du pays, Paul Kagame. Après avoir été accusé de terrorisme, le voilà désormais condamné — autant dire qu’il passera le reste de sa vie en prison.

Un scénario malheureusement prévisible



Cette issue dramatique ne surprendra personne, puisque, au Rwanda, où Paul Kagame a instauré un régime dictatorial sous les applaudissements de l’Occident, quiconque se fait un tant soit peu remarquer est aussitôt taxé de terrorisme. Les cyniques pourraient faire remarquer que Rusesabagina a encore eu de la chance : d’autres opposants n’ont même pas eu l’honneur d’être traduits devant une parodie de tribunal — ils ont été agressés, assassinés ou ont disparu sans laisser de traces. Un sort que l’on ne pouvait manifestement pas réserver à Rusesabagina, peut-être parce qu’il compte dans son réseau des célébrités hollywoodiennes telles qu’Angelina Jolie et George Clooney.

L’État belge devait donc, lui aussi, s’attendre à ce dénouement. Pourtant, presque rien n’a été fait, en amont, pour éviter cette fin tragique. Rappelons, à toutes fins utiles, que Paul Rusesabagina est officiellement citoyen belge. Il a demandé l’asile politique dans notre pays, et l’a obtenu, puis a été naturalisé. Pour résumer, un ressortissant a été mis dans un avion et enlevé par la ruse pour être renvoyé vers un régime qui en voulait à sa vie. Et l’État belge n’a rien fait. Un ressortissant a croupi en prison dans l’attente d’un simulacre de procès dont l’issue ne faisait aucun doute. Et l’État belge n’a rien fait. Est-il permis de crier au scandale ?

Le Belgique a tardé à taper du poing sur la table



Le communiqué de presse de la ministre des Affaires étrangères, Sophie Wilmès (MR), certes formulé en termes peu amènes, s’est fait honteusement attendre. Il n’empêchera pas Paul Kagame de dormir. Avec l’affaire Rusesabagina, l’État belge joue son honneur et sa morale. La liberté d’un concitoyen ne mérite-t-elle pas une crise diplomatique ? Ou l’État ne considère-t-il Paul Rusesabagina que comme un pion à sacrifier sur l’échiquier géopolitique et géoéconomique ? Le gouvernement envisage à présent de geler les aides financières consenties au Rwanda. Le levier est intéressant, mais l’idée intervient bien tôt tard.

Tout n’est pas encore perdu. La Belgique est un partenaire important du Rwanda. Il est encore possible de nouer une alliance forte avec les États-Unis, où résidait Rusesabagina, pour le sortir des geôles rwandaises. Hasard du calendrier : l’Assemblée générale des Nations Unies se réunit en ce moment — une enceinte idéale pour faire du forcing diplomatique. Pour « être du bon côté de l’histoire », on ne saurait se contenter de rhétorique.



Some men are born mediocre, some men achieve mediocrity, and some men
have mediocrity thrust upon them.
-- Joseph Heller, "Catch-22"